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Méditation sur le 5e mystère douloureux

Le crucifiement

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

LE CRUCIFIEMENT DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST 

  

I. — Jésus est de nouveau dépouillé de ses vêtements

Considérons qu'avant de crucifier le Sauveur, on le dépouilla de nouveau de ses vêtements. Notre divin Rédempteur subit cet affront quatre fois, en expiation de tant de péchés que nous avons commis, sans rougir de nous dépouiller de sa grâce. La première, au moment de la flagellation ; la seconde, quand on voulut le revêtir d'un manteau de pourpre et le couronner d'épines ; la troisième, lorsqu'on lui ôta ce manteau pour lui remettre ses habits ; la quatrième, lorsqu'il fut sur le point d'être crucifié. Cette quatrième fois fut la plus douloureuse et la plus ignominieuse pour Jésus. Il ressentit une extrême douleur ; car il est à croire que sa tunique était collée à sa peau toute sanglante, et que ses bourreaux, lui arrachant ce vêtement avec violence, renouvelèrent toutes ses plaies et enlevèrent des lambeaux de sa chair divine : de même que celui qui tond sans précaution une brebis lui emporte souvent la peau avec la laine. Il fut couvert d'une extrême confusion ; car il se voyait ainsi exposé aux yeux d'une multitude éhontée qui ne lui épargnait ni les moqueries ni les sarcasmes. Mais cet agneau plein de douceur souffrait tout avec une humilité et une patience inexprimables, priant son Père d'accepter cette humiliation pour nous préserver de celle que nous avons méritée par nos péchés ; il nous enseignait aussi à supporter avec résignation le manque de vêtements ou des autres choses nécessaires à l'entretien corporel ; il nous exhortait surtout au détachement des biens de la terre et à la pauvreté évangélique qu'il avait recommandée par ses discours, et dont il n'avait cessé, depuis le premier instant de sa vie mortelle, de donner l'exemple.

Ô mon Sauveur, que vous accomplissez à la lettre cette parole de Job : Je suis sorti nu du sein de ma mère, et je retournerai nu au lieu de mon origine. Vous êtes arrivé nu au monde, et votre Mère vous enveloppa aussitôt de pauvres langes ; maintenant que vous allez sortir de ce monde, on vous ôte les vêtements dont elle vous a couvert, et on ne lui permet pas de vous en procurer de nouveaux. Ô Adam céleste, quelle honte vous a causée à vous-même la nudité à laquelle s'est réduit par sa désobéissance notre premier père, puisqu'il a fallu que vous fussiez dépouillé avec tant d'ignominie pour le revêtir de la robe de votre grâce. Ô amour ! Comme un vin nouveau, vous avez plongé dans l'ivresse le second Noé, le réparateur du monde ; vous l'avez laissé nu, exposé à la risée et aux railleries d'un peuple qu'il appelait son enfant : enivrez-moi de la même sorte, afin que, me dépouillant de toutes les choses de la terre, et ne possédant plus rien ici-bas, je suive Jésus attaché nu à la croix, et que j'aie le bonheur de participer aux mépris dont il est l'objet. Ô mon divin modèle, comme vous, je veux sortir nu de ce monde. Mon vêtement sera votre dénuement, mes livrées seront vos opprobres ; je n'aurai point d'autres richesses que votre pauvreté, d'autre gloire que votre confusion, d'autre vie que votre mort, car, mourant avec vous, Je ressusciterai un jour avec vous, à qui soit honneur et gloire dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

II. — Jésus étendu sur le bois de la croix

Dès que les soldats eurent dépouillé le Sauveur, ils lui commandèrent de se coucher sur l'instrument de son supplice, qui était étendu par terre. Il obéit aussitôt, et offrit ses mains et ses pieds à ceux qui devaient les percer de clous.

1) Admirons l'obéissance parfaite du Fils de Dieu. Il accomplit sans aucun délai l'ordre des bourreaux, malgré la difficulté de l'exécution, car il ne s'agit de rien moins pour lui que d'étendre ses membres tout déchirés sur un bois dur et raboteux et d'y être crucifié ; il nous enseigne par son exemple comment nous devons obéir à nos supérieurs, même lorsqu'ils sont rudes et fâcheux, et nous soumettre en vue de Dieu à tous ceux dont nous dépendons en quelque manière, pourvu qu'ils ne commandent rien de contraire à la loi du Seigneur.

Ô Adam venu du ciel, qui avez étendu vos mains, non comme l'ancien Adam formé de la terre, pour cueillir par esprit de désobéissance le fruit de l'arbre défendu, mais pour être attaché, obéissant jusqu'à la mort, à un arbre nouveau, fertile en fruits salutaires ; aidez-moi à lever les mains pour exécuter vos commandements, et à les étendre, s'il est nécessaire, sur la croix, lit mystérieux où je veux mourir pour votre amour.

2) Considérons ce que fit Notre-Seigneur Jésus-Christ lorsqu'il se vit étendu sur cette couche si dure de la croix. Il leva les yeux au ciel et rendit grâces à son Père de ce que cette heure, si longtemps désirée, était enfin venue ; il s'offrit de grand cœur à être immolé comme une victime d'expiation pour nos péchés ; il se laissa lier, comme Isaac, lorsque son père le mit sur l'autel et sur le bois où ce fils obéissant attendait le coup de la mort. Ainsi Jésus attendait les clous et les marteaux, couché sur ce bois auquel il était déjà attaché par les liens invisibles de son amour.

Ô Père éternel, puisque la soumission et l'obéissance d'Isaac vous furent si agréables que vous envoyâtes du ciel un ange pour arrêter le bras de son Père prêt à le frapper ; contentez-vous, s'il est possible, de la soumission de ce nouvel Isaac, votre Fils bien-aimé, déjà étendu sur l'autel de la croix, et envoyez un ange pour retenir la main des bourreaux. Il vous a donné assez de preuves de son entière obéissance ; acceptez comme une juste satisfaction sa volonté Inébranlable de vous obéir jusqu'à la mort ; mais n'allez pas jusqu'à exiger l'effusion de son sang. Ah ! Je comprends, Seigneur, l'inutilité de ma prière. Vos œuvres et celles de votre Fils sont toujours parfaites ; et vous voulez tous deux que rien ne manque au sacrifice, afin que notre rédemption soit abondante. Par votre charité infinie, qui soit à jamais bénie, accordez-moi, ô mon Dieu, la grâce de vous offrir de moi-même un sacrifice entier, parfait et agréable à votre divine majesté.

III. — Jésus attaché à la croix

Le Sauveur étant couché sur la croix, les soldats lui prirent les mains et les attachèrent au bois chacune avec un gros clou enfoncé à grands coups de marteaux. Ils clouèrent également les pieds, soit avec deux clous, soit avec un seul ; et de ces larges plaies coulèrent quatre ruisseaux de sang.

1) Considérons l'extrême douleur que causèrent à Jésus ces cruelles blessures dans les parties les plus nerveuses de son corps très sensible et très délicat. Si nous ressentons vivement la piqûre d'une aiguille, quelles souffrances dut éprouver Notre-Seigneur quand on lui perça les pieds et les mains avec des clous aigus qui lui ouvrirent les veines, rompirent ses nerfs et déchirèrent sa chair si tendre !

Ô mon Dieu, c'est avec raison que le prophète Isaïe vous appelle l'homme de douleurs, puisqu'il n'y eut jamais de douleurs en cette vie qui égalassent les vôtres. Ô mains puissantes, dans lesquelles est cachée la force de Dieu, qui vous a ainsi attachées aux bras de la croix ? Ô pieds sacrés, devant lesquels les démons prennent la fuite publiant leur défaite, qui vous a cloués à ce bois si dur ? Ô doux Jésus, au lieu des pierres précieuses qui devraient les orner, quelles sont ces plaies au milieu de vos mains et de vos pieds ? Quels marteaux, quels clous ont tiré le sang des veines de mon Créateur ? C'est à mes péchés qu'il faut imputer un pareil attentat. Mes mains et mes pieds, c'est-à-dire mes œuvres criminelles et mes affections désordonnées ont fait à mon âme de profondes blessures, et ces blessures vous ont été plus sensibles que celles dont votre divin corps est percé. Ô Père éternel, jetez les yeux sur les plaies de votre Fils, il vous les offre pour qu'elles soient le remède des miennes, acceptez mon offrande et guérissez-moi ; car, dans vos éternels desseins, les plaies de ce Fils innocent doivent être le salut et la guérison des esclaves malades et coupables.

2) Considérons que Jésus souffrit dans son crucifiement une autre douleur plus terrible encore que la précédente. Quand on eut cloué l'une de ses mains, les nerfs blessés par le clou se contractèrent de telle sorte, que l'autre ne pouvait atteindre l'endroit où on devait l'attacher. Les bourreaux se mirent donc à tirer le bras avec tant d'efforts, qu'ils en disloquèrent presque tous les os. Ainsi se vérifia cette parole que le Sauveur dit de lui-même au livre des Psaumes : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. » C'est-à-dire : quand mes ennemis m'ont attaché au bois de ma croix, ils ont tiré et tendu avec tant de violence mes membres affaiblis et décharnés, qu'il leur a été possible de compter tous mes os. Cette douleur fut une des plus intolérables que Notre-Seigneur endura sur la croix ; car bien qu'on n'ait brisé aucun de ses os, comme le témoigne l'Écriture, cette tension violente qui alla jusqu'à la dislocation, fut douloureuse au-delà de toute expression. Jésus offrit cette souffrance à son Père en expiation des péchés que commettent les membres de son Église par l'esprit de désunion, et par les schismes qui rompent le lien de la charité.

Ô mon Sauveur, c'est maintenant que je me sens porté à emprunter ces paroles de David : Tous mes os vous rendront gloire et s'écrieront : Seigneur, qui est semblable à vous ? Oui, que tous mes os se changent en autant de langues pour vous bénir de ce que vous avez souffert dans les vôtres ! Qui jamais fut semblable à vous dans les douleurs, les tourments, les ignominies et les mépris que vous avez endurés sur la croix ? Aucun mortel ne peut se comparer à vous, s'il contemple les infinies grandeurs de votre divinité ; aucun mortel ne peut s'égaler à vous, s'il considère les abaissements inouïs et volontaires de votre humanité. Que ne m'est-il donné de compter vos os, je veux dire d'étudier une à une les vertus admirables que vous cachez sous les dehors les plus humiliants ? Ce serait pour moi le moyen de les imiter et de me rendre semblable à vous. Je vous en conjure par vos douleurs, ô mon Dieu, faites que les prélats et les hommes parfaits qui soutiennent, comme les os, le corps de votre Église, vivent unis entre eux et avec tous les fidèles, portion la plus faible et pour ainsi parler, la chair de ce corps mystique ; afin que tous ensemble nous vous glorifiions et exaltions vos grandeurs par la sainteté de nos œuvres, répétant unanimement : Seigneur, qui est semblable à vous ? Qui pourra, comme vous, de tant de volontés différentes, ne former qu'une seule et même volonté par un seul et même amour ?

3) Considérons quelle douleur dut ressentir la très sainte Vierge lorsqu'elle entendit les bourreaux enfoncer à coups de marteaux les clous dans les mains et dans les pieds de son divin Fils. Chacun de ces coups terribles retentissait dans son cœur maternel ; et à mesure que les clous pénétraient dans les chairs de Jésus, ils entraient dans le cœur de Marie.

Ô Vierge sainte, si l'on nomme à bon droit votre Fils l'homme de douleur, on peut pour la même raison vous nommer la femme de douleur ; car, mieux que personne, vous pouvez dire à la foule réunie sur le Calvaire, et à ceux qui passent par le chemin : Regardez et voyez s'il est une douleur semblable à la mienne ! Puissent ces coups de marteaux retentir dans mon âme comme ils retentissent dans la vôtre ! Puissent les pointes de ces clous me percer le cœur comme elles percent le vôtre ! Ah ! si j'étais plus attentif aux coups que la main toute miséricordieuse du Seigneur frappe à la porte de mon âme ; si j'étais plus docile aux saintes inspirations de sa grâce ; je me sentirais bientôt le cœur brisé de douleur, en songeant que j'ai tant de fois offensé celui qui reçoit des coups si cruels pour mon amour.

IV. — Jésus élevé en croix

Notre-Seigneur étant cloué à la croix, les soldats la dressèrent et, selon toute apparence, la laissèrent tomber d'un seul coup dans la fosse où ils devaient la planter : ce qui ébranla violemment tout le corps de Jésus et lui causa d'horribles douleurs. Élevons-nous, avec notre Sauveur, élevons nos sens et nos affections, et attachons-les inséparablement à la croix.

1) Considérons la douleur, l'affliction, la confusion que ressent Jésus de se voir ainsi exposé aux regards d'une foule immense, nu, honni, chargé de malédictions, et accablé de souffrances dans tous les membres de son corps. Regardons sa tête ; il ne peut la reposer nulle part, car s'il l'appuie sur la croix, il fait entrer plus avant les épines. Regardons ses mains, la pesanteur de son corps suspendu en l'air les tire avec violence et les déchire cruellement. Regardons ses pieds ; leurs plaies s'agrandissent et se dilatent par le poids dont ils sont chargés. Contemplons notre adorable Sauveur ; et le voyant couvert de blessures profondes et multipliées en satisfaction de nos péchés, soyons du moins pénétré d'un vif regret de les avoir commis.

2) Considérons les quatre ruisseaux de sang qui coulent de ses quatre principales plaies, non pour arroser la terre, comme les quatre fleuves du paradis terrestre, mais pour arroser le cœur de l'homme et le rendre fertile en bonnes œuvres. Approchons-nous en esprit de ces sources de bénédictions, goûte la douceur de ce sang répandu avec tant d'amour et tant de douleurs, lavons-nous et purifions-nous de nos fautes dans ce bain salutaire, à l'exemple de ceux dont il est écrit dans l'Apocalypse : « Ils ont lavé et blanchi leurs vêtements dans le sang de l'Agneau. »

Ô sang précieux, lavez-moi, purifiez-moi, échauffez-moi, enivrez-moi. C'est l'amour qui vous a tiré des veines de Jésus au prix d'innombrables douleurs ; rendez-moi participant des douleurs et de l'amour de Jésus.

3) Écoutons les cris de joie féroce que poussent les ennemis de notre Sauveur, dès qu'ils le voient élevé entre le ciel et la terre, tout défiguré, épuisé de forces, attendant une mort désormais inévitable. Écoutons les sanglots des filles de Jérusalem, les plaintes et les soupirs des saintes femmes présentes à ce spectacle. — Ô Seigneur, quel supplice pour vous d'entendre à la fois et les clameurs de vos ennemis et les gémissements de vos amis ! Lorsque les amis de Job, levant les yeux, le virent étendu sur un fumier, couvert d'ulcères, presque méconnaissable, ils ne purent s'empêcher de jeter un grand cri, de verser des larmes amères, de déchirer leurs vêtements et de se couvrir la tête de poussière ; puis ils demeurèrent auprès de lui sept jours entiers, sans oser lui adresser un seul mot, parce qu'ils voyaient que sa douleur était violente. Et maintenant, Seigneur, vos amis lèvent les yeux, et ils vous voient cloué sur le lit douloureux de la croix, couvert depuis les pieds jusqu'à la tête de plaies plus horribles et plus cruelles que celles de Job. Vous êtes tellement défiguré, qu'ils vous reconnaissent à peine : aussi ne peuvent-ils retenir ni leurs cris ni leurs larmes. La force de la douleur déchire leurs entrailles ; la vue de votre corps adorable dépouillé de ses vêtements les oblige à baisser les yeux ; ils se couvrent la tête de cendre, et, tout hors d'eux-mêmes, ils gardent un morne silence, sans qu'il leur soit possible de vous adresser une parole de consolation, parce qu'ils comprennent l'excès de votre douleur. Oh ! Que ne sommes-nous touchés d'une semblable compassion ! Assurément, nous avons plus sujet de compatir à vos souffrances, que les amis de Job n'en avaient de ressentir les siennes. Car enfin, votre serviteur Job ne souffrait pas pour les péchés de ses amis ; et vous, notre Sauveur, vous souffrez pour les nôtres. De plus, si la douleur de ce saint homme fut grande, la vôtre l'est sans comparaison davantage ; car lui ne mourut pas de ses maux, tandis que vous perdez cruellement la vie au milieu de vos tourments.

Pleure donc, ô mon âme, pleure sans cesse la Passion de ton Rédempteur ; sois profondément attristée de ses peines, couvre-toi la tête de cendres, fais pénitence de tes péchés ; et, bien que ta langue ne sache ou ne puisse articuler un seul mot, médite en toi-même les opprobres et les souffrances de ton Jésus, non durant sept jours, mais tous les jours de ta vie, établissant ta demeure au pied de la croix.

4) Enfin, considérons l'inexprimable affliction dans laquelle fut plongée la très sainte Vierge, à la première vue de son divin Fils élevé en croix. Le Fils et la Mère, par leurs mutuels regards, se communiquent l'un à l'autre une navrante tristesse. La Mère est crucifiée en esprit à la vue de son Fils ; le Fils ressent un surcroît de tourments à la vue de sa Mère ; et tous deux, réduits au silence par l'excès de la souffrance, gémissent sur les maux l'un de l'autre sans songer à leurs propres maux.

Prends place, ô mon âme, entre ces deux crucifiés ; lève les yeux sur le Fils attaché à la croix avec des clous de fer, puis abaisse-les sur la Mère clouée à ce même bois par la violence de sa compassion et de sa douleur. Conjure-les tous deux de partager avec toi leurs souffrances, en sorte que tu sois crucifiée avec eux par une entière conformité de sentiments.

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Méditation sur le 4e mystère douloureux

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

LE PORTEMENT DE CROIX 

 

I. — Jésus porte sa croix

Jésus, portant lui-même sa croix, alla au mont Calvaire, nommé en hébreu Golgotha.

1) Considérons quelle confusion éprouva Notre Seigneur lorsqu'il sortit de la maison de Pilate, la croix sur les épaules, entre deux voleurs, précédé des ministres de la justice, qui publiaient le sujet de sa condamnation au milieu des clameurs d'un peuple innombrable accouru de toutes parts pour assister à ce spectacle. — Ô saints anges, témoins des ignominies de votre Maître, comment ne descendez-vous pas du ciel pour déclarer aux hommes la vraie cause de sa mort et venger ainsi son honneur ? Ô Père éternel, que faites-vous lorsque vous voyez votre Fils chargé du bois de sa croix, sur lequel il va être immolé ? Abraham, ayant mis sur son fils Isaac le bois de l'holocauste, portait dans ses mains le fer et le feu. Mais vous, Seigneur, de quel feu vous êtes embrasé ! Quel glaive est dans vos mains ! C'est l'amour qui vous oblige à tirer le glaive de la justice contre votre propre Fils pour rendre, par la mort de l'innocent, la vie aux coupables !

Embrasez-moi, ô mon Dieu, de ce feu céleste, afin que j'aime celui qui m'a tant aimé ; percez mon cœur de ce glaive, afin que je meure à tout ce qui peut vous déplaire. Mais je remarque, Seigneur, que vous ne sortez point de nuit, ni accompagné seulement de deux serviteurs, comme fit Abraham vous sortez, au contraire, en plein jour, au milieu d'une foule immense qui s'était rassemblée pour être présente au sacrifice de votre Fils. C'est que vous voulez que vos œuvres resplendissent à tous les regards et qu'elles échauffent tous les cœurs, semblables au soleil qui, dans son midi, n'a pas moins d'ardeur que d'éclat. Comprends, ô mon âme, la sublime charité du Père, comprends l'humilité profonde et l'héroïque obéissance du Fils, et alors tu te glorifieras de ses opprobres, et tu les embrasseras avec amour devant tous les hommes.

2) Considérons quelle intolérable douleur ressentit le corps affaibli de notre divin Sauveur lorsqu'il fut chargé de sa lourde croix ; combien de fois, épuisé par les tourments déjà soufferts, il chancela et tomba sur ses genoux, succombant sous le faix ; comment la sueur coula de son front dans ces angoisses ; comment le sang qui ruisselait de ses plaies récentes, arrosa les rues de Jérusalem ; enfin, comment sa chair sacrée, ainsi que le raisin dans le pressoir, fut broyée par le bois pesant de sa croix.

Ô sang du Dieu vivait, sang d'un prix infini, comment êtes-vous mêlé à la boue des rues et foulé aux pieds des mortels ! Anges du ciel, pourquoi ne venez-vous pas recueillir ce sang adorable ? Et que n'êtes-vous ici, près de votre Roi, qui perd ses forces avec son sang, pour l'aider à porter ce pénible fardeau ? Ô mon Jésus, que ne puis-je prendre votre croix sur mes épaules et procurer ainsi quelque soulagement aux vôtres ! Souhait téméraire : il faut les épaules d'un Dieu pour porter l'instrument de la Rédemption du monde. Aujourd'hui s'accomplissent en vous les oracles de votre Prophète : Il portera sur son épaule le signe de sa domination, qui commencera par la croix ; Il portera la clef de la maison de David, avec laquelle Il ouvrira aux hommes les portes du ciel, qui demeureront fermées jusqu'à ce qu'Il y entre le premier.

3) Considérons que nos péchés furent pour Jésus-Christ un poids plus accablant sans comparaison que le bois de sa croix. Nos iniquités, disait un roi pénitent, se sont élevées jusqu'au-dessus de ma tête ; elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau insupportable. Quel fardeau ne sont donc pas pour notre Rédempteur les péchés de tous les hommes qui ont existé, existent et doivent exister jusqu'à la fin du monde ! Et cependant telle est la charge que porte ce divin Sauveur, suivant cette parole d'Isaïe : Nous nous étions tous égarés comme des brebis errantes ; chacun de nous s'était détourné de la voie du Seigneur pour suivre sa propre voie ; et Dieu l'a chargé lui seul de l'iniquité de nous tous.

Ô bon Jésus, ce sont mes péchés qui font ployer vos épaules ; je suis la brebis égarée, et vous êtes l'Agneau immaculé que l'on conduit à la boucherie, je veux dire au Calvaire, où vous devez être immolé en expiation de mes fautes. Oh ! Que je voudrais ne m'en être jamais rendu coupable l que je souhaiterais vous avoir épargné de si cruels tourments I Mais, puisque j'ai eu le malheur de vous offenser, il est juste du moins que j'accepte une partie de la peine, et que je ne refuse pas de porter la croix que j'ai méritée. Je suis prêt, Seigneur, à la porter jusqu'à la mort, comme vous avez porté la vôtre.
 

II. — Les Juifs forcent un étranger de porter la croix de Jésus

Or comme ils le conduisaient à la mort, ils arrêtèrent un homme de Cyrène appelé Simon, qui venait des champs, et le forcèrent de porter la croix après Jésus.

1) Considérons à quel excès de fatigue fut réduit Notre-Seigneur allant au Calvaire. Ses ennemis prennent de là occasion pour le railler de sa faiblesse. Voilà, disaient-ils, cet homme qui s'est fait passer pour le Fils de Dieu et qui s'est vanté de rebâtir le temple en trois jours. Jésus souffrait ces injures avec une admirable patience jusqu'à ce que les princes des prêtres, craignant de le voir expirer dans le chemin, le déchargèrent de sa croix, non à dessein de le soulager, mais pour satisfaire l'envie qu'ils avaient de le crucifier. — Tirons de là un puissant motif de consolation dans nos peines. Si pesantes que soient les croix qui peuvent nous atteindre, nous devons avoir une ferme confiance que Jésus-Christ, notre Sauveur, ne nous refusera pas le secours nécessaire pour les porter avec patience, nous rappelant les paroles de saint Paul aux fidèles de Corinthe : Les maux que nous avons eu à souffrir ont été excessifs et au-dessus de nos forces ; la vie nous était un fardeau, et nous n'attendions plus que la mort ; mais Dieu nous a délivrés de toutes nos afflictions et il nous en délivrera à l'avenir, comme nous l'espérons de sa bonté.

2) Considérons que Notre-Seigneur Jésus-Christ pouvait assurément porter seul sa croix jusqu'au Calvaire : Il n'avait pour cela qu'à fortifier son corps d'une manière miraculeuse. Toutefois Il ne voulut pas user de ce pouvoir divin ; Il aima mieux être aidé par un autre à la porter. Son intention était de nous enseigner que la croix doit être le partage de tous les chrétiens, que tous doivent la porter à son exemple et accomplir cette parole de l'Évangéliste : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce soi-même, qu'il porte sa croix tous les jours et me suive.

Ô bon Jésus, si vous marchez devant moi chargé de cette croix pesante qui vous fait plier les genoux, est-ce beaucoup que je vous suive, chargé, moi aussi, d'une croix dont votre grâce diminue le poids ? La croix que je porte, Seigneur, est à la fois la vôtre et la mienne : elle est vôtre, car vous l'avez portée le premier, elle me vient par votre ordre, et je la porte à cause de vous ; elle est mienne, parce que vous l'avez proportionnée à mes forces, et que vous me l'envoyez pour le bien de mon âme : car si vous me gratifiez de votre croix, c'est afin que je recueille les fruits abondants et glorieux qu'elle produit.

3) Considérons qu'il ne se trouva personne pour consentir à se charger de la croix de Jésus et lui venir en aide au milieu de ses souffrances. Les Juifs s'imaginaient qu'on ne pouvait toucher le bois de la croix sans encourir la malédiction du ciel, parce qu'il est écrit dans leur loi : Maudit de Dieu est celui qui meurt suspendu à un bois infâme. Pour les soldats, qui étaient des Gentils, ils regardaient la croix comme un opprobre. Enfin, nul des disciples et des amis du Sauveur n'osait se montrer, tant ils redoutaient la fureur des Juifs. On fut donc obligé de contraindre un étranger qui passait à la porter. Nous voyons ici figurées plusieurs sortes de personnes qui fuient la croix de Jésus-Christ. Les uns l'abhorrent, parce qu'ils n'en connaissent pas la vertu : ce sont les infidèles. Les autres la méprisent, comme contraire à leur dignité personnelle : ce sont les orgueilleux et les ambitieux. D'autres en ont peur, comme d'un fardeau trop pesant pour leurs épaules : ce sont les hommes délicats et sensuels.

Oh ! qui changera mes yeux en deux sources de larmes, pour pleurer avec saint Paul l'aveuglement des ennemis de la croix de Jésus-Christ, qui auront pour fin la damnation, qui font leur Dieu de leur ventre, qui mettent leur gloire dans leur propre honte, et qui n'ont de pensées et d'affections que pour la terre ! Ne permettez pas, ô Roi de gloire, que je sois l'ennemi de votre croix, car je serais infailliblement le vôtre. Ne permettez pas que je fasse mon Dieu de mon corps, ni mon idole de la gloire du monde. Vous seul, ô Jésus crucifié, êtes mon Dieu, vous seul ma gloire. Votre croix sera mon ambition et mes délices : ami de la croix, je serai aussi l'ami de celui qui s'est immolé pour moi sur la croix.

 III. — Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter sa croix

Considérons Simon le Cyrénéen portant la croix du Sauveur. De son nom, de sa qualité, de sa résignation, et de sa récompense, tirons quelques réflexions utiles à notre âme : car ces circonstances ne peuvent être attribuées au hasard.

1) Il se nomme Simon, c'est-à-dire, obéissant. Cela signifie que le principal exercice de l'obéissance chrétienne est de combattre les répugnances de notre volonté propre pour accepter avec soumission les croix que Dieu nous envoie, de quelque côté et en quelque manière qu'elles nous arrivent. Ce sont les obéissants qui allègent le fardeau de Jésus-Christ et de ses ministres, tandis que les indociles sont à charge à leurs supérieurs et les font gémir dans l'accomplissement de leur emploi, selon la remarque de saint Paul.

Ô mon Jésus, vous avez porté votre croix par obéissance, et vous vous êtes humilié au point de vous rendre obéissant jusqu'à la mort de la croix ; aussi montrez-vous tant d'amour pour les, enfants d'obéissance, que, par une prédilection spéciale, vous cédez votre croix à un homme qui tire son nom de cette vertu : accordez-moi donc la grâce de faire et de souffrir tout ce qu'il vous plaira d'ordonner à mon sujet, lors même que la soumission à votre volonté serait pour moi une pesante croix.

2) Cet homme est un étranger, et il vient des champs à Jérusalem. Nous voyons par là que ceux qui désirent rencontrer Jésus-Christ et mériter de porter sa croix, doivent se résoudre à vivre comme des pèlerins, renonçant au monde et à ses coutumes grossières et terrestres, marchant à grands pas, par la droiture de leurs intentions et la sainteté de leurs œuvres, vers la Jérusalem céleste. Si nous consentons à vivre de la sorte, nous rencontrerons Jésus-Christ au moment où nous y penserons le moins, et Il nous fera la grâce inestimable de souffrir avec lui et pour lui. Oh ! Qu’elle est heureuse la rencontre de Jésus chargé de sa croix ! Que n'avons-nous le bonheur de Le rencontrer ainsi et de recevoir de sa main sur nos épaules la croix qu'Il a portée sur les siennes ! Il s'appelait également Simon, l'apôtre qui, sortant de Rome pour fuir la persécution, rencontra Jésus-Christ et entendit ces paroles de sa bouche : Je vais à Rome pour être crucifié une seconde fois.

Ô mon Sauveur, marchons ensemble, et portons ensemble la croix. Mais je ne veux point me contenter de ressembler à Simon le Cyrénéen, qui porta la croix et ne mourut pas sur la croix ; je préfère le sort de Simon Pierre, qui fut crucifié avec vous, parce que vous étiez crucifié en lui.

3) Simon se résigne à porter la croix de Jésus. Les hommes ont naturellement horreur de la croix, et tous la portent en quelque sorte malgré eux, mais de différentes manières. Les uns, selon la pensée de saint Bernard, la portent avec impatience et sans aucun mérite ; les autres avec patience et avec mérite, faisant de nécessité vertu, comme Simon le Cyrénéen ; quelques-uns, doucement pressés par la puissance de la grâce, se rendent à l'inspiration divine, surmontent toutes les répugnances de la chair et embrassent la croix avec tant d'empressement et d'amour qu'ils se font gloire, à l'exemple de l'Apôtre, de la porter en tout temps et en tout lieu.

Ô mon doux Sauveur, qui ne voulez forcer personne à porter votre croix, et qui avez dit pour ce sujet : St quelqu'un veut venir après moi, qu'Il prenne sa croix et me suive ; vous voyez que j'éprouve dans la partie inférieure de mon âme une répugnance comme invincible à me charger d'un si pesant fardeau : fortifiez-moi donc par votre grâce, afin que, sourd aux réclamations des sens, j'embrasse courageusement la croix et vous suive, vous qui l'avez portée de si grand cœur par amour pour moi.

4) Remarquons enfin que la peine du Cyrénéen fut de courte durée et que néanmoins, aujourd'hui encore, on fait mention de lui et de ses enfants dans l'Église, comme de personnes remarquables par leur vertu ; saint Marc les a tous nommés dans son Évangile. Ainsi, ceux mêmes qui d'abord portent la croix malgré eux, s'ils finissent par la porter avec patience, verront promptement la fin de leurs travaux, tandis que leur mémoire ne périra jamais : car quiconque portera la croix avec Jésus-Christ régnera éternellement avec Jésus-Christ dans sa gloire.
 

IV. — Jésus console les filles de Jérusalem

Or Jésus était suivi d'une grande multitude de peuple et de femmes qui le pleuraient et se frappaient la poitrine. Il se tourna vers elles et leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Car voici que des jours s'approchent, dans lesquels on dira : Heureuses les femmes stériles ; heureuses les entrailles qui n'ont point enfanté, et les mamelles qui n'ont point nourri. Alors ils commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous ; et aux collines : Couvrez-nous. Car, s'ils traitent de la sorte le bois vert, que feront-ils du bois sec ?

1) Considérons les intentions diverses de ceux qui accompagnent le Fils de Dieu au Calvaire. Les soldats et les bourreaux vont le crucifier ; les prêtres et les scribes le suivent pour l'insulter et contenter leur haine en lui voyant subir le supplice des scélérats ; le plus grand nombre, attiré par la nouveauté du spectacle, obéit à un mouvement de curiosité ; quelques-uns, qui ne sont point sans connaître et aimer Jésus, l'accompagnent par un sentiment de compassion naturelle et gémissent de le voir traité si indignement : mais nul ne le suit pour l'aider à porter sa croix ; nul n'a le désir de mourir avec lui ; nul ne se souvient de sa parole : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il prenne sa croix et me suive.

Ô bon Jésus, faites-moi la grâce de vous suivre, non à l'exemple de cette multitude, mais comme vous désirez que Je vous suive, c'est-à-dire portant ma croix, et dans le dessein de mourir avec vous sur la croix.

2) Considérons comment Notre-Seigneur Jésus-Christ, environné de cette foule confuse, abreuvé de tant d'ignominies, conserve sa divine autorité. Il se tourne vers les femmes qui le suivent en pleurant, et Il leur enseigne comment elles doivent pleurer pour rendre leurs larmes utiles et méritoires : Ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous et sur vos enfants. Il ne leur défend pas de pleurer sa Passion ; il est juste que nous la pleurions tous avec des larmes amères : mais Il n'agrée pas une compassion tout humaine qui s'arrêterait aux souffrances, sans remonter à leur cause. Or la cause des souffrances du Sauveur, ce sont les péchés. Il veut donc leur dire : Pleurez moins sur moi et sur les tourments que j'endure, que sur vous-mêmes, sur vos péchés et sur les péchés de vos enfants ; car vos prévarications à la loi de Dieu sont la véritable cause de ma Passion.

Ô mon divin Rédempteur, qui, au plus fort de vos douleurs, n'oubliez pas de remplir auprès de nous l'office de maître ; enseignez-moi à pleurer sur vous, sur moi-même et sur mon prochain : sur vous, à la vue des maux extrêmes que vous souffrez pour mon salut ; sur moi, au souvenir des péchés sans nombre que j'ai commis contre votre souveraine majesté ; sur mon prochain, à la pensée des iniquités qui inondent la terre et ont tiré de vos yeux tant de larmes.

3) Considérons la charité infinie de Notre-Seigneur qui, insensible à ses propres maux, nous invite à pleurer les nôtres et ceux de nos frères, à pleurer surtout les châtiments des pécheurs qui négligent de profiter de sa Passion et de sa mort pour obtenir le pardon de leurs offenses. C'est à eux qu'il adresse cette parole terrible : Si on traite de la sorte le bois vert, que fera-t-on du bois sec ? C'est-à-dire : Si nous, qui sommes un arbre vert et fructueux, nous éprouvons toutes les rigueurs de la justice divine en punition des péchés d'autrui, que doivent attendre pour leurs propres crimes les pécheurs qui sont des arbres secs et infructueux ? Si nous, tout innocents que nous sommes, nous avons été flagellés, souffletés, couronnés d'épines et chargés d'opprobres si, dans peu de temps, nous allons être abreuvés de fiel et cloués à la croix, que deviendront les coupables ? Quels fouets, quelles épines, quels soufflets, quels mépris, quel fiel, quels tourments leur sont réservés au jour des vengeances ?

Ô mon âme, comment ne redoutes-tu pas les malheurs effroyables qui s'apprêtent à fondre sur toi si tu restes un arbre stérile et desséché ? Si la vue des souffrances d'un Dieu ne suffit pas pour te faire pleurer tes péchés, pleure-les du moins à la pensée de ce que tu souffriras un jour en punition de ta négligence à te rendre profitables les tourments de ton Sauveur. Si tu ne te réveilles pas au cri de miséricorde qui sort du sang de Jésus répandu avec tant d'amour ; réveille-toi au cri de justice qu'élève contre les rebelles ce même sang versé avec tant de douleur. Ô Père éternel, que la Passion de votre Fils innocent apaise votre colère ; que les fruits abondants produits par cet arbre de vie satisfassent à votre justice ; et, encore que je ne sois qu'un arbre sec qui mérite, d'être coupé et jeté au feu de l'enfer, entez-moi de nouveau sur ce tronc vivifiant, afin que, ranimé par sa vertu, je porte enfin des fruits dignes de la vie éternelle. Ainsi soit-il.

V. — Jésus rencontre sa très sainte Mère ; Il sort de Jérusalem

1) Considérons enfin comment la très sainte Vierge selon une pieuse croyance, ayant appris que son divin Fils venait d'être condamné à mort, et qu'on le menait au supplice, sortit aussitôt accompagnée de saint Jean, de Madeleine et de quelques autres saintes femmes, pour l'atteindre dans le chemin. Plongée dans une douleur inexprimable, elle le suivait aux traces de son sang. Au moment donc où le Sauveur se tourna vers les filles de Jérusalem, ses yeux s'arrêtèrent sur sa Mère, et la Mère aussi jeta les yeux sur son Fils. Ce mutuel regard leur perça le cœur à tous les deux. Oh ! Quel glaive à deux tranchants pénétra l'âme de la Vierge, lorsqu'elle aperçut son Fils bien-aimé portant ce diadème d'épines dont la Synagogue, sa marâtre, l'avait couronné, lorsqu'elle Le vit tout défiguré, courbé sous le poids de sa croix, entre deux voleurs, au milieu de satellites et de bourreaux qui ne cessaient de le tourmenter ! Si les filles de Jérusalem pleuraient et s'attendrissaient sur lui, parce qu'elles Le regardaient comme un prophète ; quels torrents de larmes dut répandre celle qui reconnaissait en lui et son Fils et son Dieu ! Il est à croire que Marie éleva ses pensées vers le ciel et que, voyant le Père éternel, avec le glaive et le feu, prêt à immoler son Fils unique, elle dit en gémissant profondément : Ô feu de l'amour divin, qui ne dites jamais : C'est assez ; dites-le une fois, dites-le maintenant ; car ce que mon Fils a souffert suffit pour racheter le monde. Ô glaive de la justice divine, rentrez dans votre fourreau ; car le sang que vous avez fait couler est plus que suffisant pour effacer les péchés de tous les hommes. Ô Père éternel, cessez de sévir contre votre Fils qui est aussi le mien ; Il a payé par ses humiliations et ses souffrances tout ce que peut réclamer votre justice. Ou bien, tournez en même temps le fer contre nous, afin que nous mourrions avec Lui pour les pécheurs ; car vivre sans Lui serait pour nous une mort cruelle, et mourir avec Lui sera notres vie ; toutefois que votre volonté s'accomplisse et non la notre.

2) Touché des plaintes de la plus affligée des mères, disons au Père céleste : Ô Père des miséricordes, lorsque Abraham, votre serviteur, alla par votre commandement sur la montagne, dans le dessein d'immoler son fils Isaac, vous ne lui avez point prescrit d'en instruire Sara, mère de l'enfant. Comment donc exigez-vous que Marie non seulement ait connaissance du sacrifice de son Fils, mais encore qu'elle y assiste en personne ? Pour tous les deux, c'est un nouveau tourment. Et pourquoi augmenter le martyre de l'un par la présence de l'autre ? Ah ! Seigneur, nous savons que vous avez coutume de beaucoup éprouver ceux que vous aimez beaucoup. Vous en usez de la sorte, afin de les faire croître dans votre amour ou de leur fournir l'occasion de prouver celui qu'ils ont pour vous, soit en préférant votre volonté à la leur, soit même en vous offrant le sacrifice de leur vie pour le salut de leurs frères.

Ô Vierge sainte, qui aimez les pécheurs Jusqu'à vous offrir pour eux avec votre Fils, montrez-moi l'amour que vous me portez, en me faisant ressentir les douleurs dont votre cœur est pénétré à la vue de l'affliction immense de ce Fils bien-aimé ; donnez-moi surtout la force de mourir avec lui à toutes les choses de la terre, crucifiant ma chair avec ses passions par amour pour lui.

3)  Considérons comment Notre-Seigneur Jésus-Christ, ayant traversé, dans l'état où nous venons de Le contempler, les rues de Jérusalem, arriva à la porte de la ville et quitta cette cité coupable pour aller au Calvaire. Imaginons quels furent les sentiments de Jésus lorsqu'Il sortit de Jérusalem avec les insignes d'un criminel. Il songeait sans doute que cette malheureuse cité qui Le chassait de ses murs, serait saccagée et détruite à cause de son ingratitude et que ceux qui n'auraient point pris part à sa trahison et à ses crimes trouveraient leur salut et leur bonheur dans la croix.

Ô bon Jésus, qui sortez de la ville afin d'offrir en holocauste votre chair très pure, figurée par celle des animaux dont on brûlait les corps hors du camp pour l'expiation des péchés du peuple ; aidez-moi à quitter le monde et à me séparer des partisans du monde, me glorifiant de porter vos opprobres, et embrassant vos souffrances avec amour. Ainsi soit-il.

 

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Méditation sur le 3e mystère douloureux

Le couronnement d'épines

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

DU COURONNEMENT D'ÉPINES

ET DES AFFRONTS QUI L'ACCOMPAGNÈRENT

  

I. — Jésus désire de nouvelles souffrances ; ses ennemis les lui préparent.

Les soldats qui avaient flagellé Notre-Seigneur, trouvèrent encore, par la suggestion de Satan, de nouveaux moyens, aussi humiliants que douloureux, pour le tourmenter. Afin que l'affront fût plus éclatant, ils rassemblèrent toute la cohorte préposée à la garde du prétoire, et l'engagèrent à assister à ce spectacle. Tous s'y rendirent volontiers comme à un divertissement. Alors commença une scène cruelle, aux dépens de l'honneur et du repos de Jésus.

1) Considérons en premier lieu le désir insatiable que le Fils de Dieu a de souffrir pour notre salut. Il souhaite que l'on invente contre lui de nouveaux genres d'outrages et de tortures. S'il se contentait des injures et des douleurs ordinaires, il craindrait de ne pas nous faire comprendre suffisamment et la grandeur de son amour, et la grièveté de nos offenses. Comme donc les hommes, emportés par l'amour d'eux-mêmes, imaginent de nouvelles sortes de crimes pour satisfaire leur sensualité et leur ambition, de même Jésus-Christ, pressé par son amour envers les hommes, veut, pour expier de semblables forfaits, que l'on invente des supplices inouïs, de nouvelles manières de répandre son sang, comme Il l'a fait Lui-même au jardin des oliviers.

Je vous rends grâces, Ô doux Jésus, de l'exquise charité que Vous avez pour de misérables pécheurs. Oui, c'est à bon droit que l'on Vous donne le nom de Juste, puisque Vous employez des moyens si étonnants pour nous mériter la grâce de la justification. Je me réjouis avec Vous de ces inventions admirables de votre amour ; je me plais à Vous dire avec votre prophète, que Vous êtes le Juste par excellence, que Vous serez heureux dans toutes vos entreprises, et que Vous recueillerez le fruit de vos œuvres, le salut d'une multitude innombrable d'âmes, que Vous ne pouviez gagner qu'à ce prix.

2) Considérons ensuite la malice des bourreaux de Jésus. Poussés par le démon, ils assemblent tous les gardes du gouverneur. Ils ne veulent pas être les seuls à se moquer du vrai Roi des hommes et des anges ; il leur faut des témoins et des complices de leur audace. Compatissons à l'humiliation de notre Sauveur, devenu le jouet de ses ennemis ; ayons en horreur ceux qui sollicitent les autres à L'offenser et à Le railler dans ses mystères.

Ô mon divin Maître, je veux assister en esprit à ce spectacle, non pour Vous insulter, comme les, soldats, mais pour méditer vos œuvres, admirer les inventions de votre amour, prendre part à vos peines, et m'encourager à supporter les miennes.

C'est avec ces dispositions que nous devons réfléchir sur les tourments et les opprobres que Jésus endura dans le prétoire après la flagellation. On peut les réduire à six, qui se suivirent les uns les autres.

II. — Les deux premiers affronts que l'on fit à Jésus-Christ.

1) Les soldats Le dépouillèrent une seconde fois ; et comme leur intention était de l'exposer ensuite à la vue de tout le peuple dans l'état pitoyable auquel ils L'avaient réduit, on croit qu'ils lui ôtèrent jusqu'à sa tunique sans couture, et qu'ils Le laissèrent dans une entière nudité. Ce traitement indigne causa à Notre-Seigneur de très vives douleurs et une honte extrême. Il Lui causa de la douleur parce que, ses vêtements étant déjà collés à son corps déchiré et ensanglanté, les soldats les Lui arrachèrent avec brutalité, sans craindre de rouvrir ses plaies. Il Lui causa de la honte parce qu'Il se trouva nu devant cette troupe d'hommes insolents.

2) Ils Le couvrirent d'un manteau de pourpre, vêtement que portaient les rois. C'était une dérision de la part des ennemis de Jésus ; ils voulaient Le traiter comme un roi imaginaire. De sorte que ce qui est aux souverains une marque de leur dignité, ne servit qu'à rendre notre divin Sauveur plus méprisable et à Le faire passer pour un roi de théâtre.

Ô céleste Époux de nos âmes, blanc et vermeil, choisi entre mille, si Vous aimez ces deux couleurs, ce n'est que par le désir d'être méprisé. Car, dans le palais d'Hérode, on Vous revêtit d'une robe blanche, comme un insensé ; et dans le prétoire, on Vous couvre d'un manteau de pourpre, comme un usurpateur de la royauté. Vous acceptez, Seigneur, ces opprobres, afin de nous mériter la blancheur de l'innocence et la pourpre de la charité. Accordez-moi la grâce de me glorifier de vos livrées ; faites que je regarde comme un affront ce que le monde estime comme honorable, et que j'estime comme honorable ce que le monde regarde comme un affront.

Considérons cet ample et lourd vêtement comme la figure de nos péchés, rouges comme l'écarlate, dit Isaïe, fardeau pesant et ignominieux que le Sauveur a daigné prendre sur sa personne. Le rouge représente particulièrement certaines œuvres qui paraissent bonnes et glorieuses aux yeux des hommes, mais qui, dans le fond, sont mauvaises et abominables devant Dieu, parce qu'elles sont faites avec des motifs criminels. De semblables œuvres ne glorifient point Jésus-Christ ; elles L'offensent et Le déshonorent.

Ô Dieu de mon âme, ne permettez pas que je Vous revête jamais d'un vêtement si honteux, ni que je m'en revête moi-même. S'il est une pourpre que je doive ambitionner, c'est celle de la charité : elle couvrira la laideur et la multitude de mes péchés et elle me rendra agréable à vos divins regards. Ainsi soit-il.

III. — Le troisième affront fait à Jésus-Christ.

Et entrelaçant une couronne d'épines, ils la Lui mirent sur la tête. Ce n'est point une couronne d'or ou d'argent, de roses ou d'autres fleurs, c'est une couronne d'épines très fortes et très aiguës, qui lui couvrait toute la tête ; et comme les soldats la posèrent d'abord sur le haut de la tête de Jésus, puis l'enfoncèrent avec beaucoup de violence, ces épines percèrent en mille endroits le chef sacré du Sauveur et firent couler par tant de blessures une grande abondance de sang.

1) Considérons que cette couronne fut pour Notre-Seigneur, comme le prétendaient ses ennemis, un instrument d'ignominie et de douleur. Elle fut un instrument d'ignominie, car ils la Lui mirent par dérision, au lieu des couronnes dont on ornait le front des rois, des conquérants au jour de leur triomphe, des mortels que l'on révérait à l'égal des dieux. Ils voulaient donc signifier par-là que Jésus méritait d'être moqué sous ce triple rapport : Il s'était faussement attribué le titre de roi des Juifs ; Il avait voulu se faire passer pour le fils de Dieu ; tout récemment, Il avait séduit le peuple qui s'était empressé de Le recevoir en triomphe dans Jérusalem. Elle fut aussi un instrument de douleur, car les épines, étant en grand nombre et très aiguës, pénétraient fort avant dans la tête et tiraient tout le sang que les fouets avaient laissé dans la plus noble partie de ce corps divin. Ce sang, coulant sur son front, sur ses yeux et le long de ses joues, Lui défigurait étrangement le visage et obscurcissait sa vue, tandis qu'Il ressentait extérieurement et intérieurement d'intolérables tourments.

Lève-toi donc, ô mon âme, et sors en esprit avec les filles de Sion pour contempler le vrai Salomon portant la couronne que sa mère, ou plutôt sa marâtre la Synagogue, Lui a mise sur la tête au jour de ses noces, au jour du mariage mystérieux qu'Il consommera bientôt par sa mort sur le lit nuptial de la croix. Ô Roi éternel, qui avez couronné l'homme d'une couronne de gloire et d'honneur et qui l'avez élevé à la dignité de roi et de seigneur en l'établissant sur les œuvres de vos mains et en mettant toutes choses sous ses pieds, comment avez-Vous consenti que la main des hommes Vous couronnât d'une couronne de douleur et d'ignominie ? Ô ingratitude, ô cruauté inconcevable des hommes envers leur Seigneur ! Ô bonté, ô mansuétude ineffable du Seigneur envers les hommes ! Il les couronne de gloire ; eux Le couronnent d'opprobres ; Il les couronne de sa miséricorde et de ses grâces ; eux Le couronnent d'épines très cruelles. Comment donc ces épines ne percent-elles point son cœur ? Comment ne font-elles pas couler de ma tête et de mes yeux des ruisseaux de larmes, quand je vois le Roi du ciel ainsi couronné pour m'acquérir dans son royaume une couronne éternelle ? Ô céleste Époux des âmes, qui, pour contracter avec elle une union indissoluble, Vous couronnez d'épines, mettez sur ma tête une couronne semblable à la vôtre afin que je mérite de Vous être inséparablement uni. Ô couronne sacrée de Jésus, si effrayante que Vous paraissiez aux yeux du monde, je Vous révère, je Vous adore comme la couronne de mon Dieu ! Ô précieuses épines, percez mon cœur de vos pointes et guérissez par vos blessures salutaires les plaies mortelles que le péché a faites à mon âme.

2) Considérons la gravité de nos péchés, surtout de nos péchés d'orgueil et de sensualité ; car ils sont la véritable cause d'un si terrible tourment. Ce sont eux qui ont percé le chef adorable de notre Sauveur, d'une manière bien plus douloureuse que les épines de sa couronne. Parce que nous nous sommes couronnés de roses, ne cherchant qu'à satisfaire nos sens, Jésus a été couronné d'épines ; parce que nous avons placé sur notre front la couronne d'orgueil, Jésus a choisi pour lui une couronne d'humiliation et d'opprobre. Rappelons-nous donc tous nos péchés qui sont les épines dont la tête de notre Rédempteur a été blessée ; repentissons-nous de les avoir commis, et les saintes rigueurs de la pénitence seront les épines qui perceront notre chair et pénétreront jusqu'à notre cœur. Voici que Jésus-Christ, notre chef, est couronné d'épines ; rougissons, nous qui sommes les membres de son corps mystique, de vivre couronné de roses, gaspillant notre vie dans les délices et les vanités d'un monde que Jésus-Christ a réprouvé.

3) Demandons-nous ce que signifie cette couronne si fortement enfoncée dans la tête de notre Sauveur. À ne regarder que le dessein de ses ennemis, elle est l'instrument d'un supplice cruel et dérisoire ; mais à envisager les choses selon les idées de Dieu, elle est une marque que Jésus est Roi éternel, que son royaume est durable, que son diadème est comme inhérent à son front divin. Telle n'est pas la couronne des rois de la terre, ornement que l'on peut prendre et déposer à volonté. Elle est encore un signe de la victoire et du triomphe qu'Il a remporté pour toujours sur le démon, sur la chair et sur le monde. Cette victoire, il est vrai, Lui a coûté cher ; elle Lui a coûté tout son sang, particulièrement celui que les épines ont tiré de sa tête adorable, mais aussi a-t-Il mérité par ce sang à tous ses élus d'innombrables victoires dans le temps présent, et dans l'éternité des couronnes de gloire. Jésus-Christ Notre-Seigneur a donc voulu nous enseigner, par son exemple, que nous ne pouvons gagner la couronne du ciel sans avoir porté sur la terre sa couronne d'épines, et que, par conséquent, il vaut mieux embrasser ici-bas une vie laborieuse et pénible, qu'une vie molle et sensuelle. Car si nous nous couronnons maintenant de roses, en recherchant, comme les mondains, les honneurs et les plaisirs, un jour viendra où nous nous sentirons le cœur déchiré par les remords de notre conscience, comparables à des épines aiguës, qu'il nous sera impossible d'arracher.

Je vous rends grâces, Roi souverain, glorieux vainqueur, triomphateur éternel, de ce que Vous avez choisi une voie si rude pour parvenir à votre gloire ; je m'offre dès à présent à marcher sur vos traces ; je veux être couronné d'épines en ce monde afin que, comme je l'espère, Vous me couronniez de gloire en l'autre. Ainsi soit-il.

IV. — Le quatrième et le cinquième affront que reçut Jésus-Christ.

1) Les soldats du gouverneur, après avoir couronné d'épines le Roi du ciel et de la terre, Lui mirent par moquerie un roseau dans la main droite en guise de sceptre. Ils veulent Lui faire entendre que ce roseau creux et fragile est l'image de sa royauté. Il est Lui-même faible comme un roseau, et Il a fait preuve évidente de folie en prenant sans raison, même apparente, le titre de roi ; enfin, ce roseau Lui rappellera les rameaux et les palmes que le peuple portait en ses mains il y a peu de jours, pour célébrer son entrée triomphante dans Jérusalem.

Remarquons ici le cruel affront que reçoit le Fils de Dieu, et l'estime que le monde fait de sa royauté, de sa doctrine et de la perfection de sa loi : tout cela n'est aux yeux des ennemis de Jésus qu'une fiction. Mais admirons surtout l'humilité avec laquelle Il supporte cette injure. Il ne refuse point ce roseau ; Il ne le rejette pas loin de lui ; au contraire, Il le prend de sa main bénie ; Il le serre comme une marque d'ignominie parce qu'Il aime sincèrement les mépris et qu'Il veut nous enseigner à les accepter, à les embrasser avec amour.

Ô roseau digne de vénération, ô sceptre divin de mon Sauveur ! On peut dire de vous, avec plus de vérité que du sceptre d'Assuérus, que vous recevez de la main toute-puissante qui vous porte une vertu secrète pour rendre la vie à ceux que vous touchez. Touchez-moi de votre sceptre, ô mon Roi ; et en me touchant, imprimez dans mon cœur une haute estime de vos opprobres : ce sera pour moi une marque de votre clémence et un gage de la vie éternelle.

Remarquons encore combien les hommes sont sujets à se tromper dans leurs jugements. Ils portent eux-mêmes des sceptres d'or massif pour signifier la majesté et la stabilité de leur empire ; et ils ne songent pas que leur pouvoir est de peu de durée, qu'il est faible comme le roseau sur lequel, dit Isaïe, vous ne pouvez vous appuyer sans craindre qu'il ne se brise et ne vous transperce la main. Ils disent au contraire, comme le témoigne un autre prophète, qu'il ne sert de rien à l'homme de servir le Seigneur et d'observer ses préceptes. Apprenons de là à mépriser des jugements si trompeurs et gardons-nous de les prendre pour règle de notre conduite.

2) Et fléchissant le genou devant Lui, ils se moquaient de Lui et de sa royauté, disant : Je vous salue, roi des Juifs. Cette salutation, respectueuse dans les termes, n'était en réalité qu'une dérision amère ; aussi dut-elle causer un tourment bien sensible au Sauveur dont les oreilles ne cessent d'entendre les louanges des esprits célestes et d'écouter avec satisfaction les prières des justes. C'est la seconde fois que Notre-Seigneur Jésus-Christ est salué perfidement dans sa Passion. La première fois, Judas Lui dit en secret avec les semblants de l'amitié : Je vous salue, maître. Ici, les soldats Lui adressent publiquement avec une morgue révoltante ces paroles : Salut, roi des Juifs. La conduite du disciple apostat et celle des ennemis déclarés de Jésus nous représente deux classes de pécheurs : les hypocrites qui feignent d'aimer et d'honorer Dieu et n'ont pour Lui ni respect ni amour ; les impies scandaleux qui se rient ouvertement des choses sacrées et divines. Or Notre-Seigneur souffrit pour les uns et pour les autres afin de les sauver tous. Enfin, l'Évangile nous fait remarquer, non sans cause, que les soldats adoraient Jésus-Christ en fléchissant le genou et non les genoux. C'est une figure des hommes du monde qui ne se donnent pas entièrement à Dieu, qui se partagent entre Dieu et le monde, qui fléchissent un genou devant Dieu et l'autre devant les idoles de l'honneur, de l'argent et du plaisir. Mais cette adoration leur sert peu, car Dieu ne veut pas être servi à demi : il demande tout notre cœur.

Ô Roi suprême, combien les adorations que Vous recevez dans le ciel sont différentes de celles qui Vous sont rendues sur la terre ! Dans le ciel, les anges Vous adorent comme leur Dieu et leur vrai Roi ; sur la terre, des hommes impies ne fléchissent le genou en votre présence que par moquerie, comme devant un Dieu imaginaire et un fantôme de roi. Pour moi, Seigneur, je Vous adore dans la sincérité de mon âme et c'est du plus profond de mon cœur que je Vous dis : Je Vous salue, roi des Juifs et des Gentils ; je Vous salue, roi des anges et des hommes ; je Vous salue, roi du ciel et de la terre. Daignez agréer cet hommage et me recevoir dans votre royaume, afin que je jouisse éternellement de votre divine présence. Ainsi soit-il.

V. — Autres affronts endurés par Jésus-Christ.

1) Les ennemis de Jésus ne Lui disaient pas une parole injurieuse sans l'accompagner de quelque traitement indigne et douloureux. Les uns prenaient le roseau qu'Il portait dans ses mains et Lui frappaient la tête, enfonçant de plus en plus les épines dont Il était couronné ; les autres Lui donnaient des soufflets ; d'autres souillaient de crachats son divin visage. Ces trois sortes d'outrages sont rapportées par les évangélistes ; mais il est à croire que plusieurs de ces furieux Lui donnaient des coups de pied et des coups de poing par tout le corps, tandis que d'autres tiraient et arrachaient ses cheveux et sa barbe, en sorte que notre divin Sauveur souffrit de nouveau de la part des Gentils, dans le palais de Pilate, tout ce qu'Il avait déjà souffert de la part des Juifs dans la maison de Caïphe. La seule différence, c'est que les Gentils ne lui bandèrent point les yeux, ou parce qu'ils Le traitaient comme roi, ironiquement toutefois, ou parce que Jésus étant défiguré, n'avait plus sur son visage cet air de majesté qui commandait le respect et empêchait qu'on ne Le frappât à découvert.

Ô Sauveur du monde, combien de fois Vous endurez les mêmes affronts et les mêmes tourments ! C'était assez pour l'expiation de nos crimes que Vous ayez été une fois souffleté, frappé, couvert de crachats ; mais votre charité n'est point satisfaite ; Vous voulez que les Gentils renouvellent tout ce que Vous ont fait souffrir les Juifs afin que, tourmenté par les uns et par les autres, Vous payiez pour tous et obteniez le salut de tous. Que tous les hommes, Seigneur, Vous bénissent et Vous glorifient ; qu'ils exaltent votre bonté sans mesure ; et puisque Vous souffrez pour tous, faites que tous recueillent les fruits de votre Passion. Ainsi soit-il.

2) Méditons sur chacun de ces affronts et de ces tourments. Attachons-nous principalement à considérer la patience héroïque et l'humilité étonnante qui éclatent dans la personne de Jésus-Christ Notre-Seigneur au milieu de ses humiliations et de ses souffrances qui furent innombrables ; car le nombre des bourreaux était grand et ils se plaisaient à multiplier les mêmes injures par manière de divertissement. Mais si les ennemis de Jésus se faisaient un jeu de L'injurier, Jésus se réjouissait d'être accablé d'injures, les souffrant pour le salut de ceux-là mêmes qui Le traitaient si indignement.

3) Considérons enfin à quel état d'épuisement et d'affliction est réduit Notre-Seigneur par tant d'outrages et de souffrances. Sa tête ne peut plus se soutenir, si grande est la quantité de sang qui coule des ouvertures faites par les épines ; son visage est couvert de sang et de crachats ; ses joues sont meurtries et livides. Personne ne prend part à ses maux, ne dit une parole en sa faveur, n'arrête la main barbare de ses bourreaux qui, las enfin de Le tourmenter, sont contraints de Lui accorder quelque repos. Cependant, Jésus n'est point las de souffrir ; au contraire, Il se prépare à supporter avec un courage invincible les nouveaux tourments qui l'attendent. Nous non plus, nous ne devons donc pas nous lasser de nous jeter à ses pieds, de compatir à ses souffrances, de pleurer nos péchés qui en sont la cause, de L'adorer avec un respect profond comme notre Dieu, de Lui demander des grâces comme à notre Roi, surtout celle de participer à ses opprobres et à ses douleurs et d'imiter son humilité, sa patience, sa charité.

 

 

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Méditation sur le 2e mystère douloureux

La flagellation

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

DE LA FLAGELLATION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

ATTACHÉ À LA COLONNE

  

I. — Pourquoi Pilate condamna Jésus à être flagellé

Pilate, voyant que les Juifs s'obstinaient à demander que Jésus fût crucifié, le condamna d'abord à être flagellé ; puis il le livra aux soldats, qui exécutèrent aussitôt cette première sentence.

1) Examinons les raisons qui déterminèrent Pilate à porter ce sanglant arrêt : voici les deux principales :

L'intention du gouverneur était d'apaiser le peuple en lui donnant une satisfaction, et de sauver ainsi Jésus-Christ du dernier supplice : je le châtierai, se disait-il à lui-même, et je le renverrai. Aussi est-il probable qu'il donna ordre aux soldats de le flageller cruellement, afin que le spectacle d'un homme déchiré par les fouets excitât la commisération de tous ceux qui le verraient.

De plus, dans le cas où il serait contraint de condamner Jésus au supplice de la croix, le crucifiement devait être précédé de la flagellation. Ainsi l'ordonnait la loi des Romains, afin que le peuple fût plus ému à la vue des plaies du crucifié qu'offensé de sa nudité. C'est pour cela que quelques auteurs contemplatifs pensent que Jésus-Christ fut flagellé deux fois : l'une, pour la première raison que nous avons dite ; l'autre, pour la seconde, lorsqu'il eut été condamné à mourir sur la croix.

Quoi qu'il en soit, la sentence fut à la fois injuste, infamante et cruelle ; car le juge n'ignorait pas que ce captif était innocent, et néanmoins il le condamne à un châtiment ignominieux et douloureux, réservé aux voleurs et aux esclaves ; il répand le sang du Juste ; il confirme le choix d'un peuple passionné qui a préféré à son bienfaiteur un meurtrier ; il fait souffrir au Saint des saints la peine que Barabbas a méritée par ses vols et meurtres.

2) Cette sentence qui nous révolte, Jésus l'accepte dans son cœur. Il n'en appelle point, Il n'entreprend pas de se justifier, Il ne se plaint pas, Il ne témoigne pas le moindre ressentiment de l'injustice criante dont Il est la victime. Loin de là, Il livre volontiers son corps aux coups des bourreaux en expiation de nos péchés, afin de guérir, dit le prophète Isaïe, les plaies de notre âme par celles de sa chair innocente, et de nous exciter par cette marque d'amour à le servir et à l'aimer.

Comment, en effet, considérer les entrailles de notre Sauveur, et refuser de Lui donner notre cœur avec toutes nos affections ? On peut croire que, dans ce moment, Jésus leva les yeux vers le ciel et dit à son Père éternel ces paroles de David : « Mon Père, puisque Vous l'avez ainsi ordonné, me voici prêt à être battu de verges. Mon corps devait être impassible et immortel ; le mal ne devait point venir jusqu'à lui, ni les fouets approcher du tabernacle où habite mon âme. Mais votre Providence a voulu me revêtir d'une chair accessible à la souffrance, et dès lors je me suis préparé à la peine que je vais subir maintenant. J'ai dit : Je paierai ce que je n'ai point dérobés, pour acquitter les dettes de ceux qui ont audacieusement tenté de vous ravir votre gloire. »

Je vous rends grâces, ô mon aimable Rédempteur, de ce que Vous avez daigné Vous soumettre à un châtiment si cruel, si honteux et si injuste. À votre exemple, me voici prêt à souffrir les fouets pour votre amour. J’accepte d’avance la sentence que Vous porterez à mon égard. Elle ne sera point injuste, puisque je l’ai méritée par mes péchés ; elle ne sera ni honteuse pour moi ni cruelle, puisque cette sentence sera celle d’un père qui châtie l’enfant qu’il aime pour l’aider à se corriger.

II. — Jésus dépouillé de ses vêtements 

Dès que Pilate eut prononcé la sentence, les soldats se saisirent avec insolence de Jésus, et l'ayant mené dans une salle, ils lui ôtèrent ses vêtements, jusqu'à sa tunique sans couture.

1) Considérons quelle étrange confusion souffrit notre divin Sauveur, si beau et si chaste, quand Il se vit nu au milieu d'une foule de soldats, à qui sa pudeur ne pouvait être qu'un sujet de raillerie. Ô affront incompréhensible ! Jésus le supporte avec patience, en expiation de tant de péchés que j'ai commis, sans rougir de dépouiller mon âme de la grâce dont Il l'avait revêtue et parée ; Il le supporte afin de me procurer, au prix d'une humiliation si profonde, ce vêtement sacré que j'ai perdu, et sans lequel je suis misérable, pauvre, et nu.

Ô Sauveur plein d'amour, qui me conseillez d'acheter de Vous l'or très pur et très ardent de la charité pour m'enrichir, et les vêtements blancs de l'innocence, pour me préserver de la confusion que j'ai méritée, en me dépouillant moi-même de ces ornements précieux, vendez-moi, je Vous en conjure, cet or et ces vêtements. Je Vous offre en retour le mérite de la nudité volontaire que Vous souffrez aujourd'hui ; je Vous offre mon cœur disposé à se dépouiller de tous les biens de la terre : enfin, je Vous supplie, par l'état auquel je Vous vois réduit, de me revêtir de votre divine grâce, afin que je n'aie point le malheur de tomber dans la confusion qui doit durer éternellement.

2) Considérons comment les soldats attachèrent le Sauveur à une colonne, les bras en haut selon quelques autres, afin de pouvoir le frapper par tout le corps. Sans doute, ce ne fut pas là un léger tourment ; car ils Le lièrent par les pieds et par les poignets avec une extrême violence. Mais quand ils ne L'eussent point lié à la colonne avec des cordes, Il y était plus fortement attaché par les liens de son amour, et par le désir qui Le pressait de se sentir déchirer à coups redoublés pour notre salut.

Ô Agneau sans tache, qui, avec une douceur admirable et sans pousser le moindre cri, souffrez que de cruels bourreaux Vous lient, non seulement pour Vous dépouiller de votre laine, je veux dire de vos vêtements, mais encore pour mettre en lambeaux à coups de fouets votre corps délicat ; daignez, je Vous en prie, m'attacher si étroitement à Vous par les liens de la charité, que ni les fouets, ni les peines de cette vie ne puissent me détacher de Vous. Ainsi soit-il.

III. — Jésus flagellé 

1) Jésus-Christ étant attaché à la colonne, les bourreaux commencèrent à Le flageller avec une cruauté inouïe. Ils se succédaient les uns aux autres, employant tour à tour, d'après plusieurs commentateurs, trois sortes d'instruments : les verges pliantes couvertes d'épines, les nerfs de bœuf armés de rosettes de fer à l'extrémité, les chaînes de fer garnies de pointes très aiguës qui entraient dans la chair et pénétraient jusqu'aux os. Avec ces divers instruments, ils déchargent un prodigieux nombre de coups sur les épaules du Sauveur qui en sont d'abord toutes meurtries, puis écorchées, et enfin ouvertes par des blessures si profondes qu'il en coule des flots de sang jusqu'à terre. Ils Lui déchirent ainsi à force de coups tout le corps, sans épargner ni les bras, ni les côtés, ni la poitrine. Le prophète Isaïe nous représente le peuple juif, qui est le corps mystique de Jésus-Christ, couvert de plaies depuis les pieds jusqu'à la tête ; il n'y a rien de sain en lui, parce que tous ceux qui le composent, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, sont infectés de la lèpre du péché. De même aujourd'hui, le vrai corps de notre Rédempteur, depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, est traité avec tant de cruauté, qu'il n'y a en Lui que contusions et que blessures, et qu'il ressemble à un lépreux. C'est dans cet état lamentable que L'avait vu le même prophète, lorsqu'il s'écria : « Il est sans beauté et sans éclat. Nous l'avons vu, il était tout défiguré et méconnaissable. Il nous a paru un objet de mépris, le dernier des hommes, un homme de douleurs, familiarisé avec la souffrance. Son visage était obscurci par les opprobres et par l'ignominie, et nous l'avons tenu pour un homme de néant. Il a vraiment porté lui-même nos infirmités ; il s'est chargé de nos douleurs. Nous l'avons considéré comme un lépreux, comme frappé de la main de Dieu et humilié. Il a été blessé à cause de nos iniquités, il a été brisé pour nos crimes : le châtiment qui doit nous rendre la paix est tombé sur lui, et nous avons été guéris par ses meurtrissures. » (Isaïe LIII, 2-5)

Ô mon Rédempteur, que n'ai-je une lumière assez vive pour Vous contempler, ainsi défiguré, attaché à la colonne ! Que n'ai-je une charité assez brûlante pour me transformer par la force de la compassion en votre image ! Ô Jésus, le plus beau des enfants des hommes, comment a disparu la grâce qui était répandue dans tous vos traits ? Ô splendeur de la gloire du Père, qui donc a obscurci l'éclat de votre visage ? Ô le plus parfait des hommes, le Désiré des nations, qui Vous a changé en un homme de douleurs ? Qui Vous a fait l'opprobre de la terre ? Vous qui avez rendu la santé à tant de lépreux, d'où vient que Vous êtes semblable à un lépreux ? Ô Père éternel, comment permettez-Vous que votre Fils bien-aimé soit traité comme un voleur, qu'Il soit regardé comme un homme que votre main a frappé ? Si mes péchés en sont la cause, n'est-il pas plus conforme à la justice que j'en porte la peine ? C'est moi, oui, c'est moi qui ai péché ; cet innocent Agneau n'a fait aucun mal ; tournez votre main contre le coupable ; déchargez sur mes épaules les coups de fouets ; que la punition retombe sur l'auteur de la faute. Ô charité infinie du Père qui, pour réconcilier l'esclave avec Lui, châtie si sévèrement son propre Fils ! Ô charité immense du Fils qui, pour réconcilier l'esclave avec son Père, se soumet à un si terrible châtiment ! Père éternel, je Vous rends grâces de votre charité incompréhensible. Fils unique de Dieu, Verbe incarné, je Vous rends grâces de l'inestimable amour que Vous me témoignez dans votre cruelle flagellation.

2) Pour mieux comprendre la grandeur de ce tourment, réfléchissons sur quatre points particuliers qui en sont les principales circonstances.

La première est tirée des qualités du corps de Notre-Seigneur. Il était délicat, tendre, très sensible à la douleur ; Il était de plus extrêmement affaibli par la sueur de sang, par les fatigues de la nuit précédente et par celles de la matinée. Comme donc les blessures que Lui faisaient les fouets étaient profondes, comme les pointes de fer Lui déchiraient même les entrailles, Il en ressentit d'excessives douleurs. Aussi dans le psaume où nous lisons ces paroles, les pécheurs ont frappé sur mon dos, le texte hébreu porte, ils ont labouré, parce que, comme le soc fend la terre et forme un sillon profond, de même les instruments de la flagellation ouvrirent la chair de Jésus-Christ, et y firent des blessures semblables à des sillons.

Corps adorable de mon Sauveur, terre virginale, Vous n'aviez pas besoin d'être sillonnée de la sorte pour produire des fruits de salut ; mais la dureté de mon cœur, Vous le saviez, avait besoin d'être amollie par vos souffrances. Excitez en moi, ô mon Dieu, de vifs sentiments de compassion, et faites que je ressente dans ma chair les douleurs que Vous éprouvez dans la vôtre.

La seconde circonstance se prend du côté des bourreaux. Hommes naturellement cruels et féroces, ils avaient encore reçu ordre du gouverneur de ne garder en cette exécution aucune mesure, pour les raisons que nous avons dites ; ils étaient de plus excités par Satan, afin que le Sauveur laissât au moins échapper quelque mouvement d'impatience ; enfin, ils se sentaient animés par les princes des prêtres et par tout le peuple. Et comme ils se relevaient souvent, ces derniers Le frappaient toujours avec une nouvelle force et Lui causaient de plus intolérables douleurs. Irrités par sa douceur et par son silence, peut-être rivalisaient-ils de cruauté dans le dessein de tirer de sa bouche une plainte ou un soupir.

La troisième circonstance se trouve dans le nombre des bourreaux et la multitude incroyable de coups dont ils accablèrent le corps délicat et affaibli de Jésus. Plusieurs auteurs pensent que ces coups s'élevèrent au moins à cinq mille[1] ; et l'inhumanité des ennemis du Sauveur rend cette opinion probable. Loin d'observer à son égard la loi qui fixait le nombre de coups à quarante moins un, comme nous le voyons par l'exemple de saint Paul, ils multiplièrent bien des fois ce nombre, notre divin Rédempteur le permettant ainsi, afin d'accomplir Lui-même la pénitence que méritaient les péchés de tous les hommes.

Or, et c'est ici la quatrième circonstance, nos péchés étant énormes et sans nombre, les coups de fouets que reçut le Fils de Dieu pour les expier ne pouvaient être que très cruels et comme innombrables.

3) À l'aide de ces considérations, tâchons de nous former une idée de la patience invincible de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Tout le temps que dure la flagellation, Il reste muet, Il ne fait entendre aucune plainte, Il ne donne aucune marque d'impatience, de trouble ou d'ennui ; Il reçoit, comme une enclume, tous les coups, les offrant à son Père éternel en satisfaction de nos péchés, avec un amour sans mesure. Il est couvert de plaies, et cependant Il désire en recevoir de nouvelles, plus douloureuses encore, s'il faut de nouvelles et de plus atroces souffrances pour opérer notre salut. Aussi se garde-t-Il de dire c'est assez ; Il attend que la rage de ses persécuteurs soit assouvie, et la justice divine pleinement satisfaite. – Concevons de là une juste horreur de nos péchés qui ont été la cause d'un si redoutable châtiment, et excitons en nous le désir de les expier par des pénitences et des mortifications volontaires. Enfin, prosternons-nous aux pieds de notre Sauveur, près de la colonne ; considérons-Le abandonné de tous, privé de toute consolation, perdant ses forces avec son sang. Tantôt, baisons en esprit la terre baignée du sang de notre Sauveur et de notre Créateur ; tantôt, prenons dans nos mains les fouets teints de ce sang précieux, appliquons-les sur notre cœur, priant Jésus de guérir nos affections déréglées et de nous blesser de son divin amour ; puis embrassons cette colonne sacrée, saluons-la avec respect, et disons :

Ô colonne sainte, à laquelle a été lié et fouetté Celui qui est la colonne du monde et le soutien de l'univers ! Ô précieuse colonne, couverte et embellie du sang de mon Rédempteur, sang répandu pour faire de tous les hommes autant de colonnes dans le temple du Dieu vivant ! Que n'ai-je eu le bonheur d'être attaché à vous, d'être arrosé de ce sang adorable, dont la vertu m'eût affermi dans le service du Seigneur qui a tant souffert pour me sauver ! Esprits célestes, colonnes du ciel, que faites-vous ? Comment ne tremblez-vous pas en voyant votre Créateur lié et frappé par les mains sacrilèges de ses bourreaux ? Ô mon Jésus, colonne sur laquelle repose le monde, ayez compassion de Vous-même ; étendez, étendez vos bras et armez-les de force. Car Vous êtes tout ensanglanté, affaibli et près de défaillir ! Ô mon Dieu, puisque c'est pour mes péchés que Vous souffrez tant de maux, fortifiez-moi de votre grâce, donnez-moi le courage de m'en punir moi-même et de m'en corriger. Ainsi soit-il.

4) Considérons en dernier lieu, comment, après cette exécution injuste et barbare, les soldats détachèrent Notre-Seigneur Jésus-Christ de la colonne. Brisé par les coups, affaibli par la quantité de sang qu'Il a perdu, il est probable qu'Il tomba par terre. Comme Il était nu et que ses vêtements avaient été jetés assez loin de Lui, Il alla les chercher Lui-même, se traînant avec beaucoup de peine, et nageant dans son propre sang qui inondait le sol autour de la Colonne ; puis Il s’habilla seul comme il Lui fut possible, sans que personne daignât L'aider, tant on montrait à son égard de cruauté ou de mépris. Passons quelque temps dans cette pieuse contemplation, compatissant à l'abandon et à la faiblesse de notre Seigneur.

Ô Roi du ciel, qui aidez toutes les créatures, et sans lequel aucune ne peut ni agir ni se mouvoir, comment ne trouvez-Vous personne qui Vous assiste dans cette extrême nécessité ! Vêtements sacrés qui guérîtes d'une perte de sang l'Hémorroïsse, dès qu'elle vous eut touchés, et qui tant de fois avez rendu la santé aux malades, fermez les plaies de mon Sauveur ; arrêtez les ruisseaux de son sang, afin qu'il Lui reste assez de forces pour souffrir encore et achever l'œuvre de notre Rédemption. Oh ! Que n'ai-je été présent pour Le servir et Le soulager, quand il eût dû m'en coûter jusqu'à la dernière goutte de mon sang ! Agréez, ô mon Dieu, ce témoignage de ma bonne volonté ; et, puisque c'est de Vous que je la tiens, fortifiez-la, afin que je Vous serve désormais en tout ce que je pourrai, avec le désir de faire beaucoup plus que je ne puis pour votre service.

[1] Sainte Gertrude, dans le livre 4e de ses Révélations, ch. 35e, semble faire entendre que Notre-Seigneur reçut 5 466 coups. Le P. Coster, dans la 24e de ses Méditations sur la Passion, donne le nombre de 5 400, d'après le témoignage de plusieurs saints qui l'ont appris par révélation.

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Méditation sur le 1er mystère douloureux

L'agonie de Jésus au jardin des oliviers

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

DE LA PRIÈRE DE JÉSUS-CHRIST AU JARDIN DES OLIVES

  

I. — Avis pour les temps de la tentation

Notre-Seigneur Jésus-Christ étant triste et voyant que ses apôtres l'étaient aussi, leur recom­manda de prier, leur disant : « Veillez avec moi, et priez, pour ne pas entrer en tentation » et, prenant ce conseil pour lui-même, il s'éloigna d'eux à la distance d'un jet de pierre pour faire oraison.

1) Remarquons ici comment Notre-Seigneur, et par ses paroles et par ses exemples, nous enseigne que le remède à notre tristesse n'est pas de nous entretenir avec les hommes, qui ne peuvent nous donner de solides consolations, mais de recourir à l'oraison et de nous adresser à Dieu comme au principal consolateur qui peut ou dissiper ou modérer notre tristesse, selon qu'Il le juge convenable pour notre bien.

Apprenons de là, lorsqu'il nous survient quelque sujet de peine, à ne point attendre principalement notre consolation de la part des hommes, à ne la point chercher avec empressement dans les divertissements du monde, mais avant tout dans la miséricorde du Seigneur, à qui nous devons la demander, selon l'avertissement de saint Jacques, si nous voulons expérimenter la vérité de ces paroles du Psalmiste : « Mon âme refusait toute consolation: je me suis souvenu de Dieu, et j'ai été rempli de joie. »

2) Le Sauveur nous avertit encore que la prière est l'unique remède pour éviter d'entrer en tentation et de périr dans le danger. Par conséquent, plus le danger est imminent, plus nous devons prier avec ferveur. En effet, Notre-Seigneur ne dit pas : Priez, afin que vous ne soyez pas tentés, mais « Priez, afin que vous n'entriez point en tentation » et que vous ne succombiez point à la tentation. Car il nous est souvent utile d'être éprouvés par les tentations et les afflictions ; mais la prière nous empêche d'y succomber ; ou, si nous avons le malheur de tomber, elle nous obtient du ciel les secours nécessaires pour nous relever et ne point périr sans ressource.

Puisque la tentation est un danger de chaque jour, chaque jour aussi nous devons répéter avec dévotion cette dernière demande de l'Oraison dominicale : « Ne nous lais­sez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il. »

3) Pesons le sens de cette parole : « Veillez avec moi. » Elle signifie : Veillez en ma compagnie ; veillez comme je veille ; imitez-moi. En parlant de la sorte, Notre-Seigneur veut nous faire comprendre qu'Il veille lui-même avec ceux qui veillent, qu'Il prie avec ceux qui prient, et que ceux qui veillent et qui prient, prient et veillent avec Lui ; qu'ils L'ont pour maître, pour compagnon, pour aide. Comment donc ne veillerions-nous pas, ne prierions-nous pas avec plaisir en pareille compagnie ?

Aidez-moi, très doux Jésus, à veiller toujours avec vous, employant les Jours à travailler et les nuits à prier ; et les jours et les nuits à obéir à celui qui n'a point cessé, toute sa vie, de veiller, de prier, de travailler par amour pour moi.

4) Remarquons enfin quel acte de mortification ce fut pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, de se séparer de la compagnie de ses apôtres, afin d'aller prier seul. Dans les afflictions profondes et les grandes tristesses, on aime naturellement à se trouver en la compagnie de ses amis pour se consoler avec eux ; Jésus-Christ surmonta généreusement cette propension naturelle. C'est ce que marque l'Évangile en disant qu'il fut arraché d'auprès de ses disciples et violemment éloigné d'eux à la distance d'un jet de pierre, comme un homme qui, maîtrisant l'inclination des sens par la force de l'esprit, se séparait des personnes auxquelles il était attaché par l'affection naturelle, pour faire sa prière à l'écart.

Ô mon Dieu, donnez-moi la force de renoncer au lait des enfants et de me détacher des consolations humaines, pour m'adonner à l'oraison, y connaître votre sainte volonté et l'exécuter avec courage. Ainsi soit-il.

II. — La prière de Jésus-Christ

Arrivé au lieu de sa prière, Jésus se mit à genoux, se prosterna la face contre terre, et pria en disant : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi ; cependant, qu'il en soit, non comme je veux, mais comme vous voulez. » C'est-à-dire : mon Père, si l'arrêt de votre justice peut s'exécuter sans que je boive ce calice, faites, je vous en conjure, qu'il s'éloigne de moi : toutefois, n'ayez pas égard à mon inclination naturelle ; consultez, non ma volonté propre, mais la vôtre, car je veux qu'elle soit préférée à la mienne.

Ô sublime oraison ! Ô enseignement parfait de résignation ! Ô Jésus, modèle achevé d'obéissance et de prière, qu'elle est élevée la leçon que vous me donnez de ces deux vertus ! Ouvrez les oreilles de mon âme pour que je l'écoute, les yeux de mon esprit pour que je la comprenne ; revêtez-moi de force pour l'accomplir.

Cette prière de notre Sauveur est accompagnée de qualités remarquables, que nous devons étudier pour notre profit spirituel.

1) Ce fut une oraison attentive et recueillie. Car le Sauveur prit soin d'éloigner toutes les occasions de distraction ; Il se sépara même de ses apôtres, comme nous l'avons dit, malgré les oppositions de la nature, afin de s'entretenir seul à seul avec son Père.

2) Elle fut pleine d'humilité et d'un profond respect, intérieur et extérieur, qui procédait de trois principes : de la haute estime qu'Il avait pour la majesté divine ; de la con­naissance de sa bassesse comme homme, et par conséquent comme créature ; de l'extrémité à laquelle Il se voyait réduit. En d'autres circonstances Il priait debout ; mais en ce moment, dans l'angoisse de son âme, Il prie à genoux et prosterné contre terre.

3) Elle fut animée d'une grande confiance et d'un amour tout filial, comme le montre cette parole : Mon Père. En d'autres occasions, Il se contentait de donner à Dieu le nom de Père ; mais dans celle-ci, il dit : Mon Père, pour témoigner d'une manière plus particulière sa confiance et son amour envers celui qui est véritablement son Père, non par adoption, mais par nature.

4) Elle fut surtout remarquable par l'exemple admirable que nous donna le Sauveur d'un entier renoncement à la volonté propre et d'une parfaite résignation à la volonté divine. Les peines qu'il appréhendait étaient effrayantes ; son inclination naturelle le portait fortement à les éviter ; son affliction intérieure était indicible : d'où il suit que l'acceptation du vouloir divin contre l'inclination personnelle fut, dans cet ensemble de circonstances les plus difficiles, un acte de vertu héroïque. ­Toutes ces considérations doivent nous couvrir de confusion, en nous faisant voir que nous sommes entièrement dénués de ces vertus de notre divin modèle. Supplions-Le donc humblement de nous les communiquer ; et quand nous serons nous-même dans l'affliction, quelle qu'en soit la cause, ayons recours à la prière qu'Il nous en­seigne, et efforçons-nous de dire dans le même esprit que Lui : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi : cependant, qu'il en soit, non comme je veux, mais comme vous voulez. »

5) Un autre point digne de notre attention, c'est que la prière de Notre-Seigneur Jésus-Christ fut longue. Ne pensons pas qu'elle ne dura que le temps nécessaire pour prononcer les courtes paroles qu'elle renferme. Elle dura pour le moins une heure, comme on peut l'inférer du reproche que Jésus fit à saint Pierre : « C'est ainsi que vous n'avez pu veiller une heure avec moi. » Or, Il employa tout ce temps à peser les motifs qui pouvaient L'exciter au respect, à la confiance, à l'amour, à la résignation, et faire naître en Lui d'autres sentiments semblables, auxquels Il se livra durant sa prière. Il repassait aussi dans son esprit toutes les souffrances particulières dont se composait son calice ; Il les acceptait toutes, en disant, par exemple : Mon Père, s'il est possible, éloignez de moi le calice de la tristesse, faites néanmoins ce que vous voudrez, et non pas ce que je veux : éloignez de moi le calice de la flagellation... le calice du couronne­ment d'épines... cependant, que votre volonté se fasse, et non la mienne.

6) Pendant l'heure entière que dura cette prière, il est à croire que Notre-Seigneur y attacha plusieurs autres sens, comme les saints nous l'assurent. Ainsi, il fut révélé à sainte Catherine de Sienne que, pressé de voir enfin consommée l'œuvre de la Rédemption du monde, le Sauveur pria son Père que la durée de sa Passion fût abrégée, et que le calice qu'Il devait boire passât au plus tôt : ce qui lui fut accordé, puisqu'Il souffrit en peu d'heures tout ce qu'Il avait à souffrir.

À l'imitation de notre Sauveur, employons une heure, ou plus, à l'oraison dans un profond recueillement. Si le sujet que nous avons choisi est une courte sentence, tâchons de l'étendre par la variété des considérations et des affections. On raconte de saint François d'Assise qu'il passa une nuit entière en oraison sans dire autre chose que ces deux mots : « Mon Dieu, et mon tout ! » On sait aussi que saint Augustin répétait souvent : « Que je me connaisse, Seigneur, et que je vous connaisse ! »

III. — Jésus trouve ses apôtres endormis

Après avoir achevé sa prière Notre-Seigneur retourna vers ses disciples pour voir s'ils veillaient, comme Il le leur avait commandé ; mais Il les trouva endormis. Il les réveilla donc, et d'une voix pleine de douceur, Il leur dit à tous, et spécialement à Pierre, qui se piquait d'être le plus fervent : « C'est ainsi que vous n'avez pu veiller une heure avec moi ! Veillez et priez, afin que vous n'entriez pas en tentation ; car l'esprit est prompt, mais la chair est faibles. »

1) Admirons la charité de Jésus-Christ et la sollicitude qu'Il témoigne pour ses disciples. En proie Lui-même aux plus cruelles angoisses, Il interrompt sa prière pour les visiter et les encourager. Bien qu'Il les trouve plongés dans le sommeil, Il ne s'irrite point contre eux ; mais Il les reprend avec bonté ; Il les avertit du danger où ils sont ; Il leur répète, ce qu'Il leur avait déjà recommandé, de prier, afin de ne point succomber à la tentation, car, si l'esprit est prompt, la chair est faible ; et sans le secours de la prière elle sera vaincue.
Tirons de tout ceci des avis et des conseils de perfection, particulièrement les deux suivants : l'un, de nous adonner à l'exercice de l'oraison et du recueillement, sans toutefois négliger le soin des personnes et des affaires dont nous sommes chargés ; l'autre, de ne point reprendre avec sévérité, mais en esprit de mansuétude, alléguant des motifs qui marquent de l'affection, surtout à l'égard de ceux qui manquent par faiblesse plus que par malice.

2) Dans la conduite des disciples, reconnaissons la négligence que les hommes apportent aux choses de leur salut, tandis que Notre-Seigneur s'en occupe avec tant de zèle et en prend un soin tout particulier. Dans le sommeil des disciples, voyons l'image de notre assoupissement et de notre torpeur en ce qui touche à notre avancement spirituel. Imaginons que Jésus-Christ nous dit aussi bien qu'à ses apôtres : « Tu ne peux veiller une heure avec moi ! »

Ô mon Sauveur, que je mérite justement ce reproche I Vous veillez, et je me laisse vaincre par le sommeil. Je ne puis veiller non seulement une heure, mais pas même une demi-heure avec l'attention convenable : tant le courage me fait faute. Mais vous, Seigneur, qui voyez combien ma chair est faible, soutenez-moi par votre grâce, afin que je ne me lasse point de veiller en votre compagnie.

3) Remarquons les différents effets que produit la tristesse dans les parfaits et dans les imparfaits. Dans les imparfaits, elle engendre la somnolence, le découragement, le dégoût de l'oraison ; et parce qu'ils cessent de prier, ils finissent par succomber à la tentation, comme y succombèrent les apôtres en abandonnant leur Maître. Dans les parfaits, au contraire, la tristesse est comme un aiguillon qui les excite, qui les anime à prier. Plus elle augmente, plus ils prient avec ferveur, à l'exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi, loin de succomber à la tentation, ils demeurent fermes et inébranlables.

Ô Dieu plein de bonté, ne retirez de moi ni la prière, ni votre miséricorde. Aidez-moi à persévérer dans l'oraison ; car votre miséricorde ne m'aban­donnera pas, tant que je n'abandonnerai pas la prière.

IV. — Jésus prie pour la seconde fois

Jésus-Christ retourna au lieu de sa prière et commença à prier de nouveau, répétant les mêmes paroles, mais avec plus d'instance que la première fois. Il est probable qu'Il se servit alors des termes rapportés par saint Marc : « Mon Père, mon Père, tout vous est possible ; détournez de moi ce calice ; mais que votre volonté se fasse, et non la mienne. »

1) Considérons le redoublement d'amour et de confiance exprimé par ces paroles du Sauveur. D'abord, Il répète deux fois le nom de Père, puis, avant de demander ce qu'Il désire, Il reconnaît et exalte cette puissance sans limites, sur laquelle repose la prière. Comme s'Il disait : Vous ne pouvez vous empêcher de m'exaucer, ni faute d'amour, puisque vous êtes Père, et mon Père ; ni faute de pouvoir, puisque toutes choses vous sont possibles.
Servons-nous avec avantage de cette prière dans les périls et les afflictions, la modifiant selon les circonstances, de cette manière, par exemple :

Mon Père, mon Père, tout vous est possible ; délivrez-moi de la tentation que je souffre ; accordez-moi la vertu que je vous demande ; secourez-moi dans la nécessité où je suis : mais que votre volonté se fasse, et non la mienne.

2) Considérons que Notre-Seigneur Jésus-Christ employa un temps considérable à cette prière. Nous pouvons croire que, durant ce temps, Il pria pour tous les hommes ; car, comme Rédempteur universel, Il désirait, autant qu'Il dépendait de lui, que tous les hommes soient sauvés, que sa Passion soit utile à tous, et que le fruit de si grandes souffrances ne soit perdu pour personne. On peut penser que c'est aussi dans ce sens, joint au précédent, qu'Il prononça ces paroles : Mon Père, tout vous est possible : faites, s'il se peut, que le calice de ma Passion ne soit point pour moi seul, qu'il ne s'arrête pas à moi, mais que de moi il passe à tous les hommes, afin que tous en recueillent le fruit : néanmoins que votre volonté soit faite, et non la mienne. Cette demande est bien conforme à la charité de Jésus-Christ. Nous pouvons, nous aussi, l'adresser au Père éternel, Le suppliant que le calice de la Passion de son Fils passe efficacement à tout le monde, soumettant toutefois notre jugement et notre volonté à ses éternels décrets.
Dans cette pensée, représentons-nous Notre-Seigneur priant son Père de faire passer jusqu'à nous ce calice de souffrances et de nous en communiquer les fruits ; unissons notre prière à la sienne pour obtenir la même faveur, et disons :

Ô Père éternel, puisque votre Fils a voulu boire ce calice amer qui a la vertu de donner la vie, je ne dis pas au monde entier, mais à des milliers de mondes, montrez votre bonté et votre puissance en le présentant à une multitude innombrable d'hommes qui en profitent, à la gloire de celui qui l'a bu pour leur salut. Faites aussi qu'il vienne jusqu'à moi, et qu'il me rem­plisse à la fois de son amertume et des biens que mon Sauveur m'a mérités en le buvant le premier.

3) Considérons encore à ce sujet ce que Jésus dit dans cette seconde prière, au rapport de saint Matthieu : « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite. » Comme s'Il avait dit : Si ce calice de la Passion ne peut passer aux élus et leur être utile à moins que je ne le boive, je veux le boire pour leur avantage.

Ô mon aimable Rédempteur, je Vous rends grâces de ce que Vous estimez tellement mon âme, que Vous vous offrez à vider un calice si amer pour procurer son salut. Il est bien nécessaire que Vous le buviez avant moi, afin qu'il perde en Vous son amertume, et que je puisse le prendre sans répugnance quand il Vous plaira de me le présenter. Si Vous ne l'aviez bu le premier, qui de nous aurait le courage de l'accepter ? Mais après Vous, qui ne le boira volontiers ? Qu'il passe donc, Seigneur, qu'il passe de Vous à moi ; car les souffrances qui auront passé par Vous seront douces pour moi.

V. — Jésus prie pour la troisième fois

Après avoir achevé la seconde prière, le Sauveur vint de nouveau vers ses disciples avec la même bonté que la première fois. « Les trouvant encore endormis », il eut compassion de leur faiblesse, « les laissa, et alla prier pour la troisième fois, disant les mêmes paroles : Mon Père, si vous voulez, éloignez de moi ce calice ; cependant, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre. » Cette dernière prière fut également fort longue ; car, ainsi que le remarque saint Luc : « Étant tombé en agonie, Il redoublait et prolongeait son oraison. »

1) Ici, considérons d'abord comment Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui ne pouvait ignorer que ses disciples étaient endormis, ne laissa pas de les visiter, afin de montrer quel soin Il avait d'eux. Mais ce qui doit surtout attirer notre atten­tion, c'est l'étrange isolement auquel Il se sent réduit. Il est privé de toute consolation. Le lieu où Il prie est écarté ; le temps est obscur ; ses disciples dorment profondément, sa mère est absente ; son Père céleste paraît ne point l'écouter ; sa divinité et la partie supérieure de son âme laissent la partie inférieure dans la dernière désolation, de sorte qu'Il peut dire à juste titre avec le Roi-Prophète : « J'ai cherché un ami pour me consoler, et je ne l'ai point trouvé. » Il est à croire que dans cette extrémité Il adressa à son Père ces paroles du psaume vingt et unième : « Mon Dieu, mon Dieu, jetez sur moi vos regards ; pourquoi m'avez-vous abandonné ? Je crie vers vous le jour et la nuit, et vous ne m'écoutez point. »  Mais je sais que ce n'est pas par ma faute et que cela ne tournera pas à mon désavantage.

De là procède la persévérance du Sauveur. Il ne se plaint pas avec impatience de n'être pas écouté ; Il ne se décourage pas ; Il ne renonce pas à la prière ; Il renouvelle la même demande jusqu'à trois fois avec une ferveur toujours croissante, pour nous apprendre par ce nombre de trois, qui désigne la perfection et la durée, que nous devons prier avec instance et per­sévérance, sans nous plaindre de ce que Dieu ne nous exauce pas, ou de ce qu'Il tarde à nous exaucer, et sans cesser pour cela de prier. Car si le Fils de Dieu, qui méritait d'être écouté à la première parole, ne reçut de son Père aucune réponse avant de L'avoir prié trois fois ; pouvons-nous être étonnés que l'on nous fasse attendre, nous qui sommes indigne en toute manière d'être écoutés ? Au reste, nous devons tenir pour certain que comme le retard ne nuisit pas à Jésus-Christ, il ne nous nuira pas à nous-même ; et que, si nous continuons de prier, nous obtiendrons au temps convenable ce qui nous sera le plus utile, sinon en qualité d'ami, du moins à cause de notre importunité.

2) Considérons enfin que le Père éternel laissa son Fils prier un temps si considérable sans Lui répondre un seul mot, afin de nous faire comprendre combien ses souffrances et sa mort nous étaient nécessaires ; car c'est ce motif qui L'empêcha d'acquiescer à la demande que Lui faisait ce Fils bien-aimé, d'éloigner de Lui, s'il était possible, le calice de sa Passion. Après cela, pouvons-nous ne pas aimer un Père si charitable qui embrasse avec tant de zèle nos intérêts ?

Ô Père saint, comment se fait-il que Vous consentiez à affliger votre Fils unique par amour pour vos esclaves ? Comment Vous montrez-Vous sourd à sa demande et refusez-Vous d'accomplir ses désirs, par égard pour des ingrats qui n'accomplissent pas les vôtres ? Vous qui faites la volonté de ceux qui Vous craignent, et Vous empressez d'exaucer leurs prières ; comment ne faites-Vous pas la volonté de celui qui Vous aime tant ? Comment, dès qu'Il Vous invoque, ne Lui répondez-Vous pas : Me voici, que Me demandez-Vous ? C'est votre charité pour nous, ô mon Dieu, qui en est la cause ; mais c'est aussi la charité de votre Fils ; car Il ne veut pas obtenir ce que Vous ne jugez pas convenable de Lui accorder, et sa vie Lui est moins chère que notre salut. Donnez-moi, Seigneur, une semblable conformité à votre volonté en tout ce que Vous ordonnerez de moi ; car si je mérite d'être puni, je sais que Vous voulez, non pas me perdre, mais me sauver, pour l'amour de votre Fils, à qui soit honneur et gloire dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

 

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5e mystère joyeux

Le recouvrement de Jésus au temple

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

DE CE QUE FIT LA SAINTE VIERGE
DEPUIS QU’ELLE S’APERÇUT
DE L’ABSENCE DE SON DIVIN FILS
JUSQU’À CE QU’ELLE L’EUT RETROUVÉ

  

I. — L’absence de Jésus

Joseph et Marie, étant sortis de Jérusalem, s’en retournaient à Nazareth en compagnie de plusieurs de leurs concitoyens. Comme les hommes et les femmes marchaient séparément, Joseph croyait que l’Enfant était avec sa Mère, et la Vierge pensait qu’il était avec son saint époux. Ils firent ainsi une journée de chemin, et arrivés le soir à l’hôtellerie, ils ne trouvèrent point Jésus. Ils se mirent aussitôt à le chercher parmi leurs parents et ceux de leur connaissance, mais en vain.

1) Remarquons ici la mystérieuse conduite du Seigneur à l’égard de deux personnes d’une si haute sainteté. Il les afflige sans qu’elles soient coupables de la moindre faute, à l’occasion d’une bonne œuvre qu’elles viennent de faire pour l’honorer, et du côté qui leur est le plus sensible, c’est-à-dire, par la disparition subite d’un enfant qu’elles aiment uniquement. Il veut par-là les exercer à la pratique de la patience, de l’humilité, d’une diligence pleine de ferveur, et de plusieurs autres vertus qui brillèrent en cette circonstance dans la Vierge et dans saint Joseph, et dont l’imitation nous est tous les jours si nécessaire.
Ils montrent leur patience. Ils ne se troublent point et ne perdent pas la paix de l’âme. Loin de se plaindre de la conduite rigoureuse en apparence de Jésus, ils supportent cette séparation cruelle avec un esprit égal et entièrement soumis aux ordres de la Providence.
Ils font paraître leur humilité. Ils craignent sans sujet de s’être rendus coupables de quelque négligence. Ils appréhendent que l’Enfant-Jésus, peu satisfait de leurs soins, ne les ait abandonnés pour embrasser un nouveau genre de vie ; et pénétrés du sentiment de leur indignité, ils confessent qu’ils ne méritaient point de veiller plus longtemps sur sa personne.
Leur diligence ne saurait être plus grande. À peine s’aperçoivent-ils de son absence, qu’ils se mettent à le chercher avec toute la sollicitude et tout l’empressement possible, l’amour d’un côté et de l’autre la considération de leur devoir ne leur laissent aucun repos. Mais, parce qu’ils le cherchent parmi leurs parents et ceux de leur connaissance, ils ne le trouvent point. En effet, si Jésus n’eût désiré autre chose que la compagnie de ses proches, où pouvait-il être mieux qu’auprès de sa Mère ?
À l’exercice de ces trois vertus, ils ajoutent une longue et fervente prière. Oh ! Quelle langue pourrait exprimer l’affliction dans laquelle la plus aimante des mères passa cette triste nuit, et combien de fois elle soupira après son bien-aimé Jésus ! Tantôt elle gémit dans sa solitude, comme une colombe à qui on a ravi ses petits ; tantôt elle conjure le Père éternel de ne pas lui ôter si tôt le soin de son adorable Fils ; tantôt elle le prie de veiller sur lui, quelque part qu’il soit ; tantôt elle le presse de le lui rendre et de ne pas l’en priver plus longtemps.

Ô souveraine du Ciel et de la terre, vous voici exposée sur une mer en fureur, et la prière est votre unique recours au milieu de la tempête. La perte de celui qui est votre trésor vous plonge dans un océan d’amertume ; la tristesse a inondé votre âme, et les pensées diverses dont vous êtes agitée sont comme autant de flots qui menacent de vous engloutir. Les ténèbres arrêtent vos pas ; elles ne vous permettent point de poursuivre l’objet de votre tendresse, dont l’éloignement est pour vous un indicible martyre. Vous êtes sans espoir du côté de la terre ; aussi levez-vous les yeux vers le ciel, d’où vous attendez le secours. Votre espérance ne sera pas vaine ; car le Pilote céleste, qui est votre Père, ne délaisse pas ceux qu’Il aime ; Il n’abandonne pas pour toujours ceux qui espèrent en Lui.

2) Après avoir médité ce fait évangélique en lui-même et dans ses causes, élevons plus haut nos pensées et efforçons-nous de pénétrer le sens spirituel qu’il renferme. Il arrive souvent que Dieu se cache aux hommes et s’éloigne d’eux sans qu’ils s’en aperçoivent, selon cette parole de Job : « S’il vient à moi, je ne le verrai point ; et s’il s’en va, je ne m’en apercevrai point ; et si je suis juste, mon cœur ne le saura pas. » Cette ignorance dure ordinairement pendant tout le jour, jusqu’à ce que la nuit vienne nous ouvrir les yeux, comme il arriva dans la circonstance présente à la très sainte Vierge et à saint Joseph. Ces mystérieuses absences du Seigneur ont plusieurs causes.
La première est le péché mortel commis avec ignorance coupable, ou par illusion du démon, sous une apparence de bien. Alors Dieu se retire sans que l’homme s’en aperçoive ; et l’ignorance du pécheur dure parfois tout le jour, c’est-à-dire tout le temps de cette vie, jusqu’à ce que la nuit de la mort le surprenne séparé de Dieu. C’est ce qui a fait dire au Sage : « Il y a une voie qui paraît droite à l’homme, et qui aboutit à la mort. » Cet éloignement de Dieu est épouvantable, parce qu’il est le prélude de la séparation qui n’aura point de fin. Supplions le Seigneur de ne pas s’éloigner ainsi de nous, et disons-Lui avec le Psalmiste : « Purifiez-moi, mon Dieu, de mes fautes cachées ; oubliez celles que l’ignorance m’a fait commettre. »

La seconde est une vaine gloire et un orgueil secret. Ce vice consume peu à peu la substance de la dévotion et finit par priver l’âme de la présence favorable de son Seigneur. Cette âme ne reconnaît point sa perte durant le jour, au temps de la prospérité, par la raison que l’amour-propre lui fait trouver un certain goût dans l’exercice des bonnes œuvres. Mais la nuit de l’adversité et de l’humilité survient ; elle voit alors qu’elle est éloignée de Dieu et vide de toute vertu solide ce qui la jette dans l’abattement et dans le trouble.

La troisième cause est une disposition secrète de la Providence qui nous soustrait la dévotion sensible pour nous fournir l’occasion de nous exercer dans l’humilité. Il est même remarquable que souvent nous éprouvons ces sécheresses dans les jours les plus solennels, où nous nous adonnons davantage aux œuvres extérieures de la piété. Nous n’y prenons pas toujours garde dans l’ardeur de l’action ; mais nous ne le sentons que trop quand nous voulons nous appliquer au recueillement intérieur. Le plus sûr pour nous est de regarder cet éloignement de Dieu comme un châtiment de notre tiédeur et de nos négligences, ne nous fussent-elles pas connues, et de dire avec David : « J’ai péché, Seigneur, avant de tomber dans l’humiliation, et c’est justement que vous m’avez humilié : mes infidélités dans votre service m’ont attiré cette confusion. » Mais, après tout, que nous soyons innocents ou coupables, nous devons nous persuader que Dieu ne nous prive de la grâce de la dévotion et de ses visites célestes que pour notre plus grand bien, selon cette autre parole du même prophète : « Il m’est avantageux que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne à connaître vos jugements. »

Dans toutes ces circonstances, nous devons faire des actes réitérés des quatre vertus dont Marie et Joseph nous ont donné l’exemple, et, comme eux, nous affermir dans l’humilité, nous armer de patience, chercher Dieu avec diligence, et Le prier instamment, de nous montrer de nouveau son divin visage ; car il est écrit : « Demandez, et vous recevrez ; cherchez, et vous trouverez. »

Ô mon doux Jésus, puisque Vous m’assurez que quiconque cherche trouvera, inspirez-moi un si vif désir de Vous voir, que j’aie le bonheur d’obtenir cette grâce ; et aidez-moi à Vous chercher avec tant de soin, que je Vous trouve et Vous possède dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

II. — Joseph et Marie cherchent et trouvent Jésus.

Le lendemain, Joseph et Marie partirent de grand matin et retournèrent à Jérusalem pour chercher l’enfant Jésus. Et, trois jours après l’avoir perdu, ils entrèrent dans le temple où ils le trouvèrent assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant, ce qui les remplit d’admiration.
Considérerons attentivement, sur ce point, le temps et le lieu où la Vierge retrouva Jésus, dans quelle compagnie Il était, ce qu’Il y faisait et quelle joie éprouva cette mère affligée en Le revoyant. Cherchons le sens caché de tout ceci.

1) Pour ce qui est du temps, Marie retrouva son Fils le troisième jour, e sorte que, dans cette circonstance, elle eut à peu près autant d’heures à passer dans l’isolement et dans l’affliction, qu’il s’en écoula plus tard depuis la Passions jusqu’à la Résurrection du Sauveur, moment heureux où il lui apparut vivant et plein de gloire. Cet espace de trois jours signifie que celui qui a perdu la présence sensible de son Dieu et la grâce de la dévotion, ne recouvre pas sur-le-champ ce qu’il a perdu. Quand le Seigneur se cache à une âme, c’est toujours pour un certain temps ; soit en punition d’une faute qu’elle a commise, soit pour lui fournir l’occasion de pratiquer la patience et l’humilité, soit enfin pour exciter par ce délai la vivacité de ses désirs et l’obliger à Le chercher avec tant d’ardeur qu’elle mérite de Le retrouver au plus tôt et même de recevoir des grâces plus abondantes de son infinie bonté. Du reste, ce terme de trois jours, pris en lui-même, est de nature à soutenir notre confiance et notre courage, puisqu’il nous montre comme rapproché le moment où nous serons de nouveau consolés. « Après deux jours, disent par la bouche d’un prophète les justes affligés, le Seigneur nous vivifiera ; au troisième, il nous ressuscitera, et nous vivrons en sa présence. »

2) Le lieu où fut retrouvé Jésus, c’est le temple, c’est la maison de Dieu, maison de prière et de recueillement, consacrée au culte du souverain Seigneur de toutes choses et aux œuvres du service divin. Cela signifie que nous ne trouverons pas Jésus-Christ dans la compagnie de ceux que nous connaissons selon la chair et le sang, ni parmi les délices et les vanités du monde, mais dans la véritable Église et dans notre propre cœur, pourvu que nous en fassions un temple vivant, une maison de prière, dédiée aux œuvres de la dévotion et de la sainteté. L’Épouse, dans les Cantiques, nous enseigne admirablement cette vérité, quand elle nous dit qu’elle n’a point trouvé son Bien-Aimé dans sa couche nuptiale, c’est-à-dire dans le repos et les plaisirs des sens, ni dans les rues et les places publiques de Jérusalem, c’est-à-dire dans le bruit et les embarras du monde. Elle ne l’a trouvé que dans la solitude, après avoir renoncé entièrement aux consolations des créatures, pour chercher uniquement le Créateur. Par conséquent, ô mon âme, si tu désires trouver le Seigneur, examine bien où tu le cherches ; car l’Esprit-Saint nous avertit qu’il n’habite point la terre de ceux qui vivent dans les délices.

3) En quelle compagnie était le Seigneur, que faisait-Il lorsque la Vierge entra dans le temple ? Ce ne fut pas sans un dessein spécial de la Providence qu’elle le trouva assis parmi les docteurs de la loi, les écoutant et leur proposant des questions. Il prétendait par-là faire comprendre à sa sainte Mère la raison pour laquelle Il l’avait quittée et était demeuré seul à Jérusalem. Il désirait en même temps nous apprendre qu’Il est toujours au milieu des docteurs de son Église, et que nous avons toujours, dans leur enseignement et leur direction, un moyen sûr d’aller à Lui et de Le trouver. Il voulait enfin signifier aux docteurs que, s’Il est au milieu d’eux, c’est pour écouter ce qu’ils disent et ce qu’ils enseignent, afin de les redresser, s’ils s’égarent, et de les aider à connaître la vérité, pourvu qu’ils ne se rendent pas indignes de recevoir ses lumières.

4) Essayons de comprendre quelle dut être la joie de la Vierge quand elle rencontra celui qu’elle avait perdu depuis trois jours, et qu’elle avait cherché avec tant de peine. Lorsque la mère du jeune Tobie vit de retour et en pleine santé le fils qu’elle pensait avoir perdu pour jamais, les larmes que la douleur faisait couler de ses yeux se changèrent en larmes de bonheur. C’est une image de ce qui arriva à la Mère de Jésus. Ce troisième jour fut pour elle une sorte de résurrection ; la mesure de son affliction fut celle de son allégresse ; et en elle s’accomplit à la lettre cette parole de David : « Autant la douleur avait pénétré mon cœur, autant, Seigneur, vos consolations ont inondé mon rimes. »

Ô Vierge sainte, qui retrouvez enfin l’unique objet de votre amour, comment ne prendrais-je point part à votre joie ? Votre espérance, si longtemps différée, vous causait un cruel tourment ; aujourd’hui, l’accomplissement de votre désir est pour vous comme un arbre de vie, car vous retrouvez l’arbre mystérieux et divin qui est la vie des nations. Obtenez-moi, Vierge bénie, la grâce de Le chercher avec tant de zèle, que je mérite de Le trouver et d’y cueillir, comme vous, des fruits de bénédiction et de salut.

5) Voyons avec admiration comment la Vierge sut tempérer par une rare modestie l’extrême joie de son cœur. Voilà son Fils parmi les docteurs ; Il les frappe tous par la sagesse de ses paroles. Quelle est la conduite de l’humble Marie ? Loin d’imiter les autres femmes, naturellement si portées à relever les qualités heureuses de leurs enfants et à se vanter d’être leur mère, elle contemple, avec une surprise mêlée de vénération, le spectacle qu’elle a sous les yeux. Ainsi nous enseigne-t-elle à unir la modestie à la joie, suivant ce précepte de l’Apôtre : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ; je vous le dis encore une fois, réjouissez-vous ; mais que votre modestie soit connue de tous, parce que le Seigneur est proche. » C’est-à-dire : Réjouissez-vous sans perdre la modestie : le Seigneur est au milieu de vous, Il vous regarde, et il ne convient pas que vous vous livriez à une joie orgueilleuse en sa présence.

III. — Les paroles de Marie à Jésus manière de prier en forme de plainte inspirée par l’amour.

La Vierge, ayant aperçu son divin Fils, se plaignit amoureusement à lui en ces termes rapportés par l’Évangéliste saint Luc : « Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi envers nous ? Voilà que nous vous cherchions, votre père et moi, plongés dans la douleur. » Toutes ces paroles sont pleines de mystères ; elles méritent d’être méditées chacune en particulier.

1) « Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi envers nous ? » La Vierge ne prétend point, par cette question, demander compte à son Fils de ce qu’Il a fait, ni en savoir la raison, ce qui serait une curiosité présomptueuse et inexcusable ; elle veut seulement lui exprimer la douleur qui navre son cœur maternel. Les saints emploient souvent cette manière de parler avec Dieu lorsqu’ils sont dans l’affliction. C’est, à proprement dire, une prière par laquelle ils Lui demandent implicitement le remède à leurs maux. Car, d’un côté, ils attribuent leurs peines à la Providence qui veut ou permet toutes choses pour leur bien ; de l’autre, ils confessent qu’il n’appartient qu’à Elle de les délivrer et de les sauver.
Nous aussi, nous pouvons prier Dieu notre Seigneur de cette manière. Tantôt, nous Lui dirons avec Job : « Pourquoi m’avez-vous rendu l’objet de votre colère ? Faut-il que je sois à charge à moi-même ? Pourquoi n’effacez-vous pas mon péché et ne me pardonnez-vous point mon iniquité ? Pourquoi me cachez-vous votre visage et me croyez-vous votre ennemi ? » Tantôt nous répéterons avec notre Sauveur attaché à la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? »
Remarquons ici que la Vierge ne dit pas, pourquoi avez-vous agi ainsi envers moi ; mais, envers nous ? En voici la raison. Lorsque les saints souffrent des peines qui leur sont communes avec plusieurs, ils ne ressentent pas uniquement leur mal et n’en demandent point pour eux seuls le remède ; mais, sensibles aux souffrances de leurs frères comme aux leurs mêmes, ils ne négligent rien pour leur en obtenir la délivrance. Car la charité n’est point égoïste ; l’homme vraiment charitable ne songe pas seulement à ses propres intérêts, il s’occupe encore de ceux du prochain. Il dit avec le Psalmiste : « Pourquoi, Seigneur, détournez-vous de nous votre visage ? Et pourquoi oubliez-vous notre pauvreté et notre tribulation ? » Il faut se garder, dans cette manière de prier en forme de plainte, de tout ce qui pourrait diminuer le sentiment de l’amour et de la confiance en Dieu. Pour ce motif, il est à propos de mêler à notre prière quelques termes affectueux, comme Marie lorsqu’elle dit à Jésus : « Mon fils » ; et comme Notre-Seigneur quand il s’écria dans son délaissement sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu » : expressions qui respirent la confiance et l’amour.

2) « Voilà que votre père et moi. » Oh ! Prodigieuse humilité de la Mère de Dieu ! Non contente de nommer saint Joseph le premier, à cause du respect qu’elle lui porte, elle lui donne encore publiquement le nom de père de Jésus, comme si la conception du Sauveur du monde n’avait pas été l’œuvre du Saint-Esprit. C’est une humiliation pour elle ; mais la Vierge, humble par excellence, est plus jalouse de l’honneur de son époux que du sien propre, et elle tient, à lui donner, dans l’assemblée des docteurs et en présence d’un grand nombre de Juifs, le glorieux titre de père. Ainsi nous enseigne-t-elle à honorer notre prochain, au préjudice même de notre réputation et de notre gloire.

3) « Nous vous cherchions plongés dans la douleur. » Ces paroles nous avertissent que nous devons chercher Dieu avec une douleur qui procède, comme celle de Marie et de Joseph, de l’amour, de cet amour surnaturel et divin qui produit dans l’âme les quatre effets suivants : une vive douleur qui nous fait répandre des larmes à la seule pensée que nous avons perdu celui que nous aimons ; un désir ardent de le chercher avec une intention pure, non pour notre propre intérêt et pour notre consolation, mais uniquement pour unir plus étroitement notre cœur à son cœur ; une diligence extrême à employer les moyens les plus efficaces pour le retrouver ; enfin, une constance généreuse qui ne nous permette de prendre aucun repos, avant d’avoir réussi dans une si sainte entreprise. « Cherchez le Seigneur, dit le prophète royal, et soyez constants, cherchez sans cesse sa présence. » Isaïe dit dans le même sens : « Si vous cherchez le Seigneur, cherchez-le bien » ; c’est-à-dire, comme un Seigneur si grand et si bon mérite d’être cherché ; et n’en doutez pas, vous le trouverez. La promesse qu’Il a faite est formelle : « Si vous me cherchez, vous me trouverez, pourvu que vous me cherchiez de tout votre cœur. » Si donc nous ne trouvons pas le Seigneur, c’est que nous avons négligé de remplir quelqu’une des conditions précédentes. Examinons-nous sur ce point ; voyons en quoi nous avons manqué, et prenons la résolution d’être désormais plus fidèle.

4) Remarquons, en dernier lieu, la brièveté et la concision des paroles de Marie. Non seulement elle n’en dit aucune qui soit superflue, mais elle en supprime même plusieurs qui paraîtraient nécessaires pour déclarer entièrement sa pensée.
Elle renferme tout dans un seul mot, ainsi : « Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi ? » Cet exemple confirme ce que nous avons eu lieu d’observer ailleurs, l’attention continuelle que la très prudente Vierge avait de modérer sa langue et de peser tout ce qu’elle disait. Mais aujourd’hui, elle montre d’une manière plus frappante l’empire qu’elle a sur elle-même, en comprimant cette abondance de paroles qui s’échappent ordinairement d’un cœur affligé.

IV. — Réponse de Jésus à sa Mère.

À la demande de sa sainte Mère, Jésus répondit : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je sois occupé aux choses qui regardent le service de mon Père ? » Cette réponse n’est pas moins grave ni moins admirable que celles qu’Il venait de faire aux docteurs. Il convient donc de la méditer attentivement : ce sont les paroles de la Sagesse incarnée.

1) « Pourquoi me cherchiez-vous ? » Cette parole, à la première impression, paraît dure et sévère et semble tenir de la réprimande. On est tenté de croire qu’elle signifie : Qu’aviez-vous besoin de me chercher et de vous inquiéter à mon sujet ? Étant ce que je suis, pouvais-je me perdre ? Mais Jésus parle de la sorte pour faire comprendre qu’Il est plus qu’un homme, et pour fournir à sa Mère l’occasion de montrer sa patience et son humilité héroïque. Marie, en effet, ne se borne pas à souffrir en silence une réponse empreinte d’une apparente sécheresse ; elle la reçoit encore avec respect et avec amour. Le Sauveur veut en même temps enseigner aux directeurs de conscience chargés de la conduite spirituelle des personnes religieuses et, généralement, des âmes qui tendent à la perfection, qu’ils doivent quelquefois, selon la doctrine de saint Jean Climaque, les éprouver par des réponses mortifiantes et des réprimandes aigres, en des occasions où elles ne sont point coupables, afin qu’elles donnent la mesure du progrès qu’elles ont fait dans l’humilité et la patience, et qu’elles avancent de plus en plus dans ces vertus. Car c’est peu de nous taire quand on nous reprend d’une faute que notre conscience nous reproche ; mais garder le silence quand notre conscience nous justifie, c’est la marque d’une vertu héroïque.

2) « Ne saviez-vous pas, ajoute le Sauveur, qu’il faut que je sois occupé aux choses qui regardent le service de mon Père ? » Comme s’il disait : Puisque vous n’ignorez pas qui Je suis, vous deviez savoir que c’est une obligation pour Moi de M’employer tout entier au service de mon Père qui est dans le Ciel, moi qui n’ai point de père sur la terre. Jésus-Christ notre Seigneur nous apprend par ces paroles que son unique occupation était de servir son Père ; que le seul but de ses pensées et de ses travaux était de procurer sa gloire, comme Il le déclare plus tard, en disant : « Je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais-la volonté de celui qui m’a envoyé. Il faut que je fasse les œuvres de celui qui m’a envoyé, tandis qu’il est jour, c’est-à-dire durant tout le cours de ma vie mortelle. » À l’imitation de notre divin modèle, occupons-nous non de ce qui peut satisfaire notre sensualité et notre amour-propre, mais des choses du service de Dieu ou qui peuvent se rapporter à sa gloire. Confondons-nous en voyant combien nous nous sommes écartés jusqu’ici de cette ligne de conduite. Par un étrange aveuglement, nous avons songé aux choses de la terre, et nous avons oublié celles du Ciel.

Ô bon Jésus, quelle n’a pas été votre application au service de votre Père ! C’était pour vous un sujet d’étonnement que l’on pût à la fois Vous connaître et espérer Vous trouver occupé à des choses qui y fussent étrangères. Aidez-moi, je Vous en conjure, à n’abandonner jamais les œuvres de votre service, et à n’avoir d’autre désir que de les aimer et de les accomplir. Il est juste, Seigneur, que ma mémoire, mon entendement, ma volonté, mes sens, tout ce que je suis, s’occupent sans cesse de Vous et de votre gloire, puisque Vous ne cessez de Vous employer à ce qui regarde mon utilité, ma perfection et mon salut.

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4e mystère joyeux

La Présentation de Jésus au temple

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

DE LA PURIFICATION DE LA VIERGE
ET DE LA PRÉSENTATION DE L'ENFANT AU TEMPLE

  

I. — Vertus pratiquées par la Vierge dans la Purification

La loi ancienne ordonnait aux femmes qui mettaient au monde un fils de rester enfermées dans leur maison pendant quarante jours, comme étant impures ; puis, d'aller au temple pour y être purifiées. Elles devaient offrir un agneau et une tourterelle, ou, si elles étaient pauvres, deux tourterelles ou deux pigeonneaux, conjurant le prêtre de prier pour elles. Marie observa exactement cette loi, et pratiqua plusieurs vertus admirables, particulièrement six, qui furent comme les six feuilles de ce lis d'une éclatante blancheur, dont parle l'Époux céleste dans les Cantiques, lorsqu'il dit : Comme le lis est entre les épines, telle est ma bien-aimée entre les filles de Jérusalem.

La première de ces vertus est l'attrait pour le recueillement. Marie goûtait une joie si parfaite dans sa solitude, que, la loi ne lui eût-elle pas défendu d'en sortir, elle y serait demeurée très volontiers, uniquement occupée à contempler les perfections de son divin Fils, et à remplir à son égard tous les devoirs d'une mère. Ceci suffisant pleinement à son bonheur.

La seconde est un amour très délicat pour la pureté de cœur. Elle est pure entre toutes les créatures, et néanmoins elle veut observer la loi, afin de se purifier davantage et de mériter que le Saint-Esprit lui adresse ces paroles des Cantiques : Vous êtes belle, ma bien-aimée ; il n'y a point de tache en vous.

La troisième est une obéissance héroïque. Elle sait qu'elle a conçu par la vertu du Saint-Esprit, et que par conséquent, la loi de la purification n'est point faite pour elle. Elle consent toutefois à s'y assujettir, comme son Fils s'est soumis à la loi de la circoncision. Ennemie des dispenses et des privilèges, elle ne veut se distinguer en rien des autres mères ; elle met sa vertu à satisfaire aux obligations communes, sans éluder ou affaiblir la loi par des interprétations commodes, elle qui a les raisons les plus légitimes pour s'en exempter. Ainsi, après avoir passé quarante jours pleins dans la retraite, elle sort de sa maison et s'achemine en toute diligence vers Jérusalem, marchant avec une joie modeste, les yeux constamment fixés sur son Fils qu'elle porte entre ses bras, et dont l'exemple lui est une admirable leçon d'obéissance.

La quatrième est une rare humilité. Cette vertu porte Marie à vouloir être traitée, non comme vierge, mais comme une femme ordinaire qui a besoin d'être purifiée : en quoi elle montre un égal amour et pour l'humiliation et pour la pauvreté. Que sa conduite doit me confondre quand les mouvements de mon orgueil me font désirer de passer pour saint, moi qui ne suis en réalité qu'un misérable pécheur, dont les bonnes œuvres mêmes, comme parle Isaïe, sont semblables à un linge souillé !

La cinquième est un tendre amour pour la pauvreté qui est la sœur de l'humilité. Avec l'or que lui ont donné les Mages, elle peut acheter un agneau pour l'offrir au temple, selon l'usage des femmes riches et nobles ; mais elle aime mieux passer pour pauvre, et ne présenter, comme les pauvres, que deux tourterelles ou deux pigeonneaux.

La sixième est une douce et fervente dévotion qui paraît dans le respect avec lequel elle présente son offrande au prêtre, et dans la manière humble dont elle le supplie de prier pour elle, bien que sa haute sainteté la rende digne de prier pour les autres.

Enfin, comme au milieu des six feuilles dont le lis est composé s'élèvent six tiges terminées chacune par un bouton d'or, on peut dire aussi que, outre les six principales vertus exercées par la Vierge dans ce mystère, son intention droite et pure de glorifier Dieu lui fait produire un grand nombre de pieuses affections, dans lesquelles les lumières d'une sagesse céleste sont mêlées avec les saintes ardeurs de la charité.

Je me réjouis, glorieuse Vierge, de vous voir ornée de tant de vertus et si pleine de ferveur à les pratiquer. Je reconnais maintenant que vous êtes véritablement un lis entre les épines ; car nos péchés, comme des épines, nous percent, nous déchirent et nous défigurent, tandis que vous êtes au milieu de nous comme un lis d'une merveilleuse blancheur, composé d'autant de feuilles que nous admirons en vous de vertus. On voit bien que vos yeux sont attachés sans cesse sur le Roi de gloire couché dans la crèche, ou reposant sur vos genoux, puisque votre âme, à son exemple, répand ainsi que le nard une odeur très douce, et forme, de votre pureté, de votre humilité et de votre obéissance, un parfum agréable qui brûle, sans se consumer, dans les flammes de la charité. Faites, ô Vierge sainte, que mes yeux soient toujours fixés sur vous et sur votre Fils, afin que, m'appliquant à imiter ses vertus et les vôtres, je répande partout la bonne odeur d'une édifiante et sainte vie. Ainsi soit-il.
 

II. — Jésus présenté dans le temple

La loi ordonnait encore que tous les premiers-nés des Hébreux fussent offerts et consacrés au Seigneur, en mémoire du bienfait signalé qu'il leur avait accordé en les tirant de l'Égypte, après avoir fait mourir en une seule nuit tous les premiers-nés des Égyptiens. Ce fut pour accomplir cette loi que Marie porta son Fils au temple et qu'elle l'offrit au Père éternel.

1) Considérerons avec quel esprit de dévotion la Vierge fit cette offrande, en son nom et au nom de tout le genre humain. Père saint, dit-elle, voici votre Fils unique, en tant qu'il est Dieu, et mon Fils premier-né, en tant qu'il est homme ; voici celui qui représente tous les premiers-nés offerts à votre divine Majesté jusqu'à ce jour, et dont vous attendiez si vivement la venue dans votre saint temple. Nous vous l'offrons de tout mon cœur, en action de grâces de ce que vous me l'avez donné : pouvons-nous vous présenter un don meilleur ? Il est à vous ; recevez-le dans vos bras paternels : il y sera plus à sa place qu'entre les miens. Recevez-le, ô mon Dieu, en odeur de suavité, pour la rédemption de tous les hommes ; comme une oblation plus précieuse que celle d'Abel, plus agréable que celle de Noé, plus sainte que celle d'Abraham, préférable à toutes celles que Moïse a ordonné de vous faire selon la loi. Nous vous conjurons, par ses mérites, d'accorder à tous les hommes le pardon de leurs offenses, et de ne point leur refuser votre amitié. — Oh ! qui pourrait dire avec quelle complaisance cette offrande fut acceptée par le Père éternel, et à cause de son excellence, et à cause de la sainteté de la personne qui la lui présentait.

2) Considérerons avec quel dévouement l'Enfant béni s'offrit au Père éternel, dans le temple. Voici, dit-il, ô mon Père, voici votre Fils unique qui s'est fait homme pour vous obéir, et qui vient à votre temple pour vous honorer. C'est dans ce saint lieu que je me présente devant votre divine Majesté, prêt à la servir et à faire tout ce qu'il lui plaira de me commander. Puisque ni le massacre des premiers-nés de toute l'Égypte, ni l'oblation des aînés d'Israël n'ont pu sauver les hommes coupables, je me dévoue pour eux à la mort, afin que mon sang apaise votre colère et qu'il soit le prix de leur rédemption. C'est ainsi que le Verbe incarné vérifie cette parole du grand apôtre : Il nous a aimés, et il s'est livré lui-même pour nous, en s'offrant à Dieu pour l’expiation de nos péchés, comme une oblation et une victime d'agréable odeur. Il est à croire que cette auguste cérémonie se fit au commencement du jour, temps où l'on avait coutume d'immoler l'agneau pour le sacrifice du matin, afin qu'il y eût un rapport plus frappant entre la figure et la réalité. Oh ! que le Père éternel agréa volontiers cette offrande qu'il attendait depuis tant de siècles : car toutes celles qu'on lui avait faites jusqu'alors des premiers-nés de son peuple n'avaient été de quelque valeur devant lui, que parce qu'elles étaient des images et des ombres de celle-ci !

3) Il est certain que Notre-Seigneur s'offrit à son Père pour la Rédemption de tous les hommes en général ; mais il est également vrai qu'il nous avait alors présent dans la mémoire et dans le cœur et qu'il s'offrit aussi pour nous en particulier. Dans cette pensée, nous nous renfermerons avec Jésus et avec Marie dans notre âme, qui est le temple de Dieu ; et là, nous présenterons au Père des miséricordes son Fils bien-aimé en reconnaissance de la faveur qu'il nous a faite de nous le donner pour Rédempteur et pour Maître. Nous le supplierons d'agréer cette offrande, de nous accorder par ses mérites le pardon de tous nos péchés, et de nous rendre participant de ses grâces.

Ô Père éternel, je vous offre de toute l'affection de mon cœur votre Fils unique. Je ne mérite pas que vous receviez cette offrande de ma main ; j'espère toutefois que vous aurez plus d'égard à sa valeur qu'à mon indignité, et que vous l'accepterez avec joie. Recevez-la donc, Seigneur, en satisfaction de mes offenses, afin que purifié de toute tache, je puisse paraître devant vous dans le temple de votre gloire. Ainsi soit-il.

III. — Jésus racheté

La loi ordonnait, en troisième lieu, que les premiers-nés fussent rachetés cinq sicles. Marie les paya au prêtre, et le prêtre lui rendit son Fils. Considérons sur ce passage quel est celui qui vend l'Enfant, quelle est celle qui le rachète, à quel prix et en faveur de qui elle fait ce rachat, et enfin quels biens doivent en revenir aux hommes.

1) Celui qui vend l'Enfant divin, c'est le Père éternel. Marie présente aujourd'hui son Fils dans le temple selon la loi. Le Père, qui nous l'a donné, le reçoit ; mais ce n'est pas pour nous le reprendre et le garder, c'est pour nous le donner de nouveau ; c'est, disons-le, pour nous le vendre à notre grand avantage. Admirerons ici la libéralité du Père éternel. Loin de se repentir de nous avoir donné une fois son Fils, il confirme ce qu'il a fait ; il nous crée même un nouveau droit sur ce Fils bien-aimé. (Jusqu'ici nous possédions Jésus à titre de volontaire donation, désormais il nous appartiendra à titre de légitime acquisition.)

2) La personne qui rachète le saint Enfant, c'est Marie. Elle le retire des mains du prêtre et l'emporte avec elle pour le nourrir de son lait en qualité de mère. Mais c'est pour nous, non pour elle, qu'elle le rachète ; si elle le nourrit, c'est afin qu'il grandisse, qu'il nous instruise, et qu'il meure un jour pour notre salut.

3) Le prix du rachat est de cinq sicles.

Ô Père éternel, que vous cédez à vil prix ce que vous avez de plus cher ! Vous n'estimez pas plus votre Fils unique qu'un enfant ordinaire ; mais en vérité, s'il suffit de cinq sicles pour racheter les autres enfants, ne faudrait-il pas des millions de sicles pour racheter Jésus, qui vaut lui seul plus que tout le genre humain ? Je le vois bien, ô mon Dieu, il ne s'agit ici ni de vente ni de rachat, bien que l'on emploie ces noms ; je n'y vois qu'une donation toute gratuite, pour laquelle je vous dois d'éternelles actions de grâces. Que toutes les créatures vous en remercient ; qu'elles bénissent à jamais votre infinie miséricorde !

Dans un sens moral et spirituel, les cinq sicles marquent le prix auquel l'âme fidèle achète l'or très pur de la sagesse divine, qui est Jésus, de la manière qu'il est possible de l'acheter. Or ce prix n'est autre chose que la mortification des cinq sens corporels, et la pratique des cinq vertus qui servent de disposition à la grâce et à la parfaite sainteté, c’est-à-dire : la foi vive, la crainte de Dieu, le regret du péché, la confiance en la divine miséricorde, le ferme propos d'obéir au Seigneur et d'accomplir en toutes choses sa sainte volonté. Par conséquent, ô mon âme, si tu désires posséder Jésus, souviens-toi qu'on ne l'achète point au prix de l'or et de l'argent, mais par l'exercice de ces vertus. Mets-les avec soin en pratique, et tu obligeras le Père éternel à te donner son Fils.

4) Considérons enfin pourquoi le Sauveur veut être vendu et racheté. Il le veut pour devenir le serviteur et l'esclave des hommes et se livrer pour eux à la mort.

Ô doux Jésus, avec quelle joie de votre cœur vous voyez que votre Père céleste vous vend et que votre Mère vous rachète ! Vous annulez par la vente de votre personne, celle que j'ai faite de mon âme en péchant, et vous me rachetez par votre rachat, afin que je sois tout à vous. Mais votre amour n'en demeurera pas là. Vous souffrirez un jour qu'un de vos disciples vous vende encore une fois, et que vos ennemis vous achètent pour vous ôter la vie ; et vous achèverez par votre mort l'œuvre de notre Rédemption. Bénie soit votre charité sans mesure qui ne se lasse pas de nous combler de biens. Ô mon âme, réjouis-toi de ce que le Père éternel t'a vendu son Fils bien-aimé au prix de cinq sicles ; réjouis-toi de ce que Marie, en rachetant l'Agneau de Dieu, t'a acquis un Rédempteur. Ô mon Jésus, vous êtes à moi à titre de vente et d'achat ; mais en retour je me donne tout à vous, et j'ose dire plein de confiance, avec l'Épouse des Cantiques : Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui. Faites, Seigneur, que je ne vous abandonne jamais, et que jamais je ne mérite d'être abandonné de vous. Ainsi soit-il.

 

 

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3e mystère joyeux

La Nativité

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

DE LA NAISSANCE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
DANS L’ÉTABLE DE BETHLÉEM

 

I.- Ce que fit le Verbe incarné, encore dans le sein de sa Mère, immédiatement avant de naître

1.- Comme Il n’a point voulu anticiper l’heure de sa naissance, Il ne veut pas non plus la différer. Il naîtra ponctuellement au bout de neuf mois accomplis, et Il entrera dans le monde animé d’un ardent désir de commencer sa carrière avec ferveur et une allégresse sans pareilles. C’est ce que le Prophète royal exprime en ces termes : Il s’élancera comme un géant dans sa carrière ; il part d’une extrémité du ciel, et il ne s’arrêtera point qu’il ne soit arrivé jusqu’à l’autre. Il sait tout ce qu’Il aura à souffrir dans une course si difficile, depuis la crèche jusqu’à la croix. Il se dispose à entrer généreusement dans la lice ; et le premier pas qu’Il fera en quittant le sein de sa Mère, qui est pour Lui un ciel animé, sera de naître dans le lieu le plus vil et le plus méprisable de la terre. Rendons à notre Sauveur mille actions de grâces, et demandons-Lui la lumière nécessaire pour comprendre les abaissements incompréhensibles de sa naissance temporelle.

Ô Enfant plus fort qu’un géant, qui, comme un soleil nouveau, vous levez à l’Orient pour aller avec une extrême vitesse terminer votre course à l’Occident, c’est-à-dire sur le Calvaire, éclairez mon esprit, échauffez ma volonté, afin que je voie et contemple les merveilles de votre entrée en ce monde et que je m’efforce, avec toute la ferveur dont je suis capable, d’imiter les vertus que Vous faites paraître dans votre sainte Nativité !

2.- Considérons les largesses que l’Enfant-Dieu fit à sa bienheureuse Mère avant de naître. Lorsqu’un homme riche et puissant a été reçu chez un paysan pauvre qui lui a fait le meilleur accueil possible, non par intérêt, mais uniquement pour lui rendre service, il ne quitte point la maison de son hôte sans lui faire quelque présent considérable, soit par gratitude, soit par charité. De même, notre divin Sauveur, ayant demeuré neuf mois entiers dans le sein très pur de la Vierge où Il a trouvé la plus gracieuse hospitalité, veut, avant d’abandonner ce délicieux séjour, enrichir sa bonne Mère des dons du Ciel les plus précieux et les plus rares. Il lui accorde donc une haute intelligence du mystère de sa naissance ; Il éloigne d’elle les souffrances cruelles que ressentent les autres femmes sur le point de devenir mères et Il les remplace par une inexprimable allégresse, ne trouvant pas juste que celle qui a conçu sans plaisir enfante dans la douleur. Pour Lui, Il s’assujettira à toutes les peines de la vie ; mais Il exemptera sa Mère de celle qui est commune en cette circonstance à toutes les filles d’Adam.

Nous pouvons aussi considérer la libéralité dont Notre-Seigneur use envers les fidèles dans la sainte communion. Aussitôt que cet hôte divin entre en nous, Il nous confère la grâce propre du sacrement ; et, si nous Lui faisons un bon accueil, Il ne manque pas, avant de nous quitter, de nous communiquer plusieurs autres dons, par exemple la joie spirituelle, l’esprit de dévotion et de prière, précieuse récompense de l’hospitalité vraiment cordiale qu’Il a trouvée en nous. Songe donc, ô mon âme, à la réception que tu dois faire à ce souverain Seigneur, si tu désires qu’Il t’enrichisse et te comble de ses grâces célestes.

3.- Considérons que Notre-Seigneur Jésus-Christ, sur le point de naître, résolut de sortir du sein de Marie d’une manière miraculeuse, afin qu’elle ne cessât point d’être vierge en lui donnant le jour. Ainsi veut-Il honorer sa Mère et la récompenser des bons offices qu’elle lui a rendus depuis le premier moment de l’Incarnation jusqu’alors. Il nous montre par là que l’on ne court aucun danger à Le loger et à Le servir. Il n’a point fait de miracles pour se garantir de la souffrance ; mais Il sait en faire, quand Il le juge convenable, pour préserver ses serviteurs des moindres maux.

Ô Maître divin, vous nous découvrez admirablement en cette occasion le caractère propre du véritable amour. Il est sévère pour lui-même et doux pour les autres ; Il n’a pour soi que des rigueurs et pour le prochain que de la bonté et de la tendresse. Accordez-moi, Seigneur, l’abondance de votre grâce, afin que j’imite en ces deux points l’ardente charité dont Vous me donnez l’exemple.

 

II.- Ce que fit la Vierge immédiatement avant, et aussitôt après la naissance de son divin Fils

Considérons avec attention les sentiments, les paroles et les actions de la Mère de Dieu en cette circonstance solennelle.

1.- Lorsqu’elle comprit, aux consolations ineffables dont son âme était inondée, que l’heure de l’enfantement était venue, elle se retira dans un angle de l’étable, et là, ravie en une très haute contemplation, elle mit au monde son Fils unique et le prit aussitôt dans ses bras. Oh ! Quelle joie pour elle de le voir pour la première fois ! Elle ne s’arrête pas à considérer la beauté de son corps ; mais, pénétrant plus avant, elle contemple la beauté de son âme et de sa divinité. Ensuite, elle le presse amoureusement contre son cœur et le couvre de ses baisers, car Il est son fils, puis elle suspend ces marques de tendresse à la pensée qu’Il est son Dieu. Ainsi le Seigneur veut-Il que nous en usions à son égard : l’amour et le respect sont comme les deux bras avec lesquels Il désire que nous nous unissions à Lui. Partagés comme Marie entre ces deux sentiments, prenons le Sauveur nouvellement né et mettons-Le amoureusement sur notre cœur, mais de telle sorte que le respect règle les élans de l’amour.

2.- Après ce premier accueil, la Vierge-Mère, s’estimant indigne de tenir plus longtemps entre ses bras le divin Enfant, l’enveloppe dans les langes qu’elle a soigneusement préparés et Le couche dans une crèche ; puis fléchissant les genoux, elle L’adore comme son Seigneur et son Dieu. Elle Lui adresse des paroles pleines d’amour et de douceur, car elle sait qu’Il l’entend. Elle Le remercie de la faveur qu’Il a faite au genre humain en venant du ciel pour le racheter ; elle Lui rend grâces de ce qu’Il a daigné la choisir pour sa Mère sans qu’elle ait pu mériter cet honneur ; elle Lui consacre son corps, son âme, ses forces, et s’offre à tout sacrifier à son service. Elle s’entretient ainsi à loisir avec Lui en termes extrêmement tendres et affectueux, qui se peuvent sentir en quelque manière, mais qu’on ne saurait rapporter.

3.- Saint Joseph, de son côté, imite sa sainte épouse. Il adore l’Enfant, le remercie de ce qu’Il a bien voulu le choisir pour Lui tenir lieu de père et s’offre à vivre et à mourir à son service.

Pour nous, efforçons-nous de partager la reconnaissance et le dévouement de Marie et de Joseph et consacrons au service de Jésus notre corps et notre âme avec toutes nos puissances.

Ô très doux et souverain Seigneur, comment pourrai-je reconnaître la bonté que vous avez de naître dans la dernière pauvreté pour mon salut ! Oh ! Que n’ai-je pu me trouver présent à votre naissance ! Que n’ai-je eu le bonheur de vous rendre quelque bon office ! Agréez du moins que je me présente aujourd’hui devant votre Majesté, et que je vous fasse une donation entière de ce que je suis et de ce que je possède, afin que tout soit entièrement à vous. Acceptez, Seigneur, cette expression de ma bonne volonté, et faites-moi la grâce de vous en prouver la sincérité par les œuvres.

 

III.- L’Enfant-Dieu

Dans le troisième point, qui est le plus important, méditons les perfections ineffables de ce petit enfant gisant dans une crèche ; considérons la dignité infinie de sa personne ; écoutons ses paroles intérieures ; voyons ce qu’Il fait, ce qu’Il souffre, pour qui et comment Il souffre ; enfin, réfléchissons sur les vertus héroïques qu’Il pratique dans son humble berceau. À l’exemple de l’auguste Marie, arrêtons-nous à chacun de ces points particuliers.

1.- Considérons quel est cet enfant. Il est Dieu et homme. Qu’est-Il en tant que Dieu ? À quoi est-Il réduit en tant qu’homme ? Cette comparaison ne pourra manquer d’exciter en nous de vifs sentiments d’admiration et d’amour. En effet, celui qui nous apparaît sous les traits de l’enfance, c’est le Roi de gloire qui a le ciel pour demeure, qui est assis sur les chérubins, dont les anges distribués en neuf chœurs sont les ministres. Il est au milieu d’eux comme un souverain ; tous L’adorent, tous se montrent à l’envi ses obéissants et fidèles sujets. Et cependant Le voici, ce monarque suprême, couché dans une crèche, étendu sur un peu de paille entre deux animaux. Le Verbe du Père éternel, cette parole toute-puissante par laquelle Il a créé l’univers et le conserve, est devenu un enfant emmaillotté, lié, sans parole et sans mouvement. Celui qui est revêtu de la lumière comme d’un manteau, et qui est la splendeur de la gloire de son Père, celui qui donne à toutes les créatures leur beauté, qui les soutient et leur fournit avec libéralité tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, celui-là n’a pour vêtement que de pauvres langes, et a besoin que sa Mère le nourrisse de son lait.

Ô divin Enfant, également adorable et aimable dans vos grandeurs et dans vos abaissements, plus Vous Vous abaissez, plus Vous me paraissez grand ; plus je Vous vois humilié pour moi, plus Vous m’êtes cher : car vos humiliations sont la preuve la plus manifeste et la plus touchante de votre amour. Oh ! Que ne Vous aimé-je comme Vous méritez d’être aimé ! Que n’ai-je de moi-même les plus bas sentiments, comme la justice le demande ! Ignoré-je d’ailleurs que m’anéantir à mes yeux, c’est m’agrandir aux vôtres ? Rougis, ô mon âme, de voir la personne même du Fils de Dieu dans un état si abject, tandis que tu recherches la gloire du monde, toi qui n’es digne que de confusion ! Apprends aujourd’hui de cet Enfant à t’humilier ; car, quiconque se rendra petit comme Lui sur la terre, sera grand avec Lui dans le royaume des cieux.

2.- Écoutons les paroles que dit l’Enfant-Dieu, non de la langue, niais du cœur, non de vive voix, mais par ses exemples. Tantôt Il s’adresse à son Père. Il le remercie de l’avoir fait naître dans une étable ; Il Lui offre avec un amour filial tout ce qu’Il doit souffrir sur la terre ; Il Lui répète ces paroles que l’Apôtre nous fait méditer : Me voici, ô mon Dieu ; je viens, selon qu’il est écrit de moi, pour faire votre volonté. Tantôt Il se tourne vers les hommes. Maître muet, Il leur prêche par ses exemples ce qu’Il leur enseignera un jour par ses paroles : Apprenez de Moi que Je suis doux et humble de cœur. Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. Voilà ce que le Sauveur dit dans l’étable ; voilà ce que nous devons écouter avec une pieuse attention, le priant d’ouvrir l’oreille de notre cœur pour bien comprendre sa doctrine et la mettre en pratique.

Ô divin Enfant, qui de votre crèche, m’exhortez à devenir petit comme vous, qui avez toujours aimé les enfants jusqu’à les embrasser avec amour, rendez-moi semblable à vous : enfant par l’innocence, petit par l’humilité, muet par la retenue dans mes paroles, tendre par ma charité. C’est en ces quatre points que consiste l’abaissement volontaire qui rend l’homme grand devant Dieu.

3.- Voyons les actions de l’Enfant-Dieu. Ici, une chose nous paraîtra bien digne d’être remarquée. Il est certain que ce petit enfant est doué d’un jugement aussi parfait que si déjà Il avait atteint l’âge de trente ans. Et cependant, Il imite tous les mouvements, tous les gestes, toutes les manières d’un enfant qui vient de naître ; et cela sans feinte et sans affectation, spontanément et naturellement, joignant, avec un merveilleux accord deux choses qui paraissent incompatibles : l’enfance et la raison parfaite. Voyons en particulier comme Il pleure et recherchons la cause de ses larmes. Ce qui le fait pleurer, ce n’est pas la douleur qu’Il souffre ainsi qu’il arrive aux autres enfants ; ce sont les péchés que nous avons commis ; ce sont les châtiments que nous avons mérités en nous rendant coupables. Aussi ses larmes sont-elles accompagnées de ferventes prières qu’Il adresse en notre faveur à son Père éternel, suivant cette parole de saint Paul : Dans les jours de sa chair, Il offrit, avec un grand cri et avec effusion de larmes, ses prières et ses supplications à Celui qui pouvait L'exaucer. Il est à croire que la Vierge, voyant son Fils pleurer, pleura avec lui, méditant en elle-même les raisons de sa tristesse.

Ô très doux Jésus, comment oubliez-vous ainsi vos propres maux pour pleurer les nôtres ! Ô mon âme, peux-tu voir, sans être attendrie, cet Enfant, verser pour toi des ruisseaux de larmes ? Pleure du moins de compassion en le voyant pleurer ; pleure parce que tu es le sujet de son affliction ; pleure parce que ce sont tes péchés qui attristent son divin cœur. Enfin, si tes yeux demeurent secs malgré tant de motifs de se mouiller de larmes, pleure ton insensibilité qui t’empêche de pleurer. Ô Vierge sainte, obtenez-moi le don des larmes afin que je pleure avec vous et que je m’unisse à vous pour consoler votre Fils ; car je sais qu’Il se plaît à nous voir pleurer, Lui qui appelle bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés.

4.- Considérons, en dernier lieu, ce que souffre l’Enfant-Dieu. Il souffre la pauvreté, le mépris, le froid et beaucoup d’autres incommodités. Or toutes ces souffrances, Il ne les endure pas par nécessité ou par contrainte, mais volontairement et de plein gré. Car étant Dieu et ayant le discernement d’un homme fait, Il ne souffre rien qu’on ne doive attribuer à son libre choix. S’Il est né au plus fort de l’hiver, à l’heure la plus froide de la nuit, dans le lieu le plus misérable et le plus abandonné de toute la ville, pauvre inconnu, délaissé de tous, c’est parce qu’Il l’a voulu. On serait tenté, peut-être, de croire que cette pauvreté extrême est un effet, non de sa volonté, mais de la nécessité, ce qui la rend aux yeux des hommes plus humiliante et plus digne de mépris ; mais ce n’est là qu’un saint artifice de son humilité. En réalité, Il exécute dans la crèche ce qu’Il a dit par la bouche du prophète royal ; Il prend dès lors, pour compagnes inséparables de toute sa vie la pauvreté, l’ignominie et la douleur. Toute sa carrière ne sera qu’une longue suite de privations et de souffrances. Il embrassera une manière de vivre diamétralement opposée à l’esprit du monde, pour condamner par son exemple l’erreur des enfants du siècle, qui s’abusent étrangement, dit saint Bernard, en recherchant avec avidité les richesses, les honneurs et les plaisirs, quand Jésus-Christ, la Sagesse incarnée, qui ne peut ni se tromper ni nous tromper, a fait pour Lui un choix tout contraire.

Comment après cela pourrons-nous paraître sans confusion en présence de cet Enfant ? Confessons devant Lui que jusqu’ici notre conduite a été en contradiction avec la sienne ; formons la résolution de marcher désormais sur ses traces ; supplions-Le de nous rendre digne de souffrir avec Lui, non par force, mais volontairement et avec amour.

Ô divin Enfant, fils de David, qui entre trois Princes faites éclater votre sagesse - car vous êtes la seconde des trois Personnes divines de l’adorable Trinité et c’est à vous que l’on attribue la sagesse - que faites-vous, faible et muet dans cette crèche ? Vous êtes en réalité ce guerrier, dont le nom signifie petit ver né dans le bois, qui tua huit cents ennemis dans une bataille ; couché sur le bois de votre pauvre berceau, où la soif de l’humiliation vous a réduit, Vous émoussez par la force de votre divin amour tous les traits de l’amour humain. Ô prince très sage et très puissant, dont le silence est une leçon et dont la faiblesse remporte des victoires, enseignez-moi, Seigneur, à supporter en silence le mépris ; détruisez dans mon cœur toutes les affections terrestres, afin que, devenant comme vous semblable à un ver de terre, je mérite de monter à votre suite dans le ciel, et de Vous y contempler éternellement sur le trône de votre gloire. Ainsi soit-il.

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2e mystère joyeux

La Visitation

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

  

COMMENT LE VERBE INCARNÉ, ENCORE DANS LE SEIN DE SA MÈRE,
ALLA SANCTIFIER JEAN-BAPTISTE, SON PRÉCURSEUR

 

I. — Désir du Messie de sanctifier son Précurseur

Considérons, en premier lieu, comment Notre-Seigneur, peu de temps après son Incarnation, possédé d'un ardent désir de sauver les hommes, jeta les yeux sur Jean-Baptiste, qui était encore dans les entrailles d'Élisabeth, et qu'il destinait à être son Précurseur. Le voyant souillé du péché originel, il en fut touché de compassion. Il résolut de purifier son âme de cette tache et de la sanctifier au plus tôt, voulant ainsi prendre possession de l'office de Rédempteur, dont son Père l'avait chargé. Il inspira donc efficacement à sa bienheureuse Mère la pensée d'aller en toute diligence visiter sa cousine Élisabeth, dans l'intention d'exécuter, à cette occasion, le pieux dessein qu'il avait formé.

Trois choses dignes de remarque se présentent à ce sujet. La première est le vif désir qu'éprouve le Verbe incarné d'opérer notre salut. Témoignons-en Lui notre reconnaissance, et confondons-nous nous-même de montrer si peu de zèle pour le nôtre. La seconde est le soin qu'il prend du bien de ses élus, et son empressement à exercer la fonction de Rédempteur, puisqu'il la commence dès le sein de sa Mère, tant il craint de rester un moment dans l'oisiveté. La troisième est la gravité du péché et la grandeur de la peine que ressent le Fils de Dieu lorsqu'il le voit, même un seul instant, dans ses élus. Pourquoi, en effet, presse-t-il si vivement sa Mère de partir pour les montagnes de la Judée ? C'est afin de délivrer plus promptement Jean-Baptiste son élu du plus grand des maux.

Ô Verbe divin, qui avez daigné vous faire homme afin de nous retirer de l'esclavage du péché et qui avez voulu exercer si tôt cet emploi, que le prophète Isaïe vous nomme pour cette raison : Celui qui se hâte d'arracher les dépouilles et d'enlever le butin, vous ne portez aucun nom qui ne soit significatif, et dont vous ne remplissiez toute la signification. Venez donc au plus tôt me purifier de mes péchés, hâtez-vous de me sanctifier par votre grâce ; emparez-vous de mon cœur et consacrez-le à votre service comme un trophée de votre victoire, afin que je commence sans délai à vous servir avec toute la ferveur dont je suis capable.

II. — Pourquoi le Sauveur voulut aller en personne sanctifier son Précurseur

Considérons, en second lieu, pourquoi Notre-Seigneur, qui pouvait sanctifier Jean-Baptiste sans quitter Nazareth, inspira néanmoins à sa sainte Mère la pensée de le transporter dans la maison d'Élisabeth, pour y opérer cette sanctification miraculeuse. Les raisons de cette conduite sont aussi dignes de sa divine sagesse qu'utiles à notre instruction.

1. Il voulut nous donner de nouvelles preuves de son humilité et de sa charité. Car, comme ces deux vertus l'avaient fait descendre du Ciel sur la terre pour visiter les hommes et les retirer des ténèbres et de l'ombre de la mort dans lesquelles ils étaient ensevelis, ainsi ces deux mêmes vertus l'obligent aujourd'hui à sortir de Nazareth pour visiter Jean-Baptiste et le purifier du péché originel. Le supérieur se rend auprès de son inférieur, pour l'honorer ; le médecin, auprès de son malade, pour le guérir.

2. C'était l'intention du Fils de Marie que sa très sainte Mère eût part à cette œuvre de charité. Il la choisit pour être l'instrument de la première œuvre de sanctification qu'il opère dans le monde, justifiant par son intermédiaire Jean-Baptiste, qui était pécheur, et remplissant du Saint-Esprit Élisabeth qui était juste. D'un côté, il veut que les pécheurs comprennent que la Vierge doit être leur médiatrice auprès de Dieu, s'ils désirent obtenir le pardon de leurs péchés ; de l'autre, il apprend aux justes que c'est par son moyen qu'ils obtiendront la plénitude du Saint-Esprit, la perfection des vertus et l'abondance des grâces et des dons qui viennent d'en haut, afin que les uns et les autres s'efforcent de l'aimer et de la servir avec une tendre dévotion.

Ô Vierge toute-puissante, qui commencez aujourd'hui, avec votre divin Fils, à remplir l'emploi qu'il vous a confié à notre grand avantage ; continuez maintenant à l'exercer en ma faveur, en m'obtenant le pardon de mes péchés, et l'abondance des grâces du ciel.

3. C'est le propre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu'il entre dans une âme, de l'exciter à la pratique de la vertu et de lui inspirer des désirs fervents de la plus haute perfection. Tantôt Il la porte à l'exercice de l'oraison, de la contemplation et des autres œuvres de la vie intérieure, tantôt Il la persuade de quitter la solitude et de s'adonner aux fonctions de la vie active qui regardent le service du prochain. C'est ainsi qu'aussitôt après sa conception dans le sein de Marie, il lui fit prendre la résolution de partir pour les montagnes de la Judée, où elle rencontrerait l'occasion d'accomplir des œuvres insignes de charité, de miséricorde et d'obéissance. Il lui disait sans doute au fond du cœur ces paroles des Cantiques :

Levez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, ma toute belle, et venez. Ô colombe chaste et féconde, qui vous cachez dans le creux des rochers et dans les trous des masures, qui contemplez comme à découvert les plus profonds mystères de ma divinité et de mon humanité, et qui vivez toujours sous ma protection, levez-vous, hâtez-vous ; laissez le lieu secret de votre repos et allez au pays des montagnes pour y faire connaître mon Nom et me glorifier par des œuvres de charité en faveur des âmes que j'ai créées.

Concluons de là que c'est aussi le propre de notre divin Sauveur, lorsqu'Il vient dans une âme juste par la sainte communion, de lui inspirer une ardeur semblable pour la pratique de la vertu et un égal désir d'arriver au comble de la perfection, soit par les œuvres de la vie contemplative, soit par celles de la vie active, portant chacun en particulier aux exercices qui lui conviennent le plus. Et si nous ne recevons pas ces saintes inspirations lorsque nous communions, c'est à cause de notre tiédeur et de nos dispositions imparfaites qui nous rendent indigne de cette faveur. Nous devons donc nous en humilier sincèrement et supplier Notre-Seigneur d'user envers nous de sa miséricorde, en nous inspirant efficacement ce qui est conforme à sa très sainte volonté.

III. — Fidélité de Marie à l'inspiration divine

Considérons, en troisième lieu, l'obéissance parfaite de la Vierge à l'inspiration de son divin Fils. L'évangéliste la loue en ces termes : « Aussitôt après, Marie, se levant, partit en toute hâte et prit le chemin des montagnes de la Judée. »

1. Elle n'attendit pas un commandement formel : ce fut assez pour elle de savoir que Dieu désirait qu'elle allât visiter Élisabeth. L'homme parfaitement obéissant exécute tout ce qu'il sait être plus conforme au bon plaisir de Dieu et de son supérieur.

2. L'obéissance de Marie fut prompte et ponctuelle. Elle ne différa point de plusieurs jours sa visite : elle la rendit aussitôt qu'il lui fut possible et elle y mit une diligence extrême, parce que l'Esprit-Saint la pressait intérieurement et que la grâce divine est ennemie des lenteurs et des délais.

3. Elle obéit avec une intention très pure, n'ayant en vue que la gloire de Dieu et l'accomplissement de sa volonté, sans aucun mélange de ces motifs humains qui entrent le plus souvent pour beaucoup dans les visites du monde. Elle alla, dit saint Ambroise, dans la maison d'Élisabeth, non pour satisfaire sa curiosité, non pour s'assurer de la vérité des paroles de l'Ange relativement à la grossesse de sa parente, car elle n'en doutait nullement, mais pour glorifier le Seigneur en voyant de ses yeux cette œuvre miraculeuse.

4. Son obéissance fut accompagnée de beaucoup de charité, de patience et d'humilité. Sans tenir compte de sa nouvelle dignité de Mère de Dieu, elle s'empresse de visiter celle qui lui est inférieure, pour la servir et la féliciter de la grâce que le Seigneur lui a faite. Le chemin est long et difficile ; elle est encore jeune et peu accoutumée à la fatigue ; mais elle ne craint point de sortir de sa retraite et de paraître en public, car Dieu le veut ainsi.

5. Il nous reste à voir de quelle manière la Reine du ciel fit ce pénible voyage. Elle marchait avec une rare modestie, sans regarder avec curiosité les personnes qu'elle rencontrait dans le chemin. Si quelqu'un jetait les yeux sur elle, il sentait naître en lui le désir de la sainteté et de la pureté. Son cœur était attaché au fruit divin qu'elle portait dans son sein ; elle s'entretenait amoureusement avec Lui durant tout le voyage ; et la consolation qu'elle en recevait lui ôtait le sentiment de ses peines, de sa pauvreté et de la privation des choses les plus nécessaires.

Ô glorieuse Vierge, que vous êtes remplie de Dieu, et quel plaisir vous prenez à faire sa volonté ! Oh ! que l'on peut justement vous comparer au char magnifique du roi Salomon ! N'êtes-vous pas, en effet, ce char d'un travail exquis, que le vrai Salomon s'est lui-même préparé pour être transporté d'un lieu à un autre ? Les colonnes d'argent sont vos vertus ; le dossier d'or est votre contemplation ; le siège de pourpre, votre humilité et votre patience ; le milieu, qui est votre cœur, a pour ornement la charité ; car Dieu en personne est au-dedans de vous ; et Dieu, selon l'Écriture, est charité. Et comme tous ces avantages vous sont accordés en faveur des filles de Jérusalem, c'est-à-dire des âmes faibles et imparfaites, je vous supplie, ô Mère de miséricorde, de me les obtenir de votre Fils, afin qu'imitant vos vertus, mon âme soit comme un char sur lequel il repose, et d'où il se fasse connaître à tout le monde. Ainsi soit-il.

  

DE CE QUI SE PASSA DANS LA VISITE
DE LA BIENHEUREUSE VIERGE À SAINTE ÉLISABETH


I. — Effets de cette visite dans la personne de Jean-Baptiste

Considérons, en premier lieu, l'entrée de Notre-Dame dans la maison d'Élisabeth et les heureux effets dont elle fut la cause. Comme elle était la plus humble, elle prévint sa cousine et la salua la première, et, au même instant, le Verbe incarné se servit, comme d'instrument, des paroles de sa Mère pour opérer des œuvres merveilleuses dans la personne de Jean. Il le purifia du péché originel ; Il le sanctifia par sa grâce ; Il le remplit du Saint-Esprit ; Il lui avança l'usage de la raison ; Il le fit son prophète ; Il lui manifesta clairement le mystère de l'Incarnation ; Il lui communiqua enfin une si grande joie, qu'il en tressaillit dans le sein de sa mère, témoignant, comme il le pouvait, le bonheur qu'il ressentait de la venue et de la visite de son Maître. Tous ces effets se produisirent en un moment : ils nous fournissent deux réflexions qui seront pour nous d'une grande consolation.

1. Remarquons la toute-puissance et la libéralité du Sauveur qui accomplit, en un seul instant, des œuvres si pleines de grandeur, et cela par pure grâce, sans aucun mérite de la part de celui qui en est l'objet. Ainsi vérifie-t-il cette parole du Sage : « Le Roi assis sur son trône, dissipe tout mal par son seul regard. » Le Roi des rois, assis comme sur un trône dans le sein virginal de sa Mère, jette un regard de compassion sur son Précurseur, et ce regard suffit pour le purifier de la tache originelle dont il était souillé. Cet exemple doit m'inspirer une grande confiance qu'Il usera envers moi de la même miséricorde. N'est-il pas écrit au livre de l'Ecclésiastique : « Ayez confiance, mon fils ; car il est facile à Dieu d'enrichir le pauvre en un moment » ?

Ô Roi tout-puissant, montrez à mon égard votre puissance sans bornes ; délivrez-moi de mes maux et comblez-moi de vos biens ; on reconnaîtra la grandeur de vos miséricordes, quand on les verra se répandre sur celui qui s'en est rendu si indigne. Accordez-moi, comme à votre Précurseur, le pardon de mes péchés ; faites-moi comprendre le mystère de votre Incarnation, et remplissez mon âme de joie spirituelle dans votre service. Ainsi soit-il.

2. Remarquons ensuite l'efficacité de la parole de la Vierge en sa qualité de Mère de Dieu, et tout ce qu'elle peut obtenir en un moment de son divin Fils. Par son entremise, en effet, tous les biens descendirent à la fois dans l'âme de Jean, qui fut les prémices de la Rédemption. En considération de sa Mère, le Sauveur voulut hâter la maturité de ce premier fruit afin de nous faire espérer que, par l'intercession de Marie, nous serons prévenus et assistés de la divine miséricorde. Nous devons donc supplier instamment cette Reine charitable d'employer son crédit en notre faveur, et de nous obtenir quelques-unes des grâces précieuses que sa visite procura à l'heureux Précurseur de Jésus-Christ.

II. — Effets de la visite de la Mère de Dieu dans la personne d'Élisabeth

Considérons, en second lieu, comment sainte Élisabeth, entendant la voix de la Vierge, fut aussitôt remplie de l'Esprit-Saint et reçut une connaissance très parfaite du mystère de l'Incarnation, accompagnée du don de prophétie. Ces faveurs singulières produisirent en elle quatre effets, dans lesquels on peut reconnaître les principales propriétés des visites de Notre-Seigneur et de la présence de l'Esprit sanctificateur dans les âmes qu'il enrichit de ses dons.

1. Élisabeth, transportée par un mouvement soudain du Saint-Esprit, publie à haute voix les louanges du Seigneur et celles de la Mère du Seigneur, s'écriant du fond de son âme : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. » Comme si elle disait : « L'Ange vous a dit que vous êtes bénie entre les femmes, et cela est vrai ; mais j'ajoute : Et le fruit que vous portez dans votre sein est béni. Et c'est parce qu'il est béni, que vous êtes bénie vous-même ; car c'est de lui que procèdent, comme de leur source, toutes les bénédictions célestes. » — On voit par là qu'une des propriétés du Saint-Esprit est de nous exciter à louer avec une grande ferveur d'esprit Jésus-Christ et sa très sainte Mère ; et, par conséquent, combien de semblables louanges lui sont agréables.

2. Élisabeth, éclairée par une lumière surnaturelle qui lui fait comprendre sa propre bassesse et la grandeur de celle qui l'honore de sa visite, s'humilie profondément, et dit : « D'où me vient que la Mère de mon Seigneur daigne me visiter ? »

3. Puis, animée d'un vif sentiment de reconnaissance, elle exalte les merveilles de la toute-puissance divine et elle les raconte à la Mère du Sauveur, sachant bien qu'elle ne manquera pas d'en louer et d'en glorifier le Seigneur : « Votre voix, lui dit-elle, n'a pas plus tôt frappé mes oreilles que l'enfant a tressailli de joie dans mon sein. »

Ce sont donc encore deux propriétés de l'Esprit-Saint : de nous inspirer des sentiments d'humilité, et de nous porter à la reconnaissance, lorsqu'il nous comble de ses faveurs. Il agit ainsi afin que, nous jugeant indignes de les recevoir, nous en rendions grâces à Celui qui en est l'auteur, et que par-là ses dons soient en assurance et utiles au bien de nos âmes. Ainsi, toutes les fois que Dieu notre Seigneur nous visite intérieurement ou que nous nous approchons de lui dans le sacrement de son amour, nous devons, à l'exemple de la sainte mère du Précurseur, nous appliquer à considérer d'un côté notre propre bassesse et de l'autre la grandeur de Celui que nous recevons, et après avoir bien compris que la bonté de ce même Seigneur est la cause unique d'un si grand bienfait, lui dire avec étonnement :

D'où me vient que mon Seigneur daigne me visiter, moi, le dernier de ses serviteurs ; moi, ingrat et misérable pécheur ? Quoi ! Celui qui est mon Seigneur, le Dieu d'une grandeur et d'une majesté infinies, vient à moi ! Il entre dans moi et il ne dédaigne pas de loger dans une si pauvre demeure ! Qui l'oblige à m'accorder cette faveur ? M'en suis-je rendu digne par mes services, par mes mérites ? En suis-je redevable à quelque don naturel ou à mes propres efforts ? Ô immense charité de mon Dieu, soyez bénie de vouloir bien visiter la plus abjecte de vos créatures, par un effet de votre miséricorde !

4. Sainte Élisabeth confirme la Vierge dans les sentiments de foi dont elle la voit animée, en lui disant : « Vous êtes heureuse, vous qui avez cru ; parce que les choses qui vous ont été annoncées de la part du Seigneur s'accompliront en vous. » Elle montre par ces paroles qu'elle a reçu un don très relevé de prophétie et une connaissance très claire de tout ce qui concerne l'auguste Marie. Elle connaît le passé, c'est-à-dire l'apparition et le discours de l'Ange, le présent, c'est-à-dire la maternité divine, le futur, c’est-à-dire l'accomplissement certain des promesses de l'envoyé céleste. Par où nous voyons qu'une quatrième propriété de l'Esprit-Saint est de porter les justes qu'il remplit de ses dons, à les rendre utiles au bien de leurs frères, en les confirmant dans la foi et dans l'amour qu'ils doivent à Dieu. Tâchons d'imiter sainte Élisabeth dans ces quatre admirables sentiments, et supplions-la de nous les obtenir de Notre-Seigneur.

5. Rappelons-nous enfin que c'est en ce jour que fut hautement publié le plus glorieux titre de Marie, celui de Mère de Dieu. Elle l'entendit avec une grande humilité et une grande joie. Saluons-la donc de ce beau nom ; félicitons-la d'en être honorée, et louons Celui de qui elle tient cet honneur.

 

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1er mystère joyeux

L’Annonciation

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

COMMENT L'ARCHANGE GABRIEL VINT ANNONCER À LA BIENHEUREUSE VIERGE
LE MYSTÈRE DE L'INCARNATION : DE QUELLE MANIÈRE IL LA SALUA ET LA DÉLIVRA
DE LA CRAINTE QUE CETTE NOUVELLE LUI AVAIT CAUSÉE.

 

I. — L'archange Gabriel est envoyé à Marie

Considérons, en premier lieu, ce qui se passa dans le ciel, quand arriva le temps que Dieu notre Seigneur avait marqué pour se faire homme. Représentons-nous la Très Sainte Trinité assise sur un trône éclatant de gloire. Elle se propose de faire connaître à l'humble Vierge qui doit être la Mère du Verbe incarné, tout ce qui concerne ce mystère, et elle se détermine à lui envoyer une solennelle ambassade pour l'engager à accepter cet honneur. L'évangéliste saint Luc raconte le commencement de cette histoire en ces termes : « Dieu envoya l'Ange Gabriel dans une ville de Galilée, nommée Nazareth, à une Vierge qui avait pour époux un homme de la maison de David, appelé Joseph, et le nom de la Vierge était Marie » (Luc, 1, 26-27). Au sujet de cette ambassade, examinons quel est celui qui l'envoie, celui qui en est chargé, celle à qui elle s'adresse et quel en est l'objet, en nous efforçant de retirer de ces considérations quelque utilité pour notre âme.

1. Celui qui l'envoie est le Dieu tout-puissant, qui sans avoir besoin de ses créatures, mais uniquement parce qu'il est bon, et pour faire du bien aux hommes, se plaît à communiquer avec eux, leur envoyant des messages et des ambassades, et employant à cette fin, comme serviteurs, des créatures aussi nobles que sont les anges. Ils sont en effet, comme dit saint Paul, « les envoyés du Très-Haut, et viennent de sa part exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut » (Hebr. 1, 14). Or, leur service consiste à descendre et à monter continuellement l'échelle mystérieuse que vit Jacob, afin d'apporter aux hommes les ordres de Dieu, et de reporter vers Dieu les prières et les vœux des hommes.

Ô Dieu d'une majesté infinie, qu'est-ce que l'homme pour que vous daigniez vous souvenir de lui ; et le fils de l'homme, pour que vous envoyiez ainsi les esprits célestes le visiter ? Que vos anges eux-mêmes vous louent de l'amour si tendre que vous avez pour nous !

2. Celui qui est chargé de cette ambassade est un des premiers archanges. Il s'appelle Gabriel, nom qui signifie force de Dieu, pour marquer la vertu toute-puissante, et du Seigneur qui l'envoie, et de celui qui doit se faire homme, et des œuvres que fera un jour le Verbe incarné, et des ministres qu'il emploiera pour les publier dans tout l'univers. C'est de ces hérauts de l'Évangile que le céleste ambassadeur est la figure. Plein de la vertu du Très-Haut, il est assez fort et assez puissant pour exécuter tout ce qu'il pourra lui commandera, non seulement dans une occasion aussi glorieuse que celle-ci, mais dans toute autre circonstance, quoique moins éclatante. Car toute sa gloire est de faire ce que Dieu veut ; aidé du secours de la grâce, nous devons nous revêtir de force pour accomplir en toutes choses la divine volonté.

3. Celle à qui s'adresse cette ambassade est une fille pauvre, oubliée du monde, mariée à un artisan pauvre comme elle ; et elle demeure dans une petite ville si peu estimée des Juifs, qu'à peine s'imaginent-ils qu'il puisse sortir quelque chose de bon de Nazareth a. Mais, par contre, elle est très sainte et très pure ; ce qui la rend si estimable devant Dieu, qu'il la préfère aux filles des rois et des empereurs de la terre. Car, aux yeux de ce souverain Juge, il n'y a point d'autre grandeur que la sainteté. C'est ainsi que nous devons juger nous-même, estimant uniquement ce que Dieu estime.

4. L'objet de l'ambassade est d'obtenir de cette humble Vierge qu'elle consente à accepter la maternité divine. Car la conduite du Créateur à l'égard de ses créatures est si noble, qu'il ne veut les engager dans aucune affaire difficile et importante, si elles n'y consentent librement. D'ailleurs, quoique cette maternité fût infiniment honorable, elle devait attirer après elle bien des peines. Il était donc convenable que la Vierge acceptât de son plein gré non seulement l'honneur, mais encore le fardeau, pour le porter avec plus de mérite, et le trouver plus doux et plus tolérable. — Et telle est la conduite de Dieu envers les hommes. Il ne veut ni entrer dans leur cœur par sa grâce, ni les élever à la dignité d'enfants de Dieu, sans un consentement libre de leur part, lorsqu'ils ont l'usage de la raison.

5. Enfin, considérons cette ambassade sous le point de vue spirituel, et appliquons-la à nous-même. Nous reconnaîtrons que Dieu nous envoie chaque jour des ambassades spirituelles lorsqu'il nous prévient de ses inspirations. Que sont-elles autre chose, dit saint Bonaventure, que des messagers ou ambassadeurs du Très-Haut ? Par elles, Il nous parle et nous manifeste ses volontés ; par elles, Il nous presse de lui accorder l'entrée de notre âme, et il nous exhorte à nous occuper continuellement des choses qui regardent son service. Nous devons donc, lorsque nous ressentons en nous ces saints mouvements, les recevoir avec respect comme des ambassadeurs de Dieu ; lui rendre grâces de ce qu'il daigne nous parler de la sorte ; consentir à tout ce qu'il demande de nous, et le supplier de nous faire entendre souvent sa voix.

Ô Père plein de tendresse, qui me demandez mon consentement avec autant d'amour et d'empressement que si mon intérêt était le vôtre : inspirez-moi tout ce que vous désirez que je fasse, car je suis prêt à faire tout ce que vous m'inspirerez.

II. — L'archange Gabriel salue Marie

Considérerons en second lieu, comment l'ange apparut à Marie, et de quelle manière il la salua. Il prit un corps formé d'air, semblable à celui d'un homme d'une grande beauté, et entra ainsi dans l'endroit où était la Vierge. Son extérieur modeste, respectueux et grave annonçait une vertu parfaite, et décelait la sainteté de celui qui était caché sous ces traits empruntés. Cet exemple nous enseigne ce que doivent être, dans leur extérieur, les hommes apostoliques, qui, selon la parole de saint Paul, sont les ambassadeurs de Jésus-Christ ; et aussi les religieux qui font profession de mener une vie angélique. Tout en eux doit respirer la sainteté et l'inspirer à ceux qui les voient.

Dès que l'ange fut entré, il salua la Vierge, usant, non de paroles mondaines, mais de paroles toutes divines que Dieu lui avait dictées. « Je vous salue, lui dit-il, vous qui êtes pleine de grâces ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. » Cette salutation était nouvelle, ainsi que le font remarquer les Pères, et n'avait jamais été employée sur la terre. Elle avait été composée par la très sainte Trinité pour honorer Marie, pour déclarer sa sainteté et relever sa dignité aussi nouvelle que le grand mystère auquel elle se rapportait. Car, comme Jésus-Christ devait être le nouvel Adam, opposé au premier ; de même, la Vierge sa Mère devait être la nouvelle Ève, opposée à la première. C'est dans cet esprit et avec ces sentiments d'estime, qu'il convient de réciter et de méditer la Salutation angélique. Arrêterons-nous à chaque mot, pour approfondir tout ce qu'elle renferme de grandeur ; excitons en nous des affections de joie et de reconnaissance, puisqu'il est juste que nous nous réjouissions de l'élévation incompréhensible de Marie, et que nous remercions le Seigneur à qui seul elle en est redevable. Demandons enfin de participer à quelques-unes de ces grâces, et prenons la résolution d'imiter en tout ce que nous méditons ce qui est imitable.

1. JE VOUS SALUE

1. L'ange, pour manifester sa joie et ôter à la Vierge toute crainte, s'empresse de lui faire connaître qu'il est porteur d'une bonne nouvelle, et lui dit en entrant : Je vous salue. Ce qui signifie : Que Dieu vous sauve ; que la paix soit avec vous ; réjouissez-vous, et ne craignez point ; car la nouvelle que je vous apporte est une nouvelle de joie et de bonheur.

Ô Reine des vierges, de toute l'affection de mon cœur je vous salue et vous dis : Que Dieu soit votre salut, puisque c'est par vous qu'a commencé le nôtre, lorsque vous avez conçu dans votre sein notre divin Sauveur. C'est vous qui avez changé le nom d'Ève, en détournant les maux qu'elle avait attirés sur tous ses enfants, et en attirant sur nous les bénédictions célestes. Ève a été le principe du péché ; vous, vous êtes le principe de la grâce. Par Ève, la mort est entrée dans le monde ; par vous est entrée la vie. Ève nous a faits les esclaves de l'ancien serpent ; vous, vous lui avez écrasé la Miel. Réjouissez-vous, ô Vierge bénie, de l'heureux choix que Dieu a fait de vous. Donnez-moi un cœur nouveau, afin que je vous chante tous les jours un nouveau cantique de louange avec une ferveur toujours nouvelle.

2. Recherchons les causes pour lesquelles l'ange, en saluant Marie, ne la nomma point par son propre nom, et ne lui dit pas : Je vous salue, Marie, mais : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. Il agit de la sorte pour nous faire comprendre que Dieu voulait donner à la Mère de son Fils de nouveaux noms très glorieux, comme il en avait donné au Messie dans l'Écriture ; noms, dont il veut qu'elle soit honorée par les fidèles dans toute l'Église. De même donc que nous appelons Salomon, le Sage, et saint Paul, l'Apôtre : ainsi veut-il que nous appelions la Vierge, Pleine de grâce, Bénie entre les femmes. Et comme le nom du Messie est Emmanuel, c'est-à-dire, Dieu avec nous, de même, le nom le plus glorieux à Marie sera celui-ci : Le Seigneur est avec vous.

Ô bienheureuse Vierge, que d'autres vous nomment le Rejeton de la tige de Jessé, la Porte du ciel, le Trône de la Sagesse ; qu'ils inventent encore des noms nouveaux : pour moi, je veux vous appeler avec l'ange : Pleine de grâce, Demeure du Seigneur, Bénie entre les femmes ; je veux, pour votre gloire, publier les grandeurs renfermées dans ces augustes noms.

2. PLEINE DE GRÂCE

1. Examinons en quoi consiste cette plénitude, et comment la Vierge est pleine de grâce dans toutes les acceptions de ce mot. Elle est pleine de la grâce sanctifiante ; pleine de charité, de foi et d'espérance ; pleine d'humilité, d'obéissance, de patience et de toutes les vertus. Elle est pleine aussi de sagesse, de science, de piété, de crainte du Seigneur, et des autres dons du Saint-Esprit. Sa mémoire est pleine de saintes pensées ; son entendement, plein de lumières célestes ; sa volonté, pleine d'actes et d'affections ferventes d'amour et de zèle, de désirs enflammés de la gloire de Dieu, de la venue du Messie et de la rédemption du monde. Voilà l'état actuel de plénitude où l'ange la trouve, lorsqu'il entre pour la saluer. Elle est absorbée dans la contemplation des mystères de notre salut, qui l'occupent presque continuellement. De plus, elle est pleine de grâce dans toutes ses œuvres ; parce qu'elle n'en fait aucune qui ne soit pleine, entière, solide, et qui n'ait toute la plénitude possible de pureté d'intention, de ferveur et d'amour. De sorte qu'elle est infiniment éloignée de mériter le reproche que Dieu fait à cet évêque dans l'Apocalypse : « Je ne trouve point vos œuvres pleines devant moi. » (Apoc. 3,2)

2. Essayons ensuite de mesurer les dimensions de cette plénitude. Entre plusieurs vases remplis d'une liqueur précieuse, celui qui a une capacité plus grande, en contient plus que les autres. De même, plusieurs saints ont été pleins de grâce : mais la Vierge plus que tous les saints, dit l'Ange de l'École, parce qu'elle était un vase plus grand, et que sa plénitude devait répondre à la dignité de Mère de Dieu, qui surpasse incomparablement toutes les dignités et tous les emplois des autres saints. Et ce vase même, quelque grand qu'il fût, Marie l'agrandissait encore par le bon usage des grâces que Dieu y versait, et elle le rendait chaque jour capable d'en recevoir de plus grandes.

Ô Vierge très sainte, qui pourra dire combien la plénitude de grâce qui vous est propre, excède celle des autres saints qui furent eux-mêmes pleins de grâces ? Eux n'étaient que des ruisseaux ; et vous, comme le signifie votre nom, vous êtes une mer. Je me réjouis de ce que Gabriel vous appelle par excellence pleine de grâce. Il reconnaît que nulle créature ne l'a été comme vous ; et que lui-même et tous les Esprits bienheureux peuvent se dire vides, si on les compare à vous. — Ô bienheureuse Trinité, je vous remercie de la plénitude de grâce dont vous avez comblé cette Vierge souveraine, et je vous supplie, par ses mérites, de remplir le vaisseau de mon âme, qui est si petit, en y répandant la mesure de vos dons qu'il est capable de contenir. Ô Mère de miséricorde, Océan immense de grâces ; s'il est vrai que les fleuves sortent de la mer après y être entrés, qu'il sorte de votre sainte âme un fleuve de grâces qui remplisse tous les vides de la mienne, afin que mes œuvres soient pleines et parfaites devant Dieu. Ainsi soit-il.

3. LE SEIGNEUR EST AVEC VOUS

1. L'ange, par cette troisième parole, enchérit sur les éloges précédents. Le Seigneur est avec vous. Et comment ? D'une manière éminente, d'autant de manières qu'il peut être avec une pure créature. Il est avec vous, non seulement par essence, par présence et par puissance, comme il est avec tous les hommes ; et non seulement par sa grâce, comme il est avec les justes, mais par une grâce de distinction et de privilège, qui le fixe au dedans de vous et établit entre lui et vous une vraie amitié et une intime familiarité. Il est avec vous dans toutes vos puissances, les unissant à lui. Il est dans votre mémoire qu'il captive, afin que vous vous souveniez continuellement de lui ; il est dans votre entendement qu'il éclaire, afin que vous le connaissiez sans cesse ; il est dans votre volonté qu'il embrase, afin que vous l'aimiez toujours. Il est encore en vous par une protection spéciale et une providence toute particulière, veillant à tout ce qui vous touche, vous gouvernant par ses inspirations, vous conduisant dans toutes vos œuvres. Enfin, il est en vous comme dans son ciel, dans son temple, dans son lit nuptial, dans sa maison de repos ; et bientôt, il sera dans votre sein virginal comme votre fils. Je puis donc vous dire en toute vérité, et sans crainte de me tromper : Le Seigneur est avec vous.

2. Remarquons que les paroles de l'ange n'excluent aucune circonstance de temps, soit passé, soit futur ; mais plutôt qu'elles les embrassent toutes. Le Seigneur est avec vous; c'est comme s'il disait : Dès le premier moment de votre existence, le Seigneur a été avec vous ; il y est maintenant, et il y sera pendant toute l'éternité. Il ne se séparera jamais de vous ; il ne surviendra, ni en lui ni en vous, aucun changement qui diminue les soins de sa providence sur vous.

Ô Vierge trois fois heureuse, je me réjouis du bonheur inappréciable que vous avez de posséder dans vous-même le Très-Haut, sans crainte aucune d'être séparée de sa douce compagnie 1 Suppliez-le de daigner être eu moi par sa grâce, et de m'attacher si fortement à lui par les liens de son amour, qu'il soit avec moi, et moi avec lui dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

4. VOUS ÊTES BÉNIE ENTRE TOUTES LES FEMMES

C'est la dernière parole de la salutation de l'ange.

1. Vous êtes bénie entre les femmes, parce que, demeurant vierge, vous serez exempte de la malédiction attachée à la stérilité ; et devenant mère, vous ne serez point condamnée à enfanter dans la douleur, parce que vous aurez conçu sans plaisir.

2. Vous serez bénie entre les femmes, car, de même qu'une femme a été le principe de toutes les malédictions qui sont tombées sur les hommes ; ainsi vous serez le principe de toutes les bénédictions célestes qui descendront sur eux par les mérites du fruit béni de votre sein. Par lui vous écraserez la tête du serpent, et vous délivrerez le monde des malédictions que les suggestions perfides de son mortel ennemi ont attirées sur lui.

3. Pour cette victoire signalée, vous serez bénie et louée entre toutes les femmes. Les anges dans le ciel et les hommes sur la terre vous donneront mille bénédictions ; les pécheurs aussi bien que les justes vous loueront, parce que tous auront part à la bénédiction abondante que vous leur aurez méritée.

Pour moi, tout indigne que je suis d'être du nombre de vos serviteurs, je vous bénis, je vous loue et je vous glorifie ; et je ressens une joie immense de voir que toutes les créatures vous louent, vous bénissent et vous glorifient. Faites-moi participer, je vous en conjure, aux bénédictions dont votre Fils est la source, et qu'il répand sur son Église par vous, qui êtes le canal de toutes ses grâces. Délivrez-moi, ô ma Souveraine, des malédictions, que j'ai encourues par mes péchés et par les dettes que j'ai contractées envers la justice divine, afin que je puisse bénir et servir votre divin Fils dans les siècles éternels. Ainsi soit-il.

III. — Les vertus que fit paraître Marie saluée par l'ange

Considérons, en troisième lieu, comment Marie reçut le salut de l'ange. « Ayant entendu le messager céleste, elle fut troublée par ses paroles, dit l'évangéliste saint Luc, et elle songeait à ce que pouvait être cette salutation. » En cela, elle fit paraître quatre excellentes vertus que nous pouvons imiter : sa chasteté, son humilité, sa prudence, son amour du silence.

1. Elle montra l'amour extrême qu'elle avait pour la chasteté. Pourquoi se trouble-t-elle ? se demande saint Ambroise. Parce qu'elle voit soudainement un homme au milieu de sa chambre, où elle est seule. C'est le propre d'une vierge modeste de se troubler à la vue et à la première parole d'un homme : comme c'est le propre d'un homme chaste de faire un pacte avec ses yeux, à l'exemple de Job, pour écarter même la pensée d'une vierge.

2. Elle montra surtout sa rare humilité. Car au moment où l'ange parut devant elle sous la figure d'un jeune homme, elle était retirée dans sa chambre, absorbée dans la contemplation des grandeurs de Dieu, des qualités du Messie et de celle qui devait être sa Mère. Or sa profonde humilité lui inspirait de si bas sentiments d'elle-même, qu'elle ne put s'entendre saluer en termes si nouveaux et si glorieux sans se troubler, moins de la vue de l'ange, que parce qu'elle ne trouvait rien en elle qui justifiât les louanges qu'il lui donnait et les grandes choses qu'il disait d'elle.

3. Elle fit paraître sa prudence en examinant ce que pouvait être ce salut, et à quelle fin il tendait ; et en se gardant de répondre avec précipitation, avant que l'ange se fût expliqué davantage.

4. Elle se renferma donc dans son amour pour le silence, se taisant pour lors et ne répondant que par les marques visibles d'un trouble qui avait pour cause son humilité et sa pudeur.

Ô Vierge très pure, que les paroles qui vous sont adressées par votre divin Époux dans les Cantiques, cadrent bien avec votre conduite présente : Vos joues sont belles comme celles de la timide et chaste tourterelle Car dans vos traits resplendissent la beauté de votre chasteté et l'éclat de votre humilité et de votre sagesse.

Ces vertus ressortiront davantage, si nous établissons une comparaison entre la seconde Ève et la première. Celle-ci, même encore vierge, se promenait, errait çà et là dans le paradis terrestre. À la première demande que lui fit le démon, sous la forme d'un serpent, elle répondit sur-le-champ ; elle lia avec lui une longue conversation, dans laquelle elle fit paraître beaucoup de présomption, de curiosité, d'imprudence, d'envie de parler, et plusieurs autres défauts que nous n'imitons que trop fidèlement, nous qui sommes ses enfants. — Ici, supplions la Vierge très prudente de nous accorder son secours afin qu'en de telles occasions, nous nous efforcions de retracer ses vertus.

IV. — Gabriel dissipe le trouble de Marie

L'ange s'étant aperçu du trouble et de la sainte crainte de la Vierge, lui dit : « Marie, ne craignez point, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. »

1. Ces paroles nous apprennent qu'une des propriétés du bon esprit est d'apaiser le trouble et de dissiper les craintes de l'âme, afin qu'elle soit en état de recevoir dans la paix les lumières et les visites du Seigneur. Le trouble de la Vierge était, il est vrai, exempt de toute faute ou imperfection ; mais cela prouve quel soin prennent les bons anges d'apaiser en nous les agitations qui sont l'effet du péché ou de la faiblesse de notre nature. Nous devons donc tâcher de les réprimer nous-même, de peur qu'elles ne soient un obstacle aux visites de Notre-Seigneur, et que nous ne méritions le reproche qu'il fit un jour à la sœur de Madeleine, lorsqu'il lui dit : « Marthe, Marthe, vous vous inquiétez, et vous vous troublez de beaucoup de choses. Or une seule chose est nécessaire. »

Ce calme intérieur, demandons-le à notre ange gardien, en lui adressant avec confiance cette prière :

Ange bienheureux, ôtez de mon cœur toute crainte vaine, afin qu'il soit capable de recevoir les impressions de l'amour divin; apaisez le trouble que produit en moi la pensée des choses de la terre, pour que je puisse contempler les choses célestes : content de cet unique nécessaire, dans la possession duquel consiste mon éternel repos.

2. Méditons cette douce parole que l'ange ajoute pour engager la Vierge à ne point craindre : « Car vous avez trouvé grâce devant Dieu. » Comme s'il disait : « Vous n'avez à craindre ni le démon, ni l'enfer, ni aucun ennemi, visible ou invisible ; vous ne devez vous alarmer ni des grandes choses que je vous ai dites, ni des choses encore plus grandes que je vous dirai bientôt ; car je vous fais savoir que vous avez trouvé grâce devant Dieu. Cela doit suffire pour vous rassurer pleinement ; puisque c'est à cause de cela même que vous êtes pleine de grâce, que le Seigneur est avec vous, que vous êtes bénie entre toutes les femmes. Quels biens, en effet, ne peut pas attendre de la main libérale du Seigneur celui qui a trouvé grâce devant lui » ? Ô heureuse et mille fois heureuse l'âme qui trouve grâce devant Dieu ! Si les hommes regardent comme un souverain bonheur de trouver grâce devant un roi de la terre ; quel bonheur ne sera-ce pas de trouver grâce devant le Roi du Ciel ? Les bonnes grâces d'un prince temporel procurent à celui qui les possède des richesses, des honneurs, des dignités et d'autres biens passagers ; et tout cela finit souvent dans le malheur. Mais les bonnes grâces du Monarque du Ciel sont pour ses amis une source abondante de vertus et de dons célestes que rien ne peut leur ravir. Aussi, dans l'Écriture, est-il dit des plus grands saints, comme de Noé, de Moïse, de David et de quelques autres, qu'ils ont trouvé grâce devant Dieu. Mais aucun d'eux ne l'a trouvée à l'égal de la plus sainte des créatures, -qui s'est tellement approchée de Dieu, que toujours il a été avec elle, et elle avec lui, jusqu'à le renfermer dans son sein très pur, en qualité de mère.

Ô Mère pleine de douceur, je me réjouis de ce que vous avez trouvé grâce devant Dieu d'une manière si intime et si particulière ! Il est dit que la reine Esther, ayant trouvé grâce devant le roi Assuérus, fut cause du salut et du bonheur de son peuple. Faites pour nous auprès du Seigneur l'office de médiatrice, afin que nous trouvions grâce devant lui, et que nous obtenions un jour la consommation de toutes les grâces, qui est la vie éternelle. Ainsi soit-il.

3. Mais insistons principalement sur une dernière pensée. Bien que Dieu n'accorde pas cette faveur aux hommes à cause de leurs mérites, on peut toutefois se disposer efficacement à la recevoir par l'humilité ; et c'est par ce moyen que l'obtint la très sainte Vierge. C'est ce que l'Esprit-Saint veut nous faire comprendre par ces paroles : « Plus vous êtes grand, plus vous devez vous humilier en toutes choses; et vous trouverez grâce devant Dieu. Car la puissance de Dieu seul est grande, et il est honoré par les humbles. » (Eccl ; 3, 20-21) Comment les humbles honorent-ils le Seigneur ? En lui renvoyant la gloire de tout ce qu'ils ont: ce qui l'engage à les honorer encore davantage, et à leur faire de jour en jour de plus grandes grâces. — Si donc, ô mon âme, tu veux trouver grâce devant Dieu, comme la Vierge, humilie-toi ers toutes choses comme elle ; car il est écrit : « Dieu résiste aux superbes, et il donne sa grâce aux humbles. » (Jacob 4, 6)

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