Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. Notre-Dame, le 13 juillet 1917
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Méditation sur le 4e mystère douloureux 

Tirée de L’Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu
de Dom Paul Delatte, osb
 

LE PORTEMENT DE CROIX

La troisième phase de la Passion, celle de la souffrance, va commencer. Les soldats dépouillent le Seigneur de sa pourpre dérisoire et lui rendent ses vêtements. On apporte une lourde croix, que le condamné devra porter lui-même sur ses épaules. Le Seigneur n’a vraiment pour lui que sa croix ; elle est toute sienne. Le voilà seul, au milieu d’un peuple ameuté, dont la foule grossit à chaque pas. Deux malfaiteurs, qui doivent être crucifiés avec lui, sont du cortège. Il faut sortir de Jérusalem, regardée comme sainte dans toute son étendue : les exécutions ne pouvaient avoir lieu qu’au-delà des murs (Heb., XIII, 12). Le petit monticule vers lequel on se dirige et qui va devenir le centre du monde régénéré, est situé au nord-est de la ville : son nom hébreu est Golgotha, c’est-à-dire le lieu du crane ; peut-être parce que cette saillie de terrain affectait la forme d’une tète humaine.

La distance du prétoire an Calvaire n’était guère que de six cents mètres ; mais le Seigneur n’avait pas eu de repos depuis deux jours, l’agonie avait passé sur lui, la flagellation l’avait brisé. Il n’avançait qu’avec peine. Et un événement survint qui ajouta encore au poids de la douleur : ce fut la rencontre de la Sainte Vierge. Nous ne connaissons que par une tradition ce rapprochement soudain du Fils et de sa Mère, ainsi que la première chute du Seigneur et la violence de ceux qui l’accompagnaient. Mais les trois synoptiques ont conservé l’épisode de Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus, personnages bien connus sans doute de l’Église primitive. Cet homme revenait des champs ; peut-être eut-il un geste de commisération ou de protestation : séance tenante, les soldats le réquisitionnèrent et lui imposèrent de porter la croix derrière Jésus. Nous pouvons croire qu’il s’y prêta de bon cœur et que le contact de la croix lui fut salutaire. II faut toujours, par le monde, que la croix du Seigneur soit portée ; le Calvaire n’est pas un événement d’un instant, c’est un fait éternel.

Dans la multitude qui entourait le Seigneur, saint Luc nous a montré un groupe de femmes pleurant et se lamentant à grands cris sur tant d’infortune. Et il a recueilli la réponse du Sauveur, si triste et si tendre. Se retournant vers elles, Jésus leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Car des jours vont venir où l’on dira : Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n’ont point enfanté, et les mamelles qui n’ont point allaité ! Alors, on dira aux montagnes : Tombez sur nous ! Et aux collines : Recouvrez-nous ! (Os., X, 8) Car si l’on traite ainsi le bois vert, que sera-t-il réservé au bois sec ? » Il semble que pour le cœur du Fils de Dieu, ce soit peu de chose que son corps déchiré et son front couronné d’épines : ce qui est plus cruel que toute souffrance, c’est qu’un tel amour soit dépensé en vain.

 

Le commentaire de Dom Delatte sur le portement de croix étant court, voici, pour compléter, le commentaire de Dom Guéranger dans L’année liturgique.

On conduit Jésus a Pilate dans l’affreux état où l’a mis la cruauté des soldats. Le gouverneur ne douta pas qu’une victime réduite aux abois n’obtienne grâce devant le peuple ; et faisant monter avec lui le Sauveur à une galerie du palais, il le montre à la multitude, en disant : « Voilà l’homme. » (Jean, 19, 5). Cette parole était plus profonde que ne le croyait Pilate. Il ne disait pas : Voilà Jésus, ni voilà le Roi des Juifs ; il se servait d’une expression générale dont il n’avait pas la clef, mais dont le chrétien possède l’intelligence. Le premier homme, dans sa révolte contre Dieu, avait bouleversé, par son péché, l’œuvre entière du Créateur ; en punition de son orgueil et .de sa convoitise, la chair avait asservi l’esprit ; et la terre elle-même, en signe de malédiction, ne produisait plus que des épines. Le nouvel homme qui porte, non la réalité, mais ressemblance du péché, parait ; et l’œuvre du Créateur reprend en lui son harmonie première ; mais c’est par la violence. Pour montrer que la chair doit être asservie à l’esprit, la chair en lui est brisée sous les fouets ; pour montrer que l’orgueil doit céder la place à l’humilité, s’il porte une couronne, ce sont les épines de la terre maudite qui la forment sur sa tête. Triomphe de l’esprit sur les sens, abaissement de la volonté superbe sous le joug de la sentence : voilà l’homme.

Israël est comme le tigre ; la vue du sang irrite sa soif ; il n’est heureux qu’autant qu’il s’y baigne. À peine a-t-il aperçu sa victime ensanglantée, il s’écrie avec une nouvelle fureur : « Crucifiez-le ! Crucifiez-le ! — Eh bien, dit Pilate, prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le ; pour moi, je ne trouve aucun crime en lui. » Et cependant on l’a mis, par son ordre, dans un état qui, à lui seul, peut lui causer la mort. Sa lâcheté sera encore déjouée. Les juifs répliquent en invoquant le droit que les Romains laissaient aux peuples conquis : « Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir ; car il s’est dit le Fils de Dieu. » À cette réclamation, Pilate se trouble ; il rentre dans la salle avec Jésus, et lui dit : « D'où êtes-vous ? » Jésus se tait ; Pilate n’était pas digne d’entendre le Fils de Dieu lui rendre raison de sa divine origine. Il s’irrite cependant : « Vous ne me répondez-pas ? dit-il ; ne savez-vous pas que ai le pouvoir de vous crucifier, et le pouvoir de vous absoudre ? » Jésus daigne parler ; et c’est pour nous apprendre que toute puissance de gouvernement, même chez les infidèles, vient de Dieu, et non de ce qu’on appelle le pacte social : « Vous n’auriez pas ce pouvoir, répondit-il, s’ il ne vous avait donné d’en haut ; c’est pour cela que le péché de celui qui, m’a livré à vous est d’autant plus grand. » (Jean. 19).

La noblesse et la dignité de ces paroles subjuguent le gouverneur ; et il veut encore essayer de sauver Jésus. Mais les cris du peuple pénètrent de nouveau jusqu'à lui : « Si vous le laissez aller, lui dit-on, vous n’êtes pas l’ami de César. Quiconque se fait roi, se déclare contre César. » À ces paroles, Pilate, essayant une dernière fois de ramener la pitié ce peuple furieux, sort de nouveau, et monte sur un siège en plein air ; il s’assied et fait amener Jésus : « Le voilà, dit-il, votre roi ; voyez si César a quelque chose à craindre de lui. » Mais les cris redoublent : Ôtez-le ! Ôtez-le ! Crucifiez-le ! Mais, dit le gouverneur, qui affecte de ne pas voir la gravite du péril ; crucifierai-je donc votre roi ? Les Pontifes répondent : « Nous n’avons point d’autre roi que César. » (Jean. 19). Parole indigne qui, lorsqu'elle sort du sanctuaire, annonce aux peuples que la foi est en péril ; en même temps parole de réprobation pour Jérusalem ; car si elle n’a pas d’autre roi que César, le sceptre n’est plus dans Juda, et l’heure du Messie est arrivée.

Pilate, voyant que la sédition est au comble et que sa responsabilité de gouverneur est menacée, se résout à abandonner Jésus à ses ennemis. Il porte enfin, quoique à contrecœur, cette sentence qui doit produire en sa conscience un affreux remords dont bientôt il cherchera la délivrance dans le suicide. Il trace lui-même sur une tablette, avec un pinceau, l’inscription qui doit être placée au-dessus de la tête de Jésus. Il accorde même à la haine des ennemis du Sauveur que, pour une plus grande ignominie, deux voleurs seront crucifiés avec lui. Ce trait était nécessaire à l’accomplissement de l’oracle prophétique : « Il sera mis au rang des scélérats. » (Is. 53, /2) Puis, lavant ses mains publiquement, à ce moment où il souille son âme du plus odieux forfait, il s’écrie en présence du peuple : « Je suis innocent du sang de ce juste : cela vous regarde. » Et tout le peuple répond par ce souhait épouvantable : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. » (Math. 27, 24-25). Ce fut le moment où le signe du parricide vint s’empreindre sur le front du peuple ingrat et sacrilège, comme autrefois sur celui de Caïn ; dix-neuf siècles de servitude, de misère et de mépris ne l’ont pas effacé. Pour nous, enfants de la gentilité, sur lesquels ce sang divin est descendu comme une rosée miséricordieuse, rendons grâce à la bonté du Père céleste, qui « a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique » (Jean.. 3,16) ; rendons grâces à l’amour de ce Fils unique de Dieu, qui, voyant que nos souillures ne pouvaient être lavées que dans son sang, nous le donne aujourd'hui jusqu'à la dernière goutte.

Ici commence la Voie douloureuse, et le Prétoire de Pilate, ou fut prononcée la sentence de Jésus, en est la première station. Le Rédempteur est abandonné aux Juifs par l’autorité du gouverneur. Les soldats s’emparent de lui et l’emmènent hors de la cour du Prétoire. Ils lui enlèvent le manteau de pourpre, et le revêtent de ses vêtements qu’ils lui avaient ôtés pour le flageller ; enfin ils chargent la croix sur ses épaules déchirées. Le lieu  où le nouvel Isaac reçut ainsi le bois de son sacrifice est désigné comme la seconde station. La troupe des soldats, renforcée des exécuteurs, des princes des prêtres, des docteurs de la loi, d’un peuple immense, se met en marche. Jésus s’avance sous le fardeau de sa croix ; mais bientôt, épuisé par le sang qu’il a perdu et par les souffrances de tout genre, il ne peut plus se soutenir, et tombant une première fois, il marque par sa chute la troisième station.

Les soldats relèvent avec brutalité le divin captif qui succombait plus encore sous le poids de nos péchés que sous celui de l’instrument de son supplice. Il vient de reprendre sa marche chancelante, lorsque tout à coup sa mère éplorée se présente à ses regards. La femme forte, dont l’amour maternel est invincible, s’est rendue sur le passage de son fils, elle veut le voir, le suivre, s’attacher à lui, jusqu'à ce qu’il expire. Sa douleur est au-dessus de toute parole humaine ; les inquiétudes de ces derniers jours ont déjà épuisé ses forces ; toutes les souffrances de son fils lui ont été divinement manifestées ; elle s’y est associée, et elle les a toutes endurées une à une. Mais elle ne peut plus demeurer loin du regard des hommes, le sacrifice avance dans son cours, la consommation est proche ; il lui faut être avec son fils, et rien ne la pourrait retenir en ce moment. La fidèle Madeleine est près d’elle, noyée dans ses pleurs ; Jean, Marie mère de Jacques avec Salomé, l’accompagnent aussi ; ils pleurent sur leur maître ; mais elle, c’est sur son fils qu’elle pleure. Jésus la voit et il n’est pas en son pouvoir de la consoler, car tout ceci n’est encore que le commencement des douleurs. Le sentiment des angoisses qu’éprouve en ce moment le cœur de la plus tendre des mères vient oppresser d’un nouveau poids le cœur du plus aimant des fils. Les bourreaux n’accorderont pas un moment de retard dans la marche, en faveur de cette mère d’un condamné ; elle peut se traîner, si elle le veut à la suite du funeste convoi ; c’est beaucoup pour eux qu’ils ne la repoussent pas ; mais la rencontre de Jésus et de Marie sur le chemin du Calvaire désignera pour jamais la quatrième station.

La route est longue encore ; car, selon la loi, les criminels devaient subir leur supplice hors des portes de la ville. Les juifs en sont à craindre que la victime n’expire avant d’être arrivée au lieu du sacrifice. Un homme qui revenait de la campagne, nommé Simon de Cyrène, rencontre le douloureux cortège ; on l’arrête, et, par un sentiment cruellement humain envers Jésus, on oblige cet homme à partager avec lui l’honneur et la fatigue de porter l’instrument du salut du monde. Cette rencontre de Jésus avec Simon de Cyrène consacre la cinquième station.

À quelques pas de là, un incident inattendu vient frapper d’étonnement et de stupeur jusqu'aux bourreaux eux-mêmes. Une femme fend la foule, écarte les soldats et se précipite jusqu'auprès du Sauveur. Elle tient entre ses mains son voile qu’elle a détaché, et elle en essuie d’une main tremblante le visage de Jésus, que le sang, la sueur et les crachats avaient rendu méconnaissable. Elle l’a reconnu cependant, parce qu’elle l’a aimé ; et elle n’a pas craint d’exposer sa vie pour lui offrir ce léger soulagement. Son amour sera récompensé : la face du Rédempteur, empreinte par miracle sur ce voile, en fera désormais son plus cher trésor ; et elle aura eu la gloire de désigner, par son acte courageux, la sixième station de la Voie douloureuse.

Cependant les forces de Jésus s’épuisent de plus en plus, à mesure que l’on approche du terme fatal. Une subite défaillance abat une seconde fois la victime, et marque la septième station. Jésus est bientôt relevé avec violence par les soldats, et se traîne de nouveau sur le sentier arrosé de son sang. Tant d’indignes traitements excitent des cris et des lamentations dans un groupe de femmes qui, émues de compassion pour le Sauveur, s’étaient mises à la suite des soldats et avaient bravé leurs insultes. Jésus touché de l’intérêt courageux de ces femmes qui, dans la faiblesse de leur sexe, montraient plus de grandeur d’âme que le peuple entier de Jérusalem, leur adresse un regard de bonté, et reprenant toute la dignité de son langage de prophète, il leur annonce, en présence des princes des prêtres et des docteurs de la loi, l’épouvantable châtiment qui suivra bientôt l’attentat dont elles sont témoins et qu’elles déplorent avec tant de larmes. « Filles de Jérusalem, leur dit-il, à cet endroit même qui est compte pour la huitième station, filles de Jérusalem ! Ce n’est pas sur moi qu’il faut pleurer ; c’est sur vous et sur vos enfants ; car il viendra des jours où l’on dira : Heureuses les stériles, et les entrailles qui n’ont point porté, et les mamelles qui n’ont point allaité ! Alors ils diront aux montagnes : Tombez sur nous ; et aux collines : Couvrez-nous ; mais si l’on traite ainsi le bois vert aujourd'hui, comment alors sera traité le bois sec ? » (Luc. 23, 27-31).

Enfin on est arrivé au pied de la colline du Calvaire, et Jésus doit encore la gravir avant d’arriver au lieu de son sacrifice. Une troisième fois son extrême fatigue le renverse sur la terre, et sanctifie la place où les fidèles vénéreront la neuvième station. La soldatesque barbare intervient encore pour faire reprendre à Jésus sa marche pénible, et après bien des coups, il parvient enfin au sommet de ce monticule qui doit servir d’autel au plus sacré et au plus puissant de tous les holocaustes. Les bourreaux s’emparent de la croix et vont l’étendre sur la terre, en attendant qu’ils y attachent la victime. Auparavant, selon l’usage des Romains, qui était aussi pratiqué par les Juifs, on offre Jésus une coupe qui contenait du vin mêlé de myrrhe. Ce breuvage qui avait l’amertume du fiel, était un narcotique destiné à engourdir jusqu'à un certain point les sens du patient, et à diminuer les douleurs de son supplice. Jésus touche an moment de ses lèvres cette potion que la coutume, plutôt que l’humanité, lui faisait offrir ; mais il refuse d’en boire, voulant rester tout entier aux souffrances qu’il a daigné accepter pour le salut des hommes. Alors les bourreaux lui arrachent avec violence ses vêtements collés à ses plaies et s’apprêtent à le conduire au lieu où la croix l’attend. L’endroit du Calvaire où Jésus fut ainsi dépouillé, et où on lui présenta le breuvage amer, est désigné comme la dixième station de la Voie douloureuse. Les neuf premières sont encore visibles dans les rues de Jérusalem, de l’emplacement du Prétoire jusqu'au pied du Calvaire ; mais cette derrière ainsi que les quatre suivantes, sont dans l’intérieur de l’Église du Saint-Sépulcre qui renferme dans sa vaste enceinte le théâtre des dernières scènes de la Passion du Sauveur.

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