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Méditation pour le 1er mystère douloureux
Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.
DE L'APPARITION DE L'ANGE
ET DE LA SUEUR DE SANG
I. — De l'apparition de l'ange
Comme Jésus était en prière, il lui apparut un ange qui venait du ciel pour le fortifier. Ce point présente trois considérations : Quel est celui qui envoya l'ange ; quel était cet ange ; comment il fortifia Notre-Seigneur.
1) Celui qui envoya l'ange, c'est le Père éternel. Voyant son Fils persévérer dans l'oraison, malgré son délaissement et sa tristesse, il voulut lui prouver qu'il prenait soin de lui et qu'il ne rejetait point sa prière, en lui députant ce messager céleste pour le consoler en son nom, comme il avait commandé à d'autres anges de lui porter à manger dans le désert, lorsqu'il eut vaincu le démon. Dieu nous montre par cette conduite le soin paternel qu'il a de ceux qui le prient. Il ne manque jamais, au temps marqué, de les consoler par des anges invisibles, c’est-à-dire par ses inspirations. S'il tarde quelquefois à les visiter, ce n'est pas qu'il les abandonne, c'est qu'il voit que sa visite leur sera plus avantageuse dans un autre temps.
2) On peut croire que l'ange envoyé du ciel fut saint Gabriel ; car c'est lui qui était chargé de servir le Verbe incarné, non à titre d'ange gardien, mais comme ministre et exécuteur de ses ordres en tout ce qui concernait le mystère de la Rédemption. Il vint seul, parce qu'un seul ange suffisait pour accomplir la mission de fortifier le Sauveur ; mais eût-il fallu douze légions d'anges, l'oraison de Jésus était assez puissante pour les obtenir de son Père, comme il le déclara lui-même peu de temps après.
Nous voyons par-là que l'office des esprits célestes est d'assister ceux qui prient, de les consoler, de les animer, de présenter à Dieu leurs prières et de leur apporter la réponse favorable du Très-Haut. L'oraison a encore la force d'attirer les saints anges auprès de nous, et de les faire descendre du ciel en aussi grand nombre que cela est nécessaire pour nous secourir.
3) L'ange, sous une forme, visible, et la compassion sur le visage, adressa au Sauveur des hommes des paroles pleines de respect. Il mit en avant diverses raisons propres à le fortifier et à le consoler dans sa tristesse. « C'était par la volonté de son Père éternel qu'il devait boire ce calice amer et mourir ; sa mort était l'unique moyen de sauver le monde, de tirer des limbes les âmes des justes, de peupler le ciel et d'accomplir les prophéties du reste, sa Passion durerait peu, et elle serait bientôt suivie de la' gloire de la Résurrection et d'un éternel repos. » Telles, avec d'autres semblables, sont les raisons que l'ange proposa à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Sauveur les écoutait avec humilité, voulant nous faire connaître qu'il avait besoin, en tant qu'homme, d'être consolé par ses créatures. Il n'ignorait pas sans doute tout ce que pouvait lui suggérer le messager céleste ; et cependant il prenait plaisir à l'entendre, et il se sentait intérieurement fortifié par ses paroles.
L'exemple de Notre-Seigneur nous enseigne encore à recevoir humblement la consolation, de quelque personne qu'elle nous vienne, quand elle aurait moins de science et de discernement que nous, et quand nous saurons tout ce qu'elle peut nous dire : car il arrive souvent que Dieu console les plus grands par les plus petits, faisant sentir à ceux-là plus vivement des vérités qui leur étaient déjà connues. Apprenons aussi de ce même exemple à nous consoler dans nos maux par des raisons plus divines qu'humaines, et enfin à écouter celles que l'Esprit consolateur a coutume de suggérer aux âmes pour les consoler.
II. — De la sueur de sang
Jésus, entendant le discours de l'ange, tomba en agonie. Il redoublait ses prières, et il eut une sueur comme de gouttes de sang qui coulait jusqu'à terre. Sur ce passage lamentable, considérons attentivement les causes de cette sueur extraordinaire et prodigieuse, qui nous révèle la violence de la douleur que ressentait l'âme très sainte de Jésus-Christ.
1) Figurerons-nous le combat terrible qui s'éleva dans l'intérieur de Jésus. C'était, d'un côté, la tristesse, la crainte de la mort, l'horreur des tourments ; de l'autre, le zèle de la gloire de Dieu et du salut des hommes. L'imagination, remplie de l'idée affreuse de tant de cruelles tortures, ravivait les sentiments de crainte et de tristesse ; mais la raison, approuvant la mort, embrasait le zèle et l'amour et résistait aux sentiments contraires. Dans cette lutte du Sauveur, l'angoisse de son âme s'accrut au point de faire jaillir le sang par tous les pores de son corps adorable, et en si grande abondance, que la terre en fut arrosée.
La manière de vaincre nos passions est de nous mettre distinctement devant les yeux, à l'imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, toutes les choses qui nous causent de la crainte et de l'épouvante dans le chemin de la vertu et dans l'accomplissement de la volonté divine, par exemple, la pauvreté, les mépris, la douleur, les maladies ou toute autre difficulté ; puis de lutter généreusement contre nos répugnances, plein de zèle pour la gloire de Dieu et pour notre salut, nous efforçant de soumettre à la loi divine notre nature rebelle, résistant avec énergie, par une sainte haine du péché, à nos inclinations mauvaises, en y résistant, s'il le faut, jusqu'au sang.
2) Réfléchissons sur la charité et la libéralité sans mesure dont Notre-Seigneur nous donne la preuve en répandant lui-même son sang pour nous. C'est pour cela qu'il est comparé dans les Cantiques à l'arbre qui produit la myrrhe. Cet arbre distille d'abord goutte à goutte par tous ses pores, comme une sueur précieuse, la liqueur odoriférante que l'on appelle myrrhe ; mais ensuite on lui fait des incisions et on le dépouille de son écorce pour qu'il la répande en plus grande abondance. De même Jésus-Christ Notre-Seigneur ne peut attendre que les bourreaux tirent son sang de ses veines au moyen des fouets, des épines et des clous ; il veut que son imagination et son zèle lui tiennent lieu de bourreaux et que la représentation des tourments qu'il doit endurer soit assez vive pour faire couler le sang de sa tête, de son visage, de ses épaules, de sa poitrine et de tout le reste de son corps. De sorte qu'il souffre à la fois au fond de son âme tous les maux qu'il souffrira successivement dans le cours de sa Passion, comme s'il était en même temps pris, flagellé, couronné d'épines, crucifié, abreuvé de fiel, en proie aux douleurs de la mort : tant il est vrai qu'il est plus empressé de répandre son sang pour nous donner la vie que ses ennemis ne sont impatients de lui donner la mort pour assouvir leur haine.
3) La troisième cause de la sueur de sang du Sauveur, c'est qu'il voulait nous montrer le sentiment de compassion vive et tendre que lui causaient nos péchés et les plaies mortelles de son corps mystique qui est l'Église. Profondément touché de nos maux, il n'hésita pas à prendre, en qualité de chef, le remède qui devait guérir les membres ; et ce remède fut si violent qu'il excita par tout son corps cette sueur extraordinaire. Ce qui efface nos péchés, c'est l'eau de nos larmes qui procèdent de la douleur intérieure : or la douleur intérieure du Fils de Dieu fut si véhémente que non seulement elle fit couler de ses yeux des ruisseaux de lardes, mais qu'elle ouvrit tous les pores de son corps pour en faire sortir des ruisseaux de sang qui baignèrent la terre.
4) Notre-Seigneur voulait nous faire comprendre combien il ressentait les peines et les tourments que devait souffrir dans tous les siècles le corps mystique des élus. Selon la pensée de saint Laurent Justinien, Jésus dans son âme, fut alors lapidé avec saint Étienne, crucifié avec saint Pierre et saint André, écorché avec saint Barthélemy, rôti sur un gril avec saint Laurent, déchiré par les bêtes avec saint Ignace ; en un mot, il endura spirituellement tout ce que les martyrs ont depuis souffert dans leurs corps : ce qui le saisit d'une si vive douleur qu'il en répandit une sueur de sang.
5) Pour terminer ce point, songeons que cette sueur si violente dut affaiblir extrêmement le corps de Jésus, qu'étant seul il n'avait ni de quoi s'essuyer, ni personne pour le consoler. Il n'y eut que l'Ange qui, étonné lui-même d'un si étrange spectacle, essaya sans doute de le fortifier de nouveau, jusqu'au moment où le Sauveur se leva et alla au-devant de ses ennemis.
III. — Jésus visite ses apôtres pour la, troisième fois
Après cette lutte terrible et la sueur de sang, Jésus-Christ se leva du lieu où il priait, et il vint pour la troisième fois vers ses disciples. Il les trouva appesantis par le sommeil et il leur dit : Dormez maintenant et reposez-vous. Mais bientôt après il les réveilla, leur disant : C'est assez ; levez-vous, allons : celui qui doit, nous trahir est près d'ici.
1) Considérerons la force et la vigueur que le corps affaibli du Sauveur puisa dans l'oraison, et avec quelle assurance il va au-devant des tourments. Il nous prouve par son exemple l'efficacité et la vertu qu'elle a de fortifier la faiblesse de la chair, jusqu'à lui faire braver avec intrépidité ce qu’auparavant elle fuyait avec horreur.
2) Considérerons la douceur du Seigneur Jésus qui, aussitôt après les angoisses de son agonie, voyant l'insouciance et l'assoupissement de ses disciples, leur dit avec compassion, loin de s'indigner contre eux : Dormez maintenant et reposez-vous.
3) Bientôt après, il les réveille et leur dit : Levez-vous, voici venir le traître. C'est un doux reproche qu'il leur adresse. Vous qui êtes mes amis, vous dormez ; mais votre ennemi ne dort pas. Confondons-nous en voyant que les méchants sont plus ardents à persécuter et à offenser Jésus-Christ, que nous ne le sommes à le servir. Toutefois, mettant notre confiance en sa grâce ; levons-nous avec les disciples pour l'accompagner dans la voie douloureuse de sa Passion, nous offrant de bon cœur à souffrir avec lui pour son amour.
APPLICATION DES SENS DE L'ÂME
AU SANG QUE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST RÉPANDIT
AU JARDIN DES OLIVIERS
Pour comprendre la nature de cette manière de méditer, il faut savoir que, comme le corps est doué de cinq sens extérieurs, au moyen desquels il reçoit les impressions des objets sensibles ; de même l'âme, par l'entendement et la volonté, peut former cinq actes intérieurs qui répondent à ceux de nos sens extérieurs, et que nous appelons également : voir, entendre, sentir, goûter et toucher. Par les sens du corps, nous obtenons la connaissance expérimentale des objets sensibles ; par les sens de l'âme, nous acquérons une connaissance expérimentale des choses de Dieu. Il est très utile d'appliquer cette manière d'oraison au sang divin de Jésus.
I. — Application du sens de la vue
Regardons des yeux de l'âme le sang qui coule par tout le corps de Jésus-Christ et demandons-nous quel est celui qui le répand, pour quel motif, de quelle manière et avec quelle affection il le répand. C'est un Dieu qui verse son sang pour effacer nos péchés, avec un amour infini, avec des douleurs inconcevables, au milieu des opprobres et des ignominies. Ce sang est nuancé des vives couleurs des vertus de Jésus : de son humilité, de sa patience, de sa charité. Que cette vue nous inspire des sentiments d'admiration, d'amour, de reconnaissance, avec de fervents désirs d'imiter notre Sauveur.
II. — Application du sens de l'ouïe
Écoutons, de l'oreille de l'âme, la voix du sang de Jésus, le bruit de ce même sang qui arrose la terre, les paroles du Sauveur et le concert harmonieux de ses vertus.
1) Écoutons la voix de ce sang qui s'élève jusqu'au ciel et demande au Père éternel, non point vengeance, comme le sang d'Abel, mais miséricorde pour les pécheurs. Cette voix est si puissante qu'elle obtient ce qu'elle sollicite : et comment pourrait-elle n'être pas exaucée ? Animé de vifs sentiments de confiance, ne craignons pas de demander par les mérites de ce sang divin le pardon de nos péchés.
2) Écoutons les paroles que Jésus-Christ nous adresse en nous montrant son sang : Puisque je verse mon sang divin pour votre salut, n'est-il pas juste que vous répandiez le vôtre pour mon service ? Résistez donc courageusement au péché, et soyez prêt à mourir, s'il le faut, plutôt que de m’offenser.
3) Écoutons les paroles que Jésus dit à son Père éternel en lui offrant son sang pour nous. Oh ! que le Père les écoute favorablement ! qu'il accepte de bon cœur l'offrande que lui fait son Fils ! et qu'il s'engage volontiers à lui accorder tout ce qu'il lui demandera par ce sang adorable !
4) Entendons les gémissements du Sauveur et le bruit de son sang qui ruisselle jusqu'à terre ; ayons compassion de ses douleurs, ressentons-les comme si elles étaient les nôtres, et pleurons amèrement nos péchés qui en sont la cause.
III. — Application du sens de l'odorat
1) Sentons, avec l'odorat de l'âme, la très suave odeur du sang de Jésus, qui monte jusqu'au ciel et apaise l'indignation du Tout-Puissant bien plus efficacement que le sang des animaux que Noé immola après le déluge. Oh ! que ce parfum est doux pour le Père éternel qui voit son Fils bien-aimé, tout brûlant d'amour, répandre et offrir son sang pour l'expiation de nos offenses. Il s'est livré lui-même pour nous, dit saint Paul, comme une oblation et une victime en odeur de suavités.
2) Pensons aussi que le sang de Jésus est de très agréable odeur au Père éternel, lorsqu'il lui est offert au saint sacrifice de la messe, et tirons de là de grands sentiments de confiance et d'amour.
3) Enfin, respirons le doux parfum des vertus qui accompagnent l'effusion du sang de Jésus-Christ. Ce céleste parfum fortifiera notre cœur et nous encouragera à imiter les vertus dont notre Sauveur nous donne l'exemple ; courrons après lui et faisons tous nos efforts pour l'atteindre dans cette sainte carrière. Imaginons que si notre humilité, notre patience et notre obéissance sont teintes de notre sang mêlé avec celui de Jésus, elles seront d'une très suave odeur au Père éternel, à cause de la ressemblance qu'elles auront avec celles de son Fils. Cette réflexion nous inspirera un ardent désir d'imiter jusqu'à la mort le Roi des vertus.
IV. — Application du sens du goût
1) Goûtons, avec le goût de l'âme, la suavité et la douceur du sang de Jésus et des vertus qui éclatent dans cette sueur douloureuse ; représentons-nous le contentement indicible que goûtait le Sauveur, dans la partie supérieure de son âme, à le répandre pour obéir à son Père et pour sauver les pécheurs.
2) Goûtons de même la douceur de ce sang quand nous le buvons au saint Sacrement de l'autel. Cette douceur sera un rafraîchissement très agréable pour notre âme, et elle excitera sans cesse en nous un nouveau désir de le recevoir.
3) Goûtons aussi la douceur que ce sang a la vertu de répandre sur toutes les choses amères, pourvu que nous ayons soin de les tremper dans cette liqueur divine, qui doit être l'assaisonnement de l'obéissance, des humiliations, des travaux, des mépris et de toutes les peines de cette vie.
4) Mais surtout, appliquons-nous à goûter les amertumes et les douleurs que notre Sauveur ressentit dans sa chair adorable ; efforçons-nous de les éprouver en nous-même, selon le conseil de l'Apôtre : Ressentez en vous ce que Jésus-Christ a ressenti en lui.
V. — Application du sens du toucher
Touchons, avec le toucher de l'âme, le sang de Jésus, baisons-le de nos lèvres, plongeons-nous tout entier dans ce sang de l'Agneau immaculé, afin de sortir net et pur de ce bain sacré.