Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. Notre-Dame, le 13 juillet 1917
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Méditation sur le 2e mystère joyeux

 Tirée de L'Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu
de Dom Paul Delatte, osb

La Visitation

La scène a lieu dans la maison de Zacharie et d’Élisabeth. La Sainte Vierge, avertie du bonheur de sa cousine, désire la féliciter aussitôt. Nous ne saurions préciser l’origine et le degré de la parenté qui unissait Notre Dame et Élisabeth.

Au souvenir de la Visitation, les paroles de saint Ambroise se présentent d’elles-mêmes à notre mémoire : Non quasi incredula de oraculo, nec quasi incerta de nuntio, nec quasi dufritans de exemplo, sed quasi laeta pro voto, religiosa pro officio, festina pro gaudio, in montana perrexit. Depuis l’incarnation, les œuvres et les démarches de Notre-Dame sont les œuvres et les démarches communes d’elle et de son Fils. C’est une communion douce et continue. Elle appartient toute à ce sacrement de pureté, de beauté, de tendresse, qui repose dans son sein. Elle se lève, elle va sans retard dans la région montagneuse d’Hébron ou de Juttah, pour féliciter sa cousine ; mais elle accomplit toutes choses, répétons-le, sous la pression intérieure de son Fils.

Notre-Dame était venue seule, semble-t-il. Elle entra dans la demeure de Zacharie, et salua Élisabeth. Ce n’était pas seulement une mère vierge qui venait féliciter une mère jadis stérile ; c’était le Sauveur encore voilé qui venait sanctifier son Précurseur. Élisabeth fut avertie de cette œuvre de sanctification par le tressaillement et l’exultation de son enfant. Zacharie avait pu lui faire connaître les promesses angéliques concernant le fils qu’elle avait miraculeusement conçu. Il devait être un précurseur : mais le précurseur de qui, exactement ? Avant même que la Sainte Vierge eût prononcé d’autre parole que celles de la salutation, la mission de l’enfant, le mystère dès lors réalisé du Messie, la maternité virginale de Marie, tout cela fut montré à Élisabeth. L’Esprit de Dieu, qui sanctifiait son fils par le sacrement du Seigneur et de sa Mère, éclaira son âme et sa pensée. Un transport de joie surnaturelle la saisit, lui fit poursuivre la salutation angélique et chanter un cantique ; car c’est un vrai cantique, au même titre que le Magnificat et le Benedictus ; c’est à peine s’il leur cède en beauté :

Vous êtes bénie entre les femmes et le fruit de vos entrailles est béni.
Et d’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ?
Car votre voix, lorsque vous m’avez saluée, n’a pas plus tôt frappé mes entrailles, que l’enfant a tressailli de joie dans mon sein.
Heureuse celle qui a cru ! Car elles seront accomplies les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur.

À la salutation l’ange : « pleine de grâces », se joint le salut d’Élisabeth : « bénie entre les femmes ». Une malédiction a été portée à l’origine, prononcée contre le diable et contre la terre. Mais une bénédiction universelle a été promise aux patriarches ; et la voici venue : Notre-Dame la porte en elle. Elle est bénie elle-même, parce qu’elle a été, en vue des mérites de son Fils, éminemment rachetée au jour de l’Immaculée-Conception. Bénie entre toutes les femmes, cela veut dire au-dessus de toutes, et aussi bénie parmi elles : car les femmes qui s’attristaient autrefois du châtiment attiré par Ève sur leur sexe, chantent maintenant la bénédiction apportée par Marie. Élisabeth fait d’ailleurs remonter jusqu’au Fils de la Vierge cette bénédiction dont il est le principe : « Et le fruit de votre sein est béni. » — « Et comment m’est-il donné que la Mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » On peut comparer l’attitude de sainte Élisabeth devant Notre-Dame à celle de saint Jean Baptiste en face du Seigneur ; elles sont absolument identiques : « C’est moi, s’écria saint Jean, qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi ! » Élisabeth dit : « la Mère de mon Seigneur » c’est-à-dire de mon Dieu ; elle est donc bien renseignée ; elle confesse d’un mot toute l’Incarnation. Même, elle ajoute les indices qui ont formé sa conviction et ouvert son âme à la lumière divine. Dieu est l’auteur de nos certitudes, Il peut créer en nous une conviction que rien ne puisse ébranler. « Car voici qu’au moment où le son de votre voix parvenait à mes oreilles, le petit enfant a tressailli d’allégresse dans mon sein. Et bienheureuse celle qui a eu foi (c’est le sens donné par le grec), car elles s’accompliront, les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur. » Peut-être la pensée d’Élisabeth se replie-t-elle sur la peine infligée à l’incrédulité de son mari ; au moins, du côté de Notre-Dame, il n’y a eu ni hésitation ni défiance ; et si splendide qu’ait été la promesse angélique, toute la parole de Dieu se réalisera. Les trois cantiques de saint Luc sont singulièrement expressifs des personnages qui les prononcent, et l’Esprit de Dieu qui les inspire, laisse à chacun d’eux son entière physionomie. Élisabeth est surtout une mère, une mère pieuse. Elle croit, elle croit tout le mystère ; elle s’étonne que la grandeur de la Mère de Dieu s’incline vers elle ; mais elle ne songe qu’incidemment à la "consolation" du peuple juif. Elle ne dit rien non plus de l’universalité de la Rédemption : ce sera le thème réservé à Notre-Dame. Elle songe, elle, à son fils, à la relation de son fils avec le fruit béni que Notre-Dame porte en son sein. Le cantique de la Sainte Vierge, en réponse à celui d’Élisabeth, n’est pas original dans son expression, mais dans son acception seulement. Il rappelle divers passages des Psaumes, des Prophètes, et surtout le cantique d’Anne, mère de Samuel (I Rois II, 1-10). Notre-Dame ne loue Dieu qu’avec les propres paroles de Dieu, et les formules inspirées lui sont tellement familières qu’elles se placent d’elles-mêmes sur ses lèvres. On peut diviser le Magnificat en quatre strophes.

« Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu, mon salut. » C'est une louange qui naît de l’âme et de l’esprit de Notre-Dame : tout son être intérieur, âme, esprit, se traduit dans cette louange, comme si la personne entière était un cantique vivant et s’employait à exalter Dieu. Elle appelle Dieu son salut : et en effet, nous l'avons remarqué déjà, la Sainte Vierge a été sauvée d’une façon éminente, puisque la mort de son Fils lui a donné, par anticipation, d’être conçue sans tache. Son allégresse sainte n’efface pas l’humilité. Elle reconnaît que le premier amour de Dieu envers elle est, comme Dieu même, sans motif et sans cause. Tout ce qui n’est pas Dieu est si petit ! Notre-Dame s’est déclarée naguère la servante du Seigneur : elle le rappelle aujourd’hui. Qu’avait-elle qui la recommandât aux préférences divines ? Tout est venu de Dieu, qui s’est incliné, dit-elle, non vers des mérites personnels, mais vers l’obscurité, la petitesse, la simplicité de sa servante ; et voici que désormais toutes les générations diront bienheureuse cette humble vierge de Juda. N’est-il pas vrai que la prophétie est extraordinaire, sur les lèvres de Marie ? N’est-il pas vrai qu’elle s’est bien réalisée ? Depuis vingt siècles, et de plus en plus, toutes les nations, bénies dans le Fils, ont béni la Mère, l’ont acclamée, l’ont enveloppée d’une vénération et d’une tendresse incomparables. À elle seule, cette gloire de Notre-Dame pourrait prouver la vérité de l’Incarnation et la divinité du christianisme.

La deuxième strophe commence à célébrer l’œuvre de Dieu en Notre-Dame et par elle. Ce que le Tout-Puissant a réalisé en elle, Notre-Dame ne le précise point : « Il a réalisé de grandes choses, il a fait grand pour moi, celui qui est puissant ; et son nom est saint. Et sa miséricorde s’étend, de génération en génération, sur ceux qui le craignent », c’est-à-dire, en langage biblique, qui le regardent, qui l’aiment et qui lui sont fidèles. Notons le caractère large, volontairement imprécis, de toutes ces paroles qui rappellent le style des Psaumes. Même en remerciant Dieu d’un bienfait très déterminé, Notre-Dame et les auteurs inspirés dirigent leur parole comme si elle devait servir toujours et devenir l’expression éternelle de la reconnaissance chrétienne. Observons aussi que la Sainte Vierge, comme son Fils, comme l’apôtre saint Paul, aperçoit la miséricorde de Dieu s’étendant universellement sur tous les hommes. C’est l’annonce de l’Église et de sa catholicité.

Même, dans la troisième strophe, Notre-Dame, voyant réalisées déjà les dernières conséquences de ce qui s’est accompli en elle, annonce, en style prophétique, que la force du bras divin a désormais déplacé l’axe des choses, dissipé la vanité des sages remplis d’eux-mêmes, fait descendre les potentats de leur trône et exalté les humbles, appelé au festin les pauvres affamés et écarté les opulents. C’est, à grands traits, la description d’une révolution qui a déçu les Juifs charnels, recueilli les gentils, déconcerté la pensée purement humaine. Nous retrouverons le développement de cette idée au cours de tout le récit évangélique.

Enfin, la Sainte Vierge termine par la louange un cantique commencé par la louange. Elle rend hommage à la fidélité de Dieu. Dieu est venu au secours d’Israël, son serviteur, en envoyant le Messie dont le monde avait besoin, mais non le Messie conquérant et guerrier que rêvait la Judée. Après une longue attente, durant laquelle l’humanité a eu le loisir d’éprouver sa faiblesse, Dieu s’est souvenu enfin de sa miséricorde, selon qu’Il l’avait promis à nos pères, à Abraham surtout, et à sa postérité, pour jamais. Mais cette postérité éternelle, c’est le Christ et tous ceux qui sont nés de lui (Gal. III, 16). Notre-Dame a bien retenu et compris la parole de l’auge ; c’est la même chose de parler, comme Gabriel, du roi « dont le règne n’aura point de fin », et de « la postérité d’Abraham, pour l’éternité ».

Il nous paraît très probable que la Sainte Vierge est demeurée près de sa cousine jusqu’après la naissance de saint Jean Baptiste ; mais pour achever aussitôt ce qui concerne Notre Dame, saint Luc fait ici une interversion ; il nous dit que la Mère de Dieu retourna, chez elle après trois mois environ. L’Annonciation ayant eu lieu au sixième mois de la maternité d’Élisabeth, et Notre-Dame étant partie presque aussitôt pour Hébron ou Juttah, la nativité du Précurseur dut coïncider avec la fin du séjour de Notre-Dame en cette région.

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