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Méditation pour le 5e mystère glorieux

ImprimerTirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

Nota : Le fruit de ce mystère étant une plus grande dévotion envers la Très Sainte Vierge, voici une méditation sur l’importance de cette dévotion.

DE LA DÉVOTION À LA TRÈS SAINTE VIERGE,
DES BIENS QUE NOUS EN RETIRONS
ET QUELS EN SONT LES PRINCIPAUX ACTES.

I
. — Motifs et avantages de la dévotion envers Notre-Dame

Considérons, en premier lieu, les divers motifs que nous avons d'aimer et de servir la Mère de Dieu de toutes nos forces, lui donnant dans notre cœur la première place après son Fils. En examinant chaque motif, voyons ce que nous pouvons et devons faire pour son service.

1) La Vierge Marie est plus aimée des trois Personnes divines que tous les anges et tous les bienheureux, parce qu'elle est plus sainte, elle seule, que tout ce qu'il y a d'anges et de bienheureux dans le ciel. Il est donc juste que nous l'aimions plus que toutes les pures créatures, conformant notre amour à l'amour du Créateur, et en même temps à la raison, qui nous commande d'aimer davantage celle en qui nous reconnaissons plus de mérite. Tirons de là des sentiments de joie spirituelle et de complaisance pour tous les biens dont il a plu au souverain distributeur des dons d'enrichir la Reine des vertus. Réjouissons-nous de la voir ainsi aimée de Dieu, de ce qu'elle a trouvé grâce devant lui, de son étonnante sainteté, de toutes les perfections accumulées en elle par la libéralité infinie du Très-Haut. Remercions le Seigneur du fond de notre âme, et supplions la Vierge elle-même de nous faire part de quelques-uns de ces biens, afin que, nous aussi, nous soyons aimés de mon Dieu, et que nous trouvions grâce en sa présence.

2) La Vierge notre Dame est Mère de Dieu et Mère du Sauveur. Son divin Fils, à cause de l'amour qu'il a pour elle, veut que tous l'aiment et la servent, comme sa grandeur et sa dignité l'exigent. Il regarde comme rendus à lui en personne tous les hommages que l'on rend à sa Mère. Il a dit dans l'Évangile, en montrant les pauvres et les petits : Tout ce que vous avez fait au moindre de mes frères que voici, vous me l'avez fait à moi-même.
À plus forte raison dira-t-il : L'honneur que vous avez rendu à ma Mère, c'est à moi que vous l'avez rendu. Si donc nous aimons sérieusement notre Rédempteur, à qui nous sommes redevables de tant de bienfaits, ce n'est pas assez que nous aimions son Père éternel, avec lequel il est un seul et même. Dieu ; il faut encore que nous aimions sa Mère, avec laquelle il est, par un singulier amour, un même esprit et un même cœur.

3) Marie est notre Mère, et elle a pour nous une affection maternelle. Cette pensée ne doit-elle pas suffire pour nous obliger à l'aimer, et à lui rendre amour pour amour ? Il est naturel aux enfants d'aimer leurs mères, surtout les mères dignes de ce nom, et qui aiment en mères. De même donc que le disciple bien-aimé de Jésus-Christ, ayant entendu de la bouche de son Maître mourant cette douce parole : Voilà votre Mère, regarda aussitôt la Mère de Jésus comme sa Mère, et l'aima toujours depuis d'un amour filial, ainsi devons-nous prendre Marie pour Mère, et l'aimer et la servir avec un soin tout particulier, nous 'estimant très heureux, et nous félicitant d'être du nombre de ses enfants.

4) La très sainte Vierge ne cesse de nous rendre dans le ciel des bons offices qui nous font une obligation de l'aimer, et de reconnaître qu'elle est notre plus insigne bienfaitrice après Dieu. En premier lieu, elle prie continuellement pour nous avec plus de ferveur et d'efficacité que Jérémie ne priait pour son peuple, parce qu'elle est notre avocate et notre médiatrice auprès de son Fils. En second lieu, elle est pleine de sollicitude pour notre bien. Non seulement elle écoute les prières de ses clients, mais elle les prévient ; et d'elle-même elle représente à Dieu leur indigence et leurs besoins. Nous en avons une preuve dans ce qu'elle fit aux noces de Cana en faveur des nouveaux époux et des conviés. Par un pur mouvement de compassion, elle avertit Jésus que le vin manquait. De sorte que, c'est la réflexion de saint Augustin, de même qu'elle a plus de mérite, ainsi nous porte-t-elle un intérêt plus vif que tous les autres saints. En troisième lieu, sa puissance n'a pas de bornes, et elle nous obtient avec une facilité et une promptitude merveilleuses le remède à tous nos maux. Aussi saint Anselme ne craint pas d'avancer la proposition suivante. Il arrive quelquefois, dit-il, que nous sommes plus tôt exaucés en invoquant le nom de Marie qu'en invoquant le nom de Jésus. Ce n'est pas que le Fils ne soit sans comparaison plus puissant et plus miséricordieux que la Mère ; mais parce qu'il est notre juge, il peut se faire que sa justice suspende le cours de sa miséricorde, et qu'il diffère de nous exaucer à cause de nos crimes. La Vierge, au contraire, n'est pas notre juge, elle est notre avocate. À ce titre, elle n'allègue que la miséricorde ; elle apaise le juste courroux du souverain Juge par ses prières, et elle réussit aussitôt à nous le rendre favorable.
D'où il est permis de conclure, avec le même saint, que la dévotion envers la Mère de Dieu est une marque de prédestination. Elle procure en effet avec une touchante sollicitude, à ceux qui l'implorent, tout ce qui peut contribuer à leur salut ; et après les avoir assistés à l'heure de la mort, elle les introduit dans le séjour de gloire. Ajoutons qu'elle nous aide si efficacement dans tous les dangers et dans toutes les nécessités diverses où nous pouvons nous trouver, que saint Bernard ne fait pas difficulté de lui adresser ces paroles : Ô glorieuse Vierge, si quelqu'un, se souvient que vous l'ayez oublié dans le besoin, qu'il cesse de louer votre miséricorde. Comme s'il disait : Tous les hommes doivent exalter votre miséricorde, car jamais vous n'avez refusé votre secours à celui qui vous l'a demandé du fond de son âme.
Tous ces motifs, bien considérés, sont très propres à exciter dans un cœur chrétien une tendre dévotion envers l'auguste Vierge notre Dame. Supplions son Fils notre Seigneur de nous communiquer son amour pour sa Mère, et prions-la elle-même de nous l'obtenir de son bien-aimé Fils.

Ô Mère très aimante, qui avez établi votre demeure, non dans la maison du farouche Ésaü, mais dans celle du doux Jacob ; non parmi les réprouvés, mais parmi les élus, en qui, selon le langage de l'Écriture, vous Jetez de profondes racines, je ne désire rien tant que de vous aimer et de vous servir. Je me propose, en qualité de fils, d'imiter vos vertus ; recevez-moi dans cette maison de Jacob, où vous régnez sur vos enfants dévoués. Jetez dans mon cœur de si fortes racines, que désormais, je puisse accomplir le plus ardent de mes vœux, celui de m'employer avec un zèle constant et infatigable à votre service.


II. — Les principaux actes de la dévotion à Marie.

Considérons, en second lieu, la dévotion que le Saint-Esprit a inspirée à l'Église universelle envers la Vierge notre Souveraine. Arrêtons-nous principalement à quelques pratiques plus remarquables, par lesquelles l'Épouse de Jésus-Christ témoigne son amour et son dévouement pour sa Reine. Prenons en même temps la résolution de nous rendre propres ces pratiques dans la mesure de nos forces, afin de répondre au désir de l'Esprit de Dieu qui éclaire et dirige la sainte Église notre Mère.

1) L'Église montre sa dévotion envers Marie en lui rendant un culte au-dessous de celui qui n'est dû qu'à Dieu, mais au-dessus de celui qui se rend à tous les autres saints. Ce culte spécial est appelé d'hyperdulie. En raison de cette distinction, la même sainte Église décerne à la Mère de Jésus des noms qui ne conviennent proprement qu'au Créateur de l'univers, mais qui désignent des qualités éminentes que Notre-Dame possède au suprême degré. Ainsi la sainte liturgie la nomme Mère de miséricorde, notre vie, notre douceur, notre espérance, la porte du ciel, elle lui demande des grâces que Dieu seul peut nous accorder, comme de briser les chaînes des pécheurs captifs, d'éclairer les aveugles, de nous délivrer de tous les maux, et de nous faire voir après cet exil Jésus, le fruit béni de son sein virginal.
Or toutes ces faveurs, elle nous les obtient de Notre-Seigneur par l'efficacité de ses prières. Nous devons donc honorer et invoquer avec confiance cette auguste Reine, employant les paroles pleines d'une affection si tendre dont l'Église se sert dans les hymnes et dans les antiennes qu'elle lui adresse.

2) L'Église témoigne sa dévotion envers la très sainte Vierge en élevant des temples riches et magnifiques en son honneur, en exposant ses images à la vénération des fidèles, et en les exhortant à les visiter : pieuses pratiques que le Seigneur autorise par les nombreux miracles qu'il opère en considération de sa sainte et immaculée Mère. C'est dans la même vue que les Vicaires de Jésus-Christ approuvent des Congrégations et des Ordres religieux consacrés au culte de Marie. La Vierge, de son côté, les prend sous sa protection, et répand des faveurs extraordinaires, tant en général qu'en particulier, sans exception de personnes, sur tous ceux qui se dévouent à son service. Nous l’éprouvons nous-même si nous nous offrons sérieusement à l'honorer et à la servir selon l'étendue de notre pouvoir.

3) Une autre preuve de la dévotion de l'Église universelle envers la Mère de Dieu, c'est qu'elle a recours à elle en tout temps. À cet effet, elle a institué plusieurs fêtes pendant l'année. Elle en célèbre quelqu'une presque chaque mois ; et dans quelques mois, deux ou même trois. Chaque semaine, elle lui consacre le samedi, avec un office et une messe propre pour le temps. Elle a de plus pour tous les jours un petit office, auquel sont attachées des indulgences. Ses ministres récitent au commencement de toutes les heures canoniales un Ave Maria, et à la fin l'antienne ordinaire de la Vierge. Elle a sanctionné l'usage de sonner la cloche tous les soirs, avant la nuit, pour avertir les fidèles de réciter l’Angelus ; et même, en plusieurs endroits, cela se fait trois fois le jour : le matin, à midi, et au soir. Enfin, inspirée de Dieu, elle approuve et recommande à tous ses enfants la récitation du saint Rosaire, sorte de psautier de cent cinquante Ave Maria, qui répondent aux cent cinquante psaumes de David, et de quinze Pater noster, qui figurent les quinze psaumes nommés graduels, parce qu'on les chantait en montant les quinze degrés du temple de Jérusalem. (…) Mais comme tous ne peuvent pas réciter le Rosaire entier, l'Église leur propose le chapelet (…) ; et elle accorde des indulgences nombreuses à ceux qui récitent soit le Rosaire, soit le chapelet, afin de les exciter davantage à pratiquer une dévotion si sainte et si salutaire. Le Sauveur, de sa part, voulant montrer qu'il l'approuve, l'a confirmée par d'éclatants miracles qui témoignent combien il aime sa Mère, et combien il souhaite que nous l'aimions.

Ô très doux Jésus, puisque vous désirez si ardemment que nous honorions votre très sainte Mère, inspirez-moi d'une manière efficace une dévotion filiale envers celle qui est aussi la mienne, et aidez-moi à m'acquitter avec ferveur de toutes les œuvres que l'Église votre Épouse autorise et exerce à cette fin.

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Méditation pour le 4e mystère glorieux

ImprimerTirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

DU GLORIEUX PASSAGE AU CIEL DE LA VIERGE NOTRE-DAME.

I. — Les désirs

1) Considérons comment la très sainte Vierge, surtout dans les dernières années de son pèlerinage, éprouvait les désirs enflammés de voir Dieu et d'être réunie à son Fils. Ces désirs ne provenaient pas d'un dégoût de la vie présente, ni de l'ennui des peines attachées à la condition de l'homme sur la terre, mais d'un amour extrêmement pur de son Seigneur. Lorsque cet amour a grandi dans une âme, elle soupire sans cesse après son Bien-aimé, et ne peut trouver loin de lui aucun repos. Comme Marie était très versée dans la connaissance des saintes Lettres, elle empruntait souvent aux auteurs inspirés des passages conformes aux sentiments de son cœur. Tantôt, se parlant à elle-même, elle disait avec David : Hélas ! que mon exil est long ! J'ai passé bien des années parmi les peuples de Cédar ; il y a longtemps que mon âme est en ce monde comme dans un lieu de bannissement. Tantôt se tournant vers Dieu, elle lui disait : Comme le cerf altéré soupire après les eaux des fontaines, ainsi mon âme soupire après vous, Seigneur. Mon âme est altérée du Dieu fort, du Dieu vivant. Quand irai-je à lui ? Quand paraîtrai-je devant sa face ? Tirez mon âme de la prison de ce corps, afin que je bénisse votre nom. Les justes attendent que vous me donniez la couronne de justice que vous m'avez promise. Tantôt s'adressant aux anges qui la visitaient, elle leur répétait ces paroles des Cantiques : Je vous en conjure, heureux habitants de la Jérusalem céleste, vous qui voyez mon Bien-Aimé, dites-lui que je languis d'amour, que mon âme est dans la défaillance, et que ma chair est trop faible pour supporter le désir véhément que je ressens de le voir et de jouir de sa présence.

2) Il est aussi à croire qu'il s'élevait parfois dans l'âme de Marie, comme dans celle du grand Apôtre, un saint combat entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain. D'un côté, l'amour de Dieu faisait valoir les avantages qu'il y avait pour elle à sortir de ce monde pour être avec Jésus-Christ ; de l'autre, l'amour du prochain la sollicitait de demeurer encore sur la terre pour le bien de l'Église naissante. Comme donc la Vierge n'avait point d'autre volonté que celle de Dieu, et qu'elle avait résolu avant tout de lui obéir en toutes choses, elle lui disait ce que saint Martin dit depuis dans une pareille circonstance : Seigneur, si je suis encore nécessaire à votre peuple, je ne refuse point le travail ; que votre volonté se fasse.

Ô Vierge incomparable, qui n'avez été vaincue ni par le travail, ni par la mort ; qui n'avez ni appréhendé de mourir, ni refusé de vivre, parce que vous n'avez jamais eu d'autre volonté que d'accomplir le bon plaisir du Seigneur ; obtenez-moi la grâce de vous imiter dans votre résignation parfaite et dans vos saints désirs, de souhaiter la mort avec joie, et de supporter la vie avec patience.

3) Lorsque la Vierge sentit qu'il ne lui restait plus que peu de jours à passer sur la terre, elle commença avec une nouvelle ferveur à se préparer à son dernier voyage. Elle s'appliqua plus que jamais à pratiquer des actes très relevés de toutes les vertus. Elle répétait ces paroles de l'épouse des Cantiques : Soutenez-moi avec des fleurs, environnez-moi de fruits ; car je languis d'amour. Elle semble s'adresser aux puissances de son âme, et leur dire : La force de l'amour me consume ; soutenez-moi dans ma langueur, produisez de nouvelles fleurs et de nouveaux fruits ; c'est-à-dire, fortifiez-moi par de saintes pensées, par de pieuses affections, par des actes de diverses vertus, qui allègent mon mal et me disposent à mon heure suprême.

Pour nous préparer à la mort, nous devons imiter la sainte Vierge en ces trois points : Exciter dans notre âme de très ardents désirs de voir Dieu, nous résigner pleinement à sa volonté adorable, et faire de notre mieux des actes des principales vertus chrétiennes, redoublant de ferveur quand nous penserons que le moment de notre départ est proche. Car celui-là n'est pas exempt de faute qui ne désire qu'avec tiédeur de voir Dieu et d'entrer en possession de la béatitude éternelle. Aussi lisons-nous qu'il y a dans l'autre vie un purgatoire spécial, appelé de désir, où sont détenues les âmes qui n'ont souhaité que faiblement le bonheur d'être avec leur souverain Seigneur pendant toute l'éternité.

II. — Les derniers jours.

Considérons, en second lieu, les choses les plus remarquables qui se sont passées dans les jours qui précédèrent la mort de Notre-Dame.

1) Bien que Dieu l'eût préservée du péché originel, il ne voulut pas néanmoins l'exempter de la mort corporelle, qui est la peine de ce péché. Il voulut qu'elle la souffrît aussi bien que les autres hommes, pour faire voir que l'arrêt de mort porté contre les enfants d'Adam était général et irrévocable. D'ailleurs, la raison demandait sa mort, pour imiter son divin Fils, mort sur la croix pour remédier à nos maux. C'était, de plus, pour elle un sujet de mérites abondants de surmonter la répugnance naturelle que tout homme a de quitter la vie ; car, comme dit saint Paul, nous ne voulons pas être dépouillés de notre corps, mais nous désirerions, s'il était possible, être revêtus de l'immortalité bienheureuse sans passer par la mort. Enfin, il lui fallait nous donner en mourant de rares exemples de vertu, et nous apprendre par expérience à compatir aux agonisants, dont elle devait être l'avocate et la protectrice.

Nous trouverons dans la mort de la Vierge un motif solide de confiance pour la supplier de vouloir bien nous assister à nos derniers moments ; nous la prierons de nous accorder quelques-unes des grâces dont elle fut alors comblée, et nous lui dirons avec ferveur ces paroles de la Salutation angélique : Priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant, et à l'heure de notre mort ; ou ces autres d'une hymne de l'Église : Marie, mère de grâce, mère de miséricorde, défendez-nous contre l'ennemi, et recevez-nous à l'heure de la mort.

2) Le jour étant venu où l'auguste Vierge devait passer de la terre au ciel, son divin Fils envoya saint Gabriel lui en porter la nouvelle. L'archange vint à elle avec un visage rayonnant, comme lorsqu'il lui annonça le mystère de l'Incarnation ; et il est probable qu'il la salua dans les mêmes termes, lui disant : Je vous salue, ô pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes, à cause du fruit béni que vous avez porté dans vos chastes entrailles. Je viens vous apprendre de sa part que l'heure est enfin arrivée, en laquelle il a résolu de vous appeler à lui, de récompenser vos services, et de combler les vœux des habitants de la cour céleste, qui ont un extrême désir de vous posséder, et de vous voir en leur compagnie. Oh ! qui pourrait exprimer quels sentiments sublimes produisit cette heureuse nouvelle dans le cœur de Notre-Dame ! D'une part, elle redisait dans un transport de joie ces paroles de David : Je me suis réjouie de cette promesse que l'on a fait entendre à mes oreilles : Nous irons dans la maison du Seigneur. De l'autre, elle répondait à l'Ange avec la même soumission qu'autrefois : Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole.

Entrons dans ces deux sentiments, et efforçons-nous de les garder au fond de notre cœur. Ils nous seront nécessaires quand on nous fera connaître que le moment de notre mort est proche ; car Dieu veut que nous recevions cette nouvelle avec résignation et avec joie.

3) Considérons comment les apôtres et plusieurs autres disciples vinrent miraculeusement à Jérusalem assister aux derniers moments de la Vierge. Ce qui arriva plutôt pour leur utilité propre que pour la consolation de Marie, quoiqu'elle en ressentît une bien sensible de les voir encore une fois avant de sortir de ce monde. Tous pleuraient la perte qu'ils allaient faire et se recommandaient à ses prières. Pour elle, elle les consolait et leur donnait des conseils salutaires. À l'imitation de son Fils, elle pria pour eux, leur donna avec effusion de cœur sa bénédiction, et leur promit qu'elle serait leur avocate dans le ciel.

Ô Mère pleine de douceur, vous partez pour la véritable patrie, et vous nous laissez orphelins dans le lieu de notre exil. Mais, puisque vous nous donnez l'assurance que vous nous protégerez du haut des cieux, nous n'avons rien à craindre sur la terre. Nous y consentons, montez dans la gloire ; votre bénédiction nous est un gage que nous y monterons après vous, et que nous jouirons en votre compagnie de la présence de votre adorable Fils, dans les siècles des siècles.

III. — L'heureuse mort.

1) Considérons comment, l'heure étant arrivée, Jésus-Christ Notre-Seigneur descendit du ciel, et vint au-devant de sa Mère bénie, accomplissant à son égard ce qu'il avait dit à ses apôtres : Quand je m'en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai vers vous, et je vous emmènerai avec moi. Il était accompagné d'une multitude innombrable d'anges qui venaient honorer les derniers moments de leur Reine, et chasser les malins esprits loin de sa demeure. Oh ! que les paroles du Fils à sa Mère furent douces et consolantes ! Nous ne pouvons mieux nous les imaginer qu'en nous rappelant celles que nous lisons dans le Cantique des Cantiques. Il lui dit donc avec un amour inexprimable : Levez-vous, hâtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, belle entre toutes, et venez. Car l'hiver a passé, les pluies ont cessé, je vous annonce la fin de vos travaux. Venez, mon épouse, venez du Liban, de ces montagnes élevées et fertiles qui représentent vos vertus. Sortez de ce monde, repaire de lions et de tigres ; venez au plus tôt, et vous recevrez de ma main la couronne de justice que vous avez si bien méritée.

De son côté, la Vierge, voyant son Fils, et entendant ce qu'il lui disait au fond du cœur, le pria sans doute, avec la charité immense dont elle était remplie, de consoler ses apôtres et ses autres disciples, et de répandre sur eux l'abondance de ses bénédictions. Puis, se rappelant les paroles que Jésus avait adressées à son Père au moment de rendre le dernier soupir, elle lui dit :

Ô Sauveur des hommes, qui êtes mon Père en tant que Dieu, et mon Fils en tant qu'homme, je remets mon âme entre vos mains. Et en prononçant ces mots, elle expira. La mort des saints est précieuse devant Dieu, dit le Psalmiste combien dut être précieuse devant le Seigneur Jésus la mort de sa très sainte Mère !

2) Considérons les principales circonstances de l'heureuse mort de l'auguste Marie.

En premier lieu, elle mourut, non de quelque maladie naturelle, mais de l'ardeur excessive de l'amour divin qui consuma toutes ses forces. Elle pouvait donc dire que l'amour l'avait rendue languissante, qu'il lui avait fait une plaie au cœur, et qu'il allait séparer son âme d'avec son corps ; mais qu'il la réunirait bientôt à celui qu'elle aimait uniquement, et dont elle avait elle-même blessé et ravi le cœur.

En second lieu, elle mourut sans douleur. Son divin Fils jugea qu'elle avait assez souffert en le voyant mourir sur la croix. Du reste la présence de son Bien-aimé la comblait d'une joie si pleine, qu'elle ne sentit pas son âme se séparer de son corps, suivant cette parole du Sage : Le tourment de la mort n'atteindra pas le juste ; son âme est entre les mains de Dieu.

En troisième lieu, ses œuvres si saintes, si nombreuses, et d'un mérite presque infini, se réunirent comme une garde d'honneur pour l'accompagner jusqu'au ciel. Dieu daigna lui en donner une connaissance claire et la remplit, par cette faveur, de confiance et d'allégresse. Si les justes qui meurent dans le Seigneur sont heureux, parce que leurs œuvres les suivent, quel sera le bonheur de celle qui mourut en Jésus-Christ, de pur amour pour Jésus-Christ, entourée d'une multitude prodigieuse d'œuvres saintes et héroïques ! Si le serviteur que son maître trouve veillant est heureux, combien sera heureuse la Mère de Dieu, qui ne s'est jamais endormie, ni d'un profond sommeil, comme les vierges folles, ni même d'un sommeil léger, comme les vierges sages ; mais qui a veillé constamment jusqu'à la venue de l'époux ! Enfin, si le juste, comme l'affirme le Sage, espère au jour de sa mort, quelle assurance ne doit pas avoir en ce dernier jour la Reine des justes ! Plaise à Dieu que je meure comme celle qui mérite par excellence le nom de juste, et puisse ma fin ressembler à la sienne !

Ô Vierge sainte, pour que ma mort soit en quelque manière semblable à la vôtre, faites que je vive toujours avec le trait de l'amour dans le cœur ; aidez-moi à faire un si grand nombre de bonnes œuvres, que le tourment de la mort ne me touche point. Il est conforme à la justice que j'en ressente les douleurs dans mon corps ; c'est une peine que j'ai méritée par mes péchés ; mais ne permettez pas que ces douleurs passent jusqu'à mon âme, et qu'elles l'affligent par une crainte démesurée, par découragement et manque de confiance en la divine bonté.

IV. — Les funérailles.

1) Lorsque la Vierge eut rendu le dernier soupir, on ensevelit son corps et on le porta au sépulcre avec une pompe qui n'avait rien de funèbre. Le ciel et la terre se réunirent pour la rendre plus magnifique ; en sorte que nous pouvons dire avec le prophète Isaïe que son sépulcre tut glorieux. En effet, tout ce qu'il y avait de plus considérable dans l'Église militante et dans l'Église triomphante, contribua à honorer ses obsèques. Les apôtres et un grand nombre de disciples marchaient autour du saint corps en chantant, par un mouvement de l'Esprit divin, des hymnes en l'honneur de Dieu et de sa glorieuse Mère. D'un autre côté, la tradition nous apprend que les chœurs des anges suivaient le convoi, et qu'ils demeurèrent trois jours entiers dans le sépulcre, ne cessant de faire retentir les airs d'une musique céleste, et glorifiant à l'envi la Reine du ciel.

2) Le tombeau de la Vierge fut glorieux par les nombreux miracles que Dieu opéra pour honorer ce corps sanctifié par la présence du Verbe incarné. Car, bien que Marie n'ait point, à la connaissance des hommes, fait de miracles pendant sa vie, soit par humilité, soit pour laisser cette gloire aux apôtres et aux prédicateurs de l'Évangile, soit enfin parce que toute sa vie fut un miracle perpétuel, plus surprenant que la vie de saint Jean-Baptiste ; après sa mort néanmoins, son Fils voulut rendre sa mémoire célèbre par divers prodiges, comme il l'a fait pour d'autres saints.

3) Ce sépulcre fut glorieux, parce que, tout en accordant, ce qui est certain, que les apôtres et les disciples furent profondément affligés de la mort de leur Reine et de leur maîtresse ; il est cependant probable que Notre-Seigneur leur fit dès lors connaître sa gloire, et qu'il remplit leur cœur de consolations spirituelles, dans la pensée qu'ils avaient au ciel une mère, une avocate qui prendrait soin de leurs intérêts.

Ô sainte Mère de Dieu, je veux, autant qu'il m'est possible, accompagner en esprit votre corps sacré et me joindre à ces deux chœurs d'anges et d'apôtres pour chanter avec eux vos louanges. Il était juste que le Verbe éternel, à qui votre corps avait servi durant neuf mois comme de sépulcre vivant et glorieux, vous donnât, pour recevoir ce même corps, un autre sépulcre qui, durant trois jours, fût glorieux par une suite de merveilles. D'ailleurs, comme votre corps n'avait jamais été employé qu'à glorifier le Créateur, et qu'il devait dans trois jours reprendre ce saint emploi pour toute l'éternité, n'était-il pas raisonnable que les anges, pendant ce temps-là, lui servent en quelque sorte de langue, pour louer par leur entremise celui qu'il avait lui-même glorifié jusqu'à la mort ? Je vous rends grâces, ô Verbe divin, de l'honneur que vous faites aujourd'hui à votre Mère, et je vous supplie, par son intercession, de m'accorder une mort si sainte, que je mérite de jouir de votre présence en sa compagnie dans la gloire éternelle. Ainsi soit-il.

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Méditation pour le 3e mystère glorieux

ImprimerTirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

DE LA GRACE INESTIMABLE QUE DIEU FIT AUX HOMMES
EN LEUR ENVOYANT LE SAINT-ESPRIT,
ET POURQUOI IL LE LEUR ENVOYA.


I. — Quel est celui qui envoie le Saint-Esprit.

1) Le jour étant venu, auquel le Père éternel avait résolu d'envoyer au monde le Saint-Esprit, il le répandit sur les apôtres pour trois motifs principaux.

Le premier fut de manifester l'excès de sa charité. Le même amour qui l'avait obligé de donner aux hommes son Fils unique pour rédempteur, le porta encore à leur donner le Saint-Esprit pour sanctificateur. C'était un pur effet de sa miséricorde, une grâce qu'ils n'avaient point méritée, et dont ils s'étaient rendus positivement indignes ; car après avoir outrageusement traité le Fils, pouvaient-ils espérer de recevoir le Saint-Esprit ? Comme donc le Sauveur dit à ce disciple caché : Dieu a tellement aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique ; nous pouvons dire avec autant de raison : Dieu a tellement aimé le monde, qu'il lui a donné son Saint-Esprit, en tout égal au Fils et au Père, puisqu'il est Dieu comme l'un et l'autre.

Le second motif fut de montrer l'efficacité des mérites de Jésus-Christ. C'est sa passion et sa mort qui nous ont mérité ce don du Saint-Esprit. Assis à la droite de son Père, il ne cesse d'intercéder auprès de lui en faveur des hommes, lui découvrant ses plaies, et le conjurant de leur envoyer le divin Consolateur qu'il leur avait promis tant de fois de sa part. Son intercession fut si puissante, qu'il obtint tout ce qu'il désirait : le Père s'empressant de récompenser les travaux que ce Fils obéissant jusqu'à la mort avait soufferts pour l'amour de lui.

Le troisième motif fut de remédier aux maux dont le monde était accablé. Le Père éternel, ému de compassion à la vue de tant de misères, voulut envoyer le Saint-Esprit, qui pouvait y apporter le dernier et souverain remède. La justice et la miséricorde concertèrent ce dessein : la justice, du côté du Rédempteur qui s'était sacrifié pour notre salut ; la miséricorde, du côté du Père qui avait été vivement touché des maux que nous endurions.

Ô Père des miséricordes, je vous rends grâces de ce que vous avez tant aimé le monde ! Vous nous communiquez tout le bien qui est en vous, et dont vous êtes le principe ; car après nous avoir donné le Fils unique qui procède de votre entendement comme votre Verbe, vous nous donnez le Saint-Esprit qui procède de votre volonté, comme votre amour et comme le souffle de votre bouche. Pourrai-je jamais reconnaître une si excessive bonté ? Prenez, Seigneur, mon entendement et ma volonté ; agréez de même toutes les œuvres qui en procèdent, afin qu'il n'y en ait aucune qui ne tende à votre plus grande gloire.

2) Jésus-Christ notre Seigneur nous envoie aussi le Saint-Esprit, qui procède de lui et du Père comme d'un même principe. Ainsi voulut-il accomplir la prophétie de David : Il montera au ciel, suivi d'un cortège de glorieux captifs ; il répandra ses dons sur les hommes, c'est-à-dire il leur enverra le Saint-Esprit, en qui sont renfermés tous les dons célestes.

Aux motifs que nous venons d'exposer, on peut en ajouter un autre, celui d'achever et de perfectionner la Rédemption du monde par l'opération intime de cet Esprit tout-puissant dans les âmes. C'est lui qui devait mettre la dernière main à l'œuvre que le Fils de Dieu avait commencée, ainsi que Jésus-Christ lui-même en assura ses apôtres avant sa Passion. Prions donc Notre-Seigneur de nous envoyer son Esprit, disant avec ferveur et avec humilité :

Ô Sauveur du monde, qui avez eu tant à cœur l'accomplissement de l'œuvre que votre Père vous avait recommandée, communiquez-moi votre Esprit, afin qu'Il achève en moi ce que vous y avez commencé, et qu'il m'applique efficacement les mérites de votre Passion.

3) Enfin, il est une dernière considération qui réclame notre attention. Bien que le Père et le Fils nous donnent le Saint-Esprit, cet Esprit consolateur ne laisse pas cependant de se donner lui-même à nous. L'amour immense qu'il nous porte l'oblige à être tout à la fois le donateur et le don ; et parce qu'il procède des deux premières Personnes de l'adorable Trinité comme amour, il se donne lui-même en répandant la charité dans nos cœurs : pressant motif de lui demander souvent qu'il daigne se donner et se communiquer à nous.

Ô Esprit divin, donnez-vous à votre serviteur car rien ne peut le rassasier si ce n'est vous. Ô distributeur des dons, accordez-moi le plus grand de tous, vous en personne, en qui je possède toute chose. Venez dans mon cœur, et puisque vous êtes essentiellement un don, donnez-vous tout entier à moi, afin que je me donne entièrement à vous.

II. — Pourquoi le Père et le Fils nous envoient le Saint-Esprit.

Cherchons, en second lieu, pour quelles fins le Père et le Fils envoyèrent aux hommes le Saint-Esprit. Ces fins peuvent se tirer du discours que Notre-Seigneur fit à ses apôtres après la Cène.

1) L'Esprit-Saint est envoyé sur la terre pour succéder à Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'office de protecteur, d'avocat, et de consolateur des hommes. C'est lui qui désormais remplira cet emploi auprès des apôtres d'une manière invisible, comme le Fils de Dieu avait coutume de l'exercer d'une manière visible. C'est ce que signifient ces paroles du Sauveur : Je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Paraclet, c'est-à-dire un autre protecteur, un autre avocat, un autre consolateur, qui aura de vous un soin tout particulier, qui vous soutiendra dans vos travaux, vous consolera dans vos afflictions, et priera pour vous dans vos plus pressants besoins avec des gémissements inénarrables. Non seulement il priera pour vous, mais il vous excitera encore à prier et à demander ce qui vous est le plus convenable. Et quand il sera venu invisiblement dans vos cœurs, il ne vous quittera pas ; comme je vous quitte selon le corps, mais il demeurera éternellement avec vous.

Je vous remercie, ô mon Jésus, de ce que vous avez daigné vous donner un successeur qui soit pour nous, en votre absence, un protecteur tout-puissant, un tendre consolateur, un avocat plein de sollicitude. Ô divin Esprit, hâtez-vous de visiter votre serviteur qui soupire après vous ; soutenez-le dans les combats ; protégez-le dans les périls ; consolez-le dans les afflictions ; éclairez-le dans ses doutes ; priez pour lui dans toutes les circonstances fâcheuses, et surtout faites-le prier lui-même avec tant de ferveur, qu'il obtienne de la divine miséricorde le remède à tous ses maux.

2) Le Fils de Dieu nous envoie le Saint-Esprit pour le remplacer en qualité de Maître. La doctrine que Jésus nous prêcha de sa bouche, l'Esprit qui vient de lui nous l'enseignera au fond du cœur et nous la fera comprendre intérieurement. C'est le sens de ces paroles du Sauveur à ses apôtres : Quand le Saint-Esprit que mon Père vous enverra en mon nom, c'est-à-dire en ma place et en ma considération, sera venu, il vous apprendra toutes choses. Il vous rappellera tout ce que je vous ai dit, et tout ce que j'ai encore à vous dire. Il vous instruira de ce qu'il est nécessaire que vous sachiez pour votre salut, pour votre perfection, et pour l'accomplissement de votre ministère ; et il vous enseignera sur tous ces points beaucoup de choses que vous ne sauriez maintenant comprendre. De plus, il vous remettra dans la mémoire tout ce que vous aurez entendu, ou lu, ou appris de ma doctrine ; il vous le répétera secrètement quand l'occasion le demandera, afin que, ni par ignorance, ni par oubli, vous ne manquiez à aucune des obligations de votre emploi. Au reste, cet enseignement ne sera pas aride et purement spéculatif ; il sera, au contraire, savoureux, expérimental et pratique, selon cette parole de saint Jean : L'onction divine vous enseignera toutes choses.

Ô Maître céleste, qui, sans aucun bruit de paroles, nous remplissez la mémoire des plus importantes vérités ; qui éclairez en même temps notre intelligence pour nous les faire comprendre et embrasser ; venez visiter mon âme ignorante, grossière et sujette à l'oubli. Vous êtes l'Esprit de vérité, enseignez-moi toute vérité ; bannissez de mon esprit l'erreur et le mensonge, afin que je sache tout ce que je dois savoir, et que je ne l'oublie point lorsqu'il s'agira pour moi de le mettre en pratique.

3) Le Saint-Esprit se donne aux apôtres pour leur communiquer une connaissance claire et distincte de la personne de Jésus-Christ. Ainsi éclairés intérieurement, ils devront à leur tour publier cette connaissance parmi les hommes, et confirmer à la face de l'univers le témoignage que le Messie avait rendu de lui-même pendant qu'il annonçait son Évangile dans la Judée. II fallait de plus que ces hommes encore faibles reçussent la vertu d'en haut pour s'offrir au martyre, s'il était nécessaire, comme témoins de la vérité, et pour la sceller de leur sang. Par où nous voyons que l'office de l'Esprit-Saint, lorsqu'il vient dans l'âme du juste, est de rendre témoignage du Fils de Dieu, et de faire comprendre à cette âme que Jésus est Dieu et homme ; qu'il est son Sauveur et son unique espérance ; qu'elle doit par conséquent concevoir de lui une haute idée, l'aimer de tout son cœur, l'imiter, et ne pas craindre d'entreprendre des œuvres difficiles, héroïques, parfois même miraculeuses, qui rendent un témoignage authentique de celui qui en est le principal ou l'unique auteur.

Ô mon Sauveur, envoyez-moi cet Esprit de vérité, qui procède également de vous et de votre Père, afin que l'abondance de ses lumières me découvre vos perfections infinies, m'embrase de votre divin amour, et m'aide à réaliser des œuvres qui vous fassent connaître et glorifier, vous et votre Père, de tous ceux qui apprendront ce que vous opérez par vos serviteurs.

4) Le Saint-Esprit, en descendant sur la terre, devait convaincre les hommes du dérèglement de leurs mœurs, les reprendre et les corriger de leurs vices, en leur montrant la victoire que le Sauveur du monde avait remportée contre le démon sur la croix. Le Fils de Dieu, pendant sa prédication, avait souvent adressé ces reproches aux juifs, mais inutilement. C'est pourquoi il dit à ses apôtres : Quand l'Esprit consolateur sera venu, il convaincra les hommes au sujet du péché, de la justice, et du jugement. C'est-à-dire : Il se servira de votre organe pour reprocher au monde ses crimes, et pour le convaincre qu'il fait mal de ne pas croire à ma parole, et de ne pas observer ma loi. Il le convaincra aussi par plusieurs raisons solides, et par des témoignages irrécusables, de la sainteté de ma vie et de ma doctrine. Enfin, il lui remettra devant les yeux le jugement que j'ai rendu contre le péché, en chassant le démon, en condamnant l'iniquité et en louant la justice. Ces effets, le Saint-Esprit les opère intérieurement lorsqu'il entre dans ce petit monde qu'est le cœur de l'homme. Il le reprend du mal qu'il fait, et il l'exhorte à la pratique du bien qu'il doit faire. Il lui enseigne à discerner la vertu d'avec le vice, Jésus-Christ d'avec Bélial, afin qu'embrassant la vertu, il s'attache à Jésus-Christ, et que, détestant le vice, il renonce au démon.

Ô Esprit-Saint, venez dans mon âme qui est en abrégé tout un monde ; convainquez-la de sa malice et de votre sainteté ; apprenez-lui à juger sainement des choses : car vous ne vous montrez pas moins son Consolateur et son Père, en la reprenant charitablement de ses fautes, qu'en la remplissant de vos douceurs.

III. — De l'excellence du don que nous font le Père et le Fils.

Considérons, en troisième lieu, la grandeur infinie du don que Dieu nous accorde en nous donnant le Saint-Esprit. Il est appelé par excellence le Don du Très-Haut, parce qu'il est en effet le premier de tous les dons, et le principe de toutes les grâces. Dieu, ce semble, ne croit pas faire assez en notre faveur en nous donnant, avec sa grâce, la charité, les vertus infuses et les sept dons du Saint-Esprit, il veut encore y ajouter l'auteur de ces dons et de ces vertus, afin que, par sa présence, il nous conserve, nous protège, nous gouverne, nous sanctifie, et nous conduise à la plus haute perfection : comme le possesseur d'une fontaine, qui, non content d'y laisser puiser de l'eau, donnerait la source même. Pour exprimer cette vérité, le Sauveur, parlant de l'Esprit que les fidèles devaient recevoir, dit un jour qu'il sortirait de leur sein des fleuves d'eau vives ; et afin que l'on sût que ces fleuves ne cesseraient jamais de couler, il assura une autre fois qu'ils deviendraient, dans l'âme de chaque juste, une source dont les eaux. rejailliraient jusque dans la vie éternelle.

Ô divin Esprit, fleuve très pur d'une eau vive et claire comme le cristal, qui sortez du trône de Dieu et de l'Agneau, qui arrosez la Jérusalem céleste, qui donnez une éternelle fécondité à l'arbre de vie pain produire de nouveaux fruits, et qui communiquez à ses feuilles mêmes la vertu de guérir les nations, venez dans mon âme, arrosez-la de vos grâces, produisez en elle vos douze fruits : la charité, la joie, la paix, la patience, la douceur, la bonté, la longanimité, la mansuétude, la foi, la modestie, la tempérance, la chasteté. Et afin que ces fruits ne se flétrissent et ne se dessèchent point, demeurez toujours avec moi pour les conserver dans leur fraîcheur, pour les conduire à une entière maturité et les rendre dignes d'être transplantés dans vos jardins éternels.

La considération de la grandeur et de l'excellence de ce don divin doit nous inspirer une ferme confiance que Dieu nous accordera tout ce que nous lui demanderons. En effet, qui nous donne le plus ne nous refusera pas le moins. Celui, dit saint Paul, qui nous a livré son propre Fils, ne nous a-t-il pas donné toutes choses avec lui ? De même nous pouvons dire : Celui qui nous a donné son Saint-Esprit ne nous donnera-t-il pas infailliblement tous les biens qui en procèdent, pourvu que nous les demandions par un mouvement de ce même Esprit, et par les mérites du Fils, qui le répand dans nos cœurs ? À une confiance si bien fondée, joignons un désir ardent que le Saint-Esprit produise au-dedans de nous douze fruits. Nous examinerons en quoi ils consistent chacun en particulier, et nous ferons de l'un et de l'autre une demande spéciale. Commençons par la charité, et disons : Ô divin Esprit qui êtes la charité même, en sorte que celui qui demeure dans la charité demeure en vous, et vous en lui ; communiquez-moi cette vertu, afin que je vous aime de toute mon âme, et que je fasse des actes nombreux qui soient animés de votre amour. Demandons-lui de la même manière ses autres fruits et ses sept dons.

IV. — A qui est donné le Saint-Esprit.

Examinons, en quatrième lieu, à qui le Saint-Esprit est donné. Cette considération nous découvrira l'excès de la libéralité divine. C'est assurément la preuve d'une étonnante bonté de faire un don de cette nature à des pécheurs pauvres, timides et ignorants, et à une multitude d'autres hommes moins dignes encore de le recevoir ; mais ce qui est surtout admirable, c'est que Dieu daigne l'offrir à toutes les nations, à tous les peuples du monde, aux Juifs, aux Gentils, aux Barbares, sans excepter un seul homme ; quelque vil et méprisable qu'il soit, quelque pécheur qu'il ait été, pourvu qu'il veuille se disposer à recevoir une si incompréhensible faveur. Car Dieu, dit l'apôtre saint Pierre, ne fait point acception des personnes ; mais, en toute nation, celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable. C'est pourquoi il lui donnera son Esprit, comme il l'a donné à plusieurs de ceux qui avaient trempé leurs mains dans le sang de son Fils unique, et à une infinité d'idolâtres qui rendaient à des serpents et à d'autres animaux un culte et un honneur qui n'étaient dus qu'à lui seul. Ainsi changera-t-il les cavernes des lions et des dragons, les demeures de Satan, en des temples du Dieu vivant, où son Esprit reposera avec tous ses dons, pour accomplir ce qu'il a promis par la bouche du prophète Joël : Je répandrai mon Esprit sur toute chair.

— Ô bonté immense ! ô libéralité infinie du Père des miséricordes, qui répand avec tant de profusion un Esprit aussi pur que le sien dans des vases immondes comme nos cœurs ! N'est-ce pas vous, Seigneur, qui avez dit autrefois : Mon Esprit ne demeurera point dans l'homme, parce qu'il est chair ? Comment donc pouvez-vous dire aujourd'hui que vous répandrez votre Esprit sur toute chair ? Si vous ne parliez que de la chair de votre Fils, qui est toute sainte et unie inséparablement à sa divine personne, il serait tout à fait convenable que vous répandissiez votre Esprit sur elle ; car un tel Esprit est en parfait accord avec une telle chair. Mais vous nous déclarez que vous voulez le répandre sur toute chair, c'est-à-dire sur cette chair criminelle qui fait sans cesse la guerre à l'Esprit. Comment pourrez-vous unir un Esprit si dégagé de la matière avec une chair toute terrestre ? Ô amour ineffable ! Ô libéralité incompréhensible ! Dieu sans doute ne veut pas donner son Esprit à celui qui n'est que chair, et qui prétend vivre selon la loi de la chair toujours opposée à la loi de l'Esprit ; mais il consent à se donner à celui qui, encore charnel, déplore ses longs égarements et désire changer de vie, afin que la venue de cet hôte divin dans une chair corrompue et morte par le péché, la ranime et la fasse vivre d'une vie toute spirituelle.

Je vous rends grâces, ô mon Dieu, de l'amour que vous témoignez à l'homme pécheur, en accordant un don si précieux à une créature si abjecte, et en unissant votre divin Esprit à notre chair misérable. Si vous voulez faire briller d'un vif éclat votre immense miséricorde, voici devant vous un homme qui n'est que chair, mais qui désire être vivifié et renouvelé par votre Esprit. Donnez-moi, Seigneur, cet Esprit de sainteté, et mon âme vous bénira éternellement de la grâce que vous aurez faite au pécheur le plus indigne de la recevoir.

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Méditation pour le 2e mystère glorieux

ImprimerMéditation sur le 2e mystère glorieux
Tirée de La bonne mort ou considérations sur les vérités éternelles
de saint Alphonse de Liguori, docteur de l’Église

Nota : Le deuxième mystère glorieux a pour fruit : le désir du Ciel. C’est pourquoi, en ce premier samedi du mois, il est proposé de méditer sur le désir du Ciel.

Le désir du Ciel
(29e considération)

Efforçons-nous, tant que nous sommes ici-bas, de supporter avec patience les misères de cette vie ; offrons-les à Dieu, en les unissant aux peines que Jésus-Christ endura pour notre amour, et soutenons notre courage par l'espérance du Paradis. Elles finiront un jour toutes ces angoisses, ces douleurs, ces persécutions, ces craintes ; et, après avoir servi à notre salut, elles serviront à notre joie et à notre félicité dans le royaume des Bienheureux. Votre tristesse, dit Jésus-Christ pour nous inspirer du courage, votre tristesse se changera en joie (Jean, XVI, 20). Essayons donc aujourd'hui de comprendre un peu ce qu'est le ciel.

PREMIER POINT

Les délices du Paradis dépassent toutes nos idées
Entrée d'une âme dans le bienheureux séjour

Mais que dire du ciel, puisque, parmi les Saints, ceux mêmes qui furent favorisés des plus hautes lumières n'ont pu nous donner une idée des délices que Dieu réserve à ses serviteurs ?

Tout ce que David a pu dire, c'est que le ciel lui paraissait un bien infiniment désirable : Que vos tabernacles sont aimables, ô Dieu des vertus (Ps. LXXXIII, 2) ! Mais vous du moins, grand Apôtre, vous qui avez eu le bonheur d'être ravi dans le ciel, et d'en contempler la beauté, dites-nous quelque chose de ce vous avez vu. Non, répond l'Apôtre, ce que j'ai vu, il ne m'est pas possible de le faire entendre. Elles sont si grandes les délices du Paradis ; ce sont des choses si mystérieuses que personne ne peut les expliquer (II Cor., XII, 4), à moins d'en jouir. Voici, ajoute l'Apôtre, tout ce que je puis vous en dire : L'œil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, il n'est point monté dans le cœur de l'homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (I Cor., II, 9). Non, personne ici-bas n'a vu, personne n'a entendu, personne ne s'est imaginé quelles beautés, quelles harmonies, quelles félicités Dieu tient en réserve pour ses fidèles serviteurs. Nous ne pouvons pas parvenir maintenant à comprendre tous les biens du Paradis, et cela par la raison que nous n'avons ici-bas que l'idée des biens de ce monde. Si de vils animaux, des chevaux par exemple, doués pour un instant d'intelligence, apprenaient que leur maître, à l'occasion de ses noces, prépare un grand festin, ils ne s'imagineraient pas qu'on dût présenter aux convives autre choses, sinon de la paille, de l'avoine et de l'orge aussi bonnes que possible ; car les chevaux n'ont l'idée d'aucune autre nourriture. Ainsi raisonnent les hommes à l'égard des biens du Paradis.

Il fait beau s'arrêter, pendant une nuit d'été, à regarder le ciel parsemé d'étoiles ; il est délicieux, au printemps, de se trouver sur le bord de la mer et de considérer, à travers ses eaux tranquilles, les rochers couverts de verdure et les poissons qui prennent leurs ébats ; on est ravi de contempler un jardin où abondent les fruits et les fleurs, où jaillissent partout de rafraîchissantes fontaines, où voltigent et chantent à l'envi toutes sortes d'oiseaux ! Quel paradis, s'écrie-t-on ! Eh quoi ! cela le paradis, le ciel ! Ah ! qu'il y a loin de là aux biens du Paradis ! Pour entrevoir un peu ,ce qu'est le ciel ; il faut se représenter un Dieu tout-puissant, occupé à combler de délices les âmes qui lui sont chères. Voulez-vous savoir ce qu'il y a dans le ciel ? dit saint Bernard. Eh bien ! dans le ciel « il n'y a rien de ce qui déplaît et il y a tout ce qui plaît ».

Ô Dieu, quels sentiments éprouve une âme à son entrée dans ce bienheureux royaume ! Représentons-nous cette jeune personne, ce jeune homme, parvenus au terme d'une existence qu'ils ont consacré à l'amour ,de Jésus-Christ. La mort arrive ; l'âme quitte cette terre et elle se présente au tribunal de, Dieu, son juge l'embrasse et lui déclare qu'elle est sauvée. L'Ange Gardien s'empresse de venir lui adresser ses félicitations ; elle-même remercié des services qu'il lui a rendus ; puis il s'écrie : Allons, réjouissons-nous, âme chérie ; vous voilà sauvée ; venez contempler la face de votre Seigneur.

Mais déjà l'âme plane par-dessus nuées, les sphères, les étoiles, et voici qu'elle entre dans le Ciel. Ô Dieu ! que dira-t-elle : en touchant pour la première fois le seuil de la bienheureuse patrie et en jetant son premier regard sur cette cité de délices ! Les Anges et les Saints viendront à sa rencontre avec des transports de joie pour lui souhaiter la bienvenue. Quelle consolation de trouver parmi eux ses parents, ses amis entrés avant elle au Paradis ! Quelle joie aussi de voir tous ses saints Patrons ! Volontiers elle fléchirait le genou devant eux pour les vénérer. Mais, lui diront les Saints , gardez-vous de le faire, car nous ne sommes comme vous que des serviteurs (Apoc., XXII, 9).

Ensuite, on la conduit baiser les pieds de Marie, la Reine du ciel. Quelle tendresse n'éprouve pas l'âme quand ses yeux se fixent pour la première fois sur cette divine Mère, qui l'aida si puissamment à se sauver ! Alors en effet elle connaît toutes les grâces dont elle fut redevable à l'intercession de Marie. Et après lui avoir donné un baiser plein d'amour, la Reine du ciel elle-même la conduit vers Jésus. Jésus la reçoit comme son épouse. Venez du Liban, lui dit-il, venez, mon épouse, et soyez couronnée (Cant., IV, 8). Réjouissez-vous, ô mon épouse ; les larmes, les craintes sont passées ; recevez la couronne éternelle que je vous ai acquise au prix de mon sang. Enfin Jésus-Christ la présente lui-même à son Père céleste pour qu'il la bénisse. Et Dieu la bénit ; en l'embrassant, avec amour : Entrez, lui dit-il, dans la joie de votre Seigneur (Mat., XXV, 21), et il la rend heureuse de son propre bonheur.

AFFECTIONS ET PRIÈRES

Voici à vos pieds, ô mon Dieu ! un ingrat que vous avez créé pour le ciel, mais qui tant de fois et avec tant d'audace y renonça pour de misérables plaisirs et qui s'est ainsi, de gaieté de cœur, condamné à l'enfer. Mais déjà, j'en ai la confiance, vous m'avez pardonné toutes les injures que je vous ai faites. C'est toujours avec une nouvelle douleur que je me repens et que je veux m'en repenti jusqu'à ma mort ; et vous, je veux que toujours aussi vous m'en accordiez de nouveau le pardon.

Et pourtant, ô mon Dieu, bien que vous m'ayez déjà pardonné, toujours il sera vrai que j'ai eu le cœur de vous affliger, vous mon Rédempteur, qui, pour me donner une place dans votre royaume, avez donné votre vie. Mais que votre miséricorde soit éternellement louée et bénie, ô mon Jésus, de m'avoir supporté avec une si grande patience d'avoir multiplié à mon égard non pas les châtiments, mais les grâces, les lumières, les appels ! Je le vois, mon bien-aimé Rédempteur, vous voulez véritablement que je me sauve ; vous voulez que j'aille dans votre royaume vous aimer éternellement ; mais vous voulez que d'abord je vous aime ici-bas. Oh ! oui, je veux vous aimer.

Quand bien même il n'y aurait pas de paradis, je n'en veux pas moins, tant que je vivrai, vous aimer de toute mon âme, de toutes mes forces. Il me suffit de savoir que vous, ô mon Dieu, vous désirez que je vous aime. Ô mon Jésus, aidez-moi de votre grâce et ne m'abandonnez pas. Mon âme est immortelle : je suis donc dans l'alternative de vous aimer ou de vous haïr à jamais. Ah ! je veux éternellement vous aimer et je veux vous aimer beaucoup en cette vie pour vous aimer beaucoup dans l'autre. Disposez de moi comme il vous plaît ; punissez-moi maintenant, comme vous le voulez ; pourvu que vous ne me priviez pas de votre amour, faites de moi tout ce qu'il vous plaît. Ô mon Jésus, vos mérites sont mon espérance.

Ô Marie, je me confie entièrement en votre intercession. Vous, m'avez délivré de l'enfer, quand j'étais dans le péché ; maintenant que je veux servir Dieu, c'est à vous de me faire arriver au salut et à la sainteté.

DEUXIÈME POINT

Au ciel plus de souffrances ; réunions de tous les biens

Voilà donc l'âme entrée dans la béatitude de Dieu. Désormais, elle est à l'abri de tout, souffrance. « Car, dit saint Bernard, dans le ciel il n'y a rien qui déplaise. » Dieu essuiera toute larme de leurs yeux, et il n'y aura plus de mort, plus de deuil, plus de cris, plus de douleur ; car le premier état est passé. Alors, celui qui était assis sur le trône dit : Voici que je vais faire toutes choses nouvelles (Apoc., XXI, 4).

Dans le ciel, il n'y a plus ni maladies, ni pauvreté, ni incommodités ; on n'y connaît plus toutes ces vicissitudes, de jours et de nuits, de froid et de chaleur ; il y règne un jour d'une inaltérable, sérénité et un printemps toujours également délicieux. Là, plus de persécutions, ni de jalousies ; dans ce royaume de l'amour, tous s'aiment tendrement et chacun se réjouit du bonheur des autres comme de son propre bonheur. Là, plus de crainte parce que l'âme, confirmée en grâce, ne peut plus pécher ni perdre son. Dieu.

Voici que je vais faire toutes choses nouvelles. Tout y est nouveau et tout y est de nature à réjouir et à consoler les bienheureux. « Il y a là, dit saint Bernard, tout ce qui plaît. »

Dans le ciel, la vue jouira du ravissant spectacle que présente la cité d'une beauté parfaite (Thren., II, 15). Quel charme on éprouverait à parcourir une ville dont le cristal formerait le pavé et dont les palais, tous d'argent, seraient, garnis de lambris d'or et ornés de guirlandes de fleurs. Plus belle, beaucoup plus belle est la cité céleste ! Quelle joie encore de voir tous les élus, décorés des insignes de la royauté ; tous en effet sont rois, comme dit saint Augustin : « autant de citoyens, autant de rois. » Et que sera-ce donc de voir Marie, plus belle à elle seule que tout le Paradis ! Que sera-ce surtout de voir l'Agneau divin, Jésus, l'époux des âmes, puisqu'une de ses mains, à peine entrevue, suffit pour ravir d'admiration l'âme de sainte Thérèse ?

Pour la satisfaction de l'odorat, quels parfums que les parfums du paradis ! Et pour l'ouïe, quelles harmonies que les harmonies célestes ! Si saint François d'Assise pensa mourir de joie un jour qu'un Ange lui fit entendre une seule note sur un instrument de musique, quelle joie ce sera d'entendre tous les Saints et tous les Anges chanter en chœur les louanges de Dieu ! Ils vous loueront, Seigneur, s'écrie le Psalmiste, dans toute la durée des siècles (Ps. LXXXIII, 5). Et surtout quelle joie d'entendre Marie exalter la gloire de Dieu ! « La voix de Marie est dans le ciel, dit saint François de Sales, ce qu'est dans une forêt la voix du rossignol dont le chant surpasse celui de tous les autres oiseaux. » Bref, là sont réunies toutes les jouissances qu'on peut désirer.

Mais la réunion de toutes ces délices ne constitue que la moindre partie du ciel. Ce qui fait vraiment le ciel, c'est le souverain Bien, c'est Dieu lui-même. Deux syllabes nous suffisent, dit saint Augustin, pour exprimer tout ce que nous attendons : Deus, Dieu ! (In I. Jo, tr. 4). Au-dessus de ces beautés, de ces harmonies et de tous les autres délices que le Seigneur promet de nous donner en récompense, la principale béatitude de la cité céleste, c'est Dieu, c'est de voir et d'aimer Dieu face à face. Moi-même, dit le Seigneur au patriarche Abraham, je serai ta récompense infiniment grande (Gen., xv, 1). Saint Augustin assure que, si Dieu se faisait seulement voir aux damnés, l'enfer serait converti sur-le-champ en un délicieux paradis (De tripl. habit., c. 4). Il ajoute que si une âme, au sortir de cette vie, avait le choix ou bien d'être en enfer, mais de telle sorte qu'elle y verrait Dieu, ou bien d'être préservée de l'enfer, mais sans voir Dieu, elle choisirait les peines de l'enfer avec la vision de Dieu.

Impossible que nous comprenions en cette vie quelle joie c'est de voir et d'aimer Dieu face à face. Toutefois, nous pouvons nous en former quelque idée par ce que nous savons de l'amour divin. Et de fait, tel est son charme que, même ici-bas, il a parfois soulevé de terre non seulement l'âme, mais même le corps des Saints. Saint Philippe de Néri s'éleva un jour en l'air avec le siège auquel il avait voulu se retenir. On vit une fois saint Pierre d'Alcantara se soulever de terre avec l'arbre qu'il tenait embrassé et qui fut déraciné. Sachons en outre que les saints martyrs, au milieu de leurs supplices, tressaillaient de joie, enivrés qu'ils étaient des douceurs de l'amour divin. Au plus fort de ses tourments, saint Vincent parlait avec une telle liberté d'esprit qu'il semblait, remarque saint Augustin, « qu'un autre souffrit et qu'un autre parlât » (Serm. 275, E.). Saint Laurent, étendu sur son gril ardent, insultait, au bourreau. « Tourne-moi, lui disait-il, et mange. » Ainsi, remarque encore saint Augustin, Laurent ne sent pas même les ardeurs de la flamme ; car il est embrasé d'un autre feu, du feu de l'amour divin (Serin. 206, app., E. B.).

Ici-bas, quelle consolation ne goûte pas le pauvre pécheur, rien qu'à pleurer ses péchés ! « Ah ! Seigneur, disait saint Bernard, s'il est si doux de pleurer à cause de vous, que sera-ce donc de jouir de vous ? » (Scat. claustr., c. 6). Quelle suavité n'éprouve pas une âme, lorsque, éclairée d'un rayon de la lumière divine, elle découvre dans l'oraison la bonté de Dieu, ses miséricordes envers elle, l'amour que lui a porté et que lui porte toujours Jésus-Christ ! L'âme alors se sent toute consumée et défaillante d'amour. Et pourtant, en cette vie, nous ne voyons pas Dieu clairement et comme Il est. Nous voyons maintenant, dit saint Paul, à travers un miroir, en énigme ; mais alors nous verrons face à face (I Cor., XIII, 12). Pour le moment, nous avons un bandeau devant les yeux ; et Dieu de son côté, se dérobant derrière le voile de la foi, ne se montre pas à nos regards. Mais que sera-ce quand le bandeau tombera de nos yeux et que, le voile disparaissant, nous verrons Dieu face à face. ? Alors nous admirons combien Dieu est beau, combien il est grand, combien il est juste, combien il est parfait, combien il est aimable et combien il nous aime.

AFFECTIONS ET PRIÈRES

Malheureux que je suis ! Je vous ai abandonné, ô mon souverain Bien, et j'ai renoncé à votre amour. Je méritais donc de ne jamais vous voir et de ne jamais vous aimer. Mais vous, ô mon Jésus, vous avez eu pitié de moi, au point que, n'ayant aucune pitié de vous-même, vous vous êtes condamné à mourir de douleur et dans un océan d'ignominies sur un infâme gibet. Votre mort me fait donc espérer qu'un jour j'aurai la joie de contempler votre face et que, dès lors, je vous aimerai de toutes mes forces.

Mais maintenant que je suis en danger de vous perdre pour toujours, maintenant que je sais vous avoir déjà perdu par mes péchés, que ferai-je pendant le temps qu'il me reste à vivre ? Continuerai-je donc à vous offenser ? Non, ô mon Jésus : je déteste autant que je le peux les offenses dont je me suis rendu coupable envers vous. Grande, aussi grande que possible est ma douleur de vous avoir outragé, et c'est de tout mon cœur que je vous aime. Repousserez-vous une âme qui se repent et qui vous aime ? Non ; car, ô mon bien-aimé Rédempteur, je sais que vous avez dit : Celui qui vient plein de repentir se jeter à mes pieds, je ne le rejetterai pas (Jo., VI, 37). Mon Jésus, je quitte tout et je reviens à vous ; je me jette dans vos bras et je vous presse sur mon cœur : à votre tour, ouvrez-moi vos bras et recevez-moi sur votre cœur. J'ose tenir ce langage, parce que je parle et que je m'adresse à une Bonté infinie ; je m'adresse à un Dieu, qui mit son bonheur à mourir par amour pour moi. Ô mon bien-aimé Sauveur, donnez-moi la persévérance dans votre amour.

Ô ma bien-aimée mère Marie, au nom du grand amour que vous portez à Jésus-Christ, obtenez-moi cette grâce de la persévérance. Ainsi j'espère ; ainsi soit-il.

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Méditation pour le 1er mystère glorieux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.Imprimer

DE L'APPARITION DE NOTRE-SEIGNEUR À MARIE-MADELEINE

Les saintes femmes, après avoir rempli auprès des apôtres le message des anges, retournèrent ensemble au sépulcre. C'est alors que le Sauveur, comme le dit saint Marc, apparut premièrement à Marie-Madeleine, de laquelle il avait chassé sept démons.

I. — Bonté de Jésus envers les pécheurs repentants qui se signalent à son service

1) Considérons comment la charité infinie de Jésus-Christ se plaît à honorer les pécheurs convertis. Il veut que le premier témoin oculaire de sa résurrection soit une femme qui avait été la demeure de sept démons, et des sept péchés capitaux, auxquels ne cessent de nous porter ces malins esprits, ennemis mortels de notre salut. Nous apprenons par-là que, ni le nombre, ni l'énormité des péchés passés ne peuvent nuire à celui qui s'efforce de les réparer par sa ferveur présente.

2) Nous voyons aussi que celui qui se montre le premier au service de Jésus-Christ sera le premier à recevoir les marques de son affection. Si donc nous le servons avec un zèle et une intelligence particulière, nous aurons une part spéciale à ses caresses et à ses bienfaits. C'est ce qui arriva à Marie-Madeleine. Depuis sa pénitence, elle s'était distinguée par son attachement au service et à la personne du Sauveur, et lui avait donné des preuves toutes singulières de son amour. Elle seule lui avait lavé les pieds de ses larmes, les avait parfumés d'une huile odoriférante, les avait essuyés de ses cheveux. Elle s'était tenue assise à ses pieds pour écouter sa parole ; elle l'avait accompagné sur le Calvaire ; elle s'était levée de grand matin pour aller embaumer son corps déposé dans le tombeau, et elle avait montré dans toutes ces circonstances plus d'empressement et d'activité que le reste de ses compagnes. Aussi mérita-t-elle de le voir la première, et de participer aux premières joies de sa résurrection en récompense de sa ferveur, ainsi que nous le verrons dans les points suivants.

II. — Marie-Madeleine et les anges au tombeau

Marie-Madeleine était debout près du sépulcre, fondant en larmes. Pendant qu'elle pleurait, elle se baissa, et regarda dans le sépulcre. Elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à l'endroit où le corps de Jésus avait été déposé, l'un à la tête, l'autre aux pieds. Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleurez-vous ? Elle leur répondit : Parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur ; et je ne sais où ils l'ont mis.

1) Considérons l'extrême ferveur de Marie-Madeleine dans l'impatience où elle est de voir le corps de Jésus. Ce désir, non exempt de trouble et d'inquiétude, marque, il est vrai, une foi bien affaiblie au mystère de la Résurrection ; cependant il ne laisse pas d'être agréable au Sauveur, parce qu'il procède d'un amour ardent, et que le motif en est saint.

De cette impatience naît l'application qu'elle apporte à chercher le corps de son Bien-Aimé. Elle ne s'assied pas près du tombeau ; elle se tient debout, dans la posture la plus favorable pour chercher aisément. Elle le cherche en effet ; elle s'incline et se relève, elle regarde à plusieurs reprises de tous les côtés, pour voir si elle ne trouvera pas la seconde fois ce qu'elle n'a pas trouvé la première. C'est ainsi que celui qui aime Dieu ne cesse de répéter les mêmes prières, et de réitérer les mêmes diligences pour le trouver.

Les compagnes de Marie-Madeleine quittent le tombeau après avoir entendu les paroles des anges ; elles ne désirent rien de plus. Les apôtres saint Pierre et saint Jean s'en retournent à Jérusalem après avoir vu les linceuls et le suaire, et s'être assurés que le sépulcre est vide. Pour Madeleine, elle demeure seule avec une persévérance que rien ne peut lasser. Elle semble dire : C'est ici que j'ai perdu mon unique bien, c'est ici que je le chercherai ; c'est en ce lieu qu'il faut que je le trouve ou que je meure.

Enfin, elle manifeste l'ardeur excessive de son amour par les larmes qu'elle répand en abondance, et que la vue des anges, resplendissants de lumière, ne peut tarir. Quelle consolation peut trouver dans la vue des créatures une âme dont le seul désir est de contempler le Créateur !

Nous devons imiter Marie-Madeleine en ces quatre points. Comme elle, cherchons Dieu avec une volonté ferme, efficace, persévérante et affectueuse, sans nous arrêter aux consolations vaines et aux douceurs passagères des créatures. Allons droit au Créateur, et n’ayons point de repos que nous ne l’ayons trouvé, et que nous ne puissions répéter ce que le Roi-prophète disait à un autre propos : Je n'entrerai point dans le secret de ma maison ; je n'étendrai point sur ma couche mes membres fatigués ; je ne permettrai pas à mes yeux de dormir, ni à mes paupières de sommeiller, jusqu'à ce que j'aie découvert le lieu où est mon Seigneur, le tabernacle où habite le Dieu d'Israël. C'est là qu’il faut entrer, là qu’il faut fixer sa demeure et qu’il faut vouloir vivre éternellement en sa compagnie. Imitons de même la ferveur de l'Épouse des Cantiques. Elle cherche son Bien-Aimé dans les rues et sur les places de la ville, sans s'inquiéter des gardes qu'elle rencontre, et sans se reposer un moment. C'est de ceux qui cherchent de la sorte que Jésus-Christ a dit : Celui qui cherche, trouve.

2) Considérons pourquoi Marie-Madeleine verse tant de larmes. Elle le déclara elle-même aux anges, lorsqu'elle leur dit : Je pleure parce qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et que je ne sais où ils l'ont mis. Elle veut dire : Pensez-vous que je n'aie pas raison de pleurer ? Ils m'ont enlevé mon Seigneur qui était tout mon trésor ; et je ne sais qui l'a enlevé, ni en quel lieu on l'a mis. Auparavant, je pleurais sa mort mais je n'étais pas inconsolable, parce que j'avais son corps. Maintenant que l'on m'a ôté l'unique consolation qui me restait, comment pourrais-je arrêter mes pleurs ?

Remarquons que l'on peut pleurer justement surtout en deux circonstances.

La première, lorsque nos péchés ont banni Dieu de notre cœur, et qu'ils nous ont privés de sa grâce. Les larmes que nous versons alors sont comme celles que Madeleine répandit aux pieds de Jésus, lorsqu'il la délivra de sept démons, et qu'il lui remit toutes ses iniquités.

La seconde, lorsque Dieu s'éloigne de nous sans que nous le sachions, et que son absence nous laisse dans des ténèbres si épaisses et dans une telle sécheresse spirituelle, que nous ne savons ni comment ni où nous devons le chercher. Cette autre sorte de larmes est de la nature de celles que Marie répand aujourd'hui en cherchant son Maître et son Rédempteur. Les unes et les autres sont pour nous des gages assurés que nous retrouverons enfin notre Dieu et Seigneur, si nous persévérons à le chercher avec les sentiments qui animaient le prophète royal, lorsqu'il disait : Mes larmes sont jour et nuit ma nourriture, pendant qu'on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ?

III. — Jésus apparaît à Marie-Madeleine sous la forme d'un jardinier

Jésus a compassion de Madeleine et s'empresse de venir sécher ses larmes. Il veut accomplir en elle ce qu'il a dit autrefois : Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. Toutefois, il ne se découvre pleinement que peu à peu, pour son plus grand bien.

1) Il lui apparaît, non en se présentant devant ses yeux, mais en se tenant derrière elle, et en faisant du bruit pour qu'elle se retourne et qu'elle le voie. Elle se retourna, dit saint Jean, et elle vit Jésus debout. Le Sauveur nous apprend par-là de quelle manière il cherche une âme qui, pour parler ainsi, lui tourne les épaules, ne fait aucune attention à sa présence, et, faute de le reconnaître, ne lui rend pas l'honneur qu'elle lui doit. C'est à elle qu'il dit par la bouche d'Isaïe : Vos oreilles entendront sa parole, lorsqu'il criera derrière vous : Voici le chemin, suivez-le. Ces cris sont les inspirations, les touches intérieures par lesquelles Dieu invite ceux qui le fuient à se retourner vers lui, afin que lui-même les regarde, et que, par une tendre compassion, il dise à chacun d'eux : Reviens, reviens, ô Sulamite ; reviens, reviens, afin que nous te contemplions. Il lui dit quatre fois de revenir, pour montrer le désir qu'il a que nous retournions à lui une bonne fois, c'est-à-dire, de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, de toutes nos forces, remplissant ainsi les quatre conditions du précepte de l'amour.

2) Le Sauveur se fait voir à Marie-Madeleine, mais sous une forme étrangère, parce que son peu de foi la rend indigne de le voir tel qu'il est. Aussi ne le reconnaît-elle pas. De même, quoique Dieu soit présent partout, et que le Verbe incarné réside véritablement dans nos tabernacles, notre foi affaiblie et presque éteinte nous rend comme insensibles à la présence du Seigneur du ciel et de la terre, qui habite parmi nous. C'est pour cette raison que Jésus-Christ prend aujourd'hui la forme d'un jardinier. Il nous apprend ainsi quel besoin ont les imparfaits d'être cultivés de ses, mains. Leurs âmes sont comme des jardins en friche. Il faut qu'il en arrache les mauvaises herbes, c'est-à-dire les imperfections et les vices, et qu'il y fasse fleurir les vertus.

3) Madeleine s'étant donc tournée vers Jésus-Christ, il lui dit, en contrefaisant sa voix : Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? Sur ces paroles, il faut observer que quand Dieu fait de telles questions en des cas semblables, feignant de ne pas savoir ce qu'il ne peut pas ignorer, c'est de sa part un signe de mécontentement. Il faut qu'il y ait là quelque chose qu'il ne connaît pas en effet par la science que l'on nomme d'approbation.

Ainsi, quand Marie-Madeleine pleurait à ses pieds, et qu'elle les arrosait de ses larmes, Jésus ne lui demanda pas : Pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? Parce que les pleurs qu'elle répandait alors venaient d'une profonde connaissance de ses péchés, d'une foi vive et d'un ardent amour pour son divin Maître, qui voyait et approuvait ce qu'elle faisait. Mais aujourd'hui que ses larmes ont leur source dans son manque de foi, et que par suite de son ignorance, elle pleure comme mort celui qui est rendu à la vie, et qu'elle cherche parmi les morts celui qui est ressuscité, il lui dit avec raison : Pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? Ce qui signifie : Savez-vous bien pourquoi vous pleurez, et qui vous cherchez ? Sans aucun doute, vous ne le savez pas. Car si vous le saviez, vous n'auriez garde de pleurer comme mort, et de chercher comme absent, celui qui est devant vous.

Le Sauveur nous donne par ces paroles une importante leçon. Il veut que nous examinions attentivement, quand nous pleurons, la cause de notre tristesse et de nos larmes ; il veut que nous nous rendions compte de ce que nous cherchons et de ce que nous nous proposons dans son service : de peur qu'il ne se mêle à nos intentions quelque chose qui soit contraire à sa volonté, ou préjudiciable à notre perfection. Car souvent je m'imagine pleurer mes péchés, tandis que je pleure le dommage temporel qu'ils m'ont causé. Je pense pleurer par un pur désir de quitter la terre et de voir Dieu ; et ce n'est que par l'impatience d'être délivré des peines de cette vie. Il m'arrive encore, quand je crois chercher Dieu et sa seule gloire, de me chercher moi-même, mon honneur, ou mon propre intérêt. Si parfois je cherche le Seigneur avec sincérité, c'est toujours d'une manière lâche et bien imparfaite. Il a donc sujet de me dire : Pourquoi pleures-tu, et qui cherches-tu ?

IV. — Marie-Madeleine répond à Jésus sans le reconnaître

Madeleine, croyant que c'était le jardinier, lui dit : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai.

Ces paroles de Marie-Madeleine montrent bien l'ardeur extrême de son amour. Rien ne peut l'empêcher de poursuivre son dessein ; elle trouve des forces dans sa faiblesse, et s'offre à faire ce qui est au-dessus de son pouvoir. Dans ce saint transport, nous voyons tracées au vif les propriétés de l'amour que les auteurs spirituels appellent unitif et violent.

1) L'amour unitif s'empare tellement du cœur et de la langue de celui qui aime, qu'il est tout hors de lui. Il pense continuellement à l'objet de son amour ; il s'imagine que tous y pensent comme lui ; il en parle sans cesse, et il croit que tout le monde entend son langage. De là vient que Madeleine ne dit pas : Si vous avez enlevé le corps de mon Maître ; mais seulement : Si vous l'avez enlevé ; ne doutant point que le jardinier ne dût comprendre sa pensée, et savoir de qui elle parlait : tant elle avait l'esprit occupé de son Bien-aimé. Je reconnaîtrai à ce signe si je suis moi-même comme transporté de l'amour de mon Dieu. Car, c'est la parole du Sauveur : Où est ton trésor, là aussi est ton cœur ; là, par conséquent, ta langue, tes yeux, tes pieds, tes mains, toi-même tout entier : de sorte que tu ne t'appliques qu'à considérer ce trésor, à t'y attacher, à le garder et à l'augmenter.

2) Une autre propriété de l'amour unitif est de produire, en celui qui aime, un entier oubli de soi-même et de tout ce qui le touche. Il s'humilie devant tout le monde, il se soumet à qui que ce soit, sans distinction de personnes, si c'est pour lui un moyen de parvenir à ce qu'il désire. Souvent même, il lui arrive de dire ou de faire des choses qui, au jugement des hommes, sont des folies, mais qui ne sont en réalité que de saints transports et des excès de son amour. C'est ainsi que David, oubliant sa grandeur royale, dansa de toutes ses forces devant l'arche avec ses sujets. Insensible aux reproches de Michol son épouse, il lui répondit avec fermeté : Je m'humilierai, et je m'abaisserai encore davantage devant le Seigneur qui m'a choisi pour gouverner son peuple. C'est ainsi que Madeleine elle-même, embrasée d'amour, alla trouver le Sauveur qui avait été invité par Simon le pharisien, et qu'au milieu du festin, elle se jeta aux pieds de Jésus, sans se mettre en peine de ce que les conviés pourraient dire d'une action si surprenante. Aujourd'hui encore, dans un semblable transport, elle donne le nom de Seigneur à un homme qui a l'extérieur d'un jardinier, pour le gagner et l'engager à lui découvrir où est le corps de celui qu'elle souhaite si ardemment de trouver. Elle lui dit : Si vous l'avez enlevé ; ne prenant pas garde qu'il n'y a aucune apparence qu'un jardinier soit venu enlever ce corps, et le tirer du sépulcre où son maître l'avait mis.

Nous reconnaîtrons à cette seconde marque l'intensité plus ou moins grande de notre charité. Car que ne peut pas l'amour des richesses dans les avares, l'amour des honneurs dans les ambitieux, l'amour des plaisirs dans les hommes sensuels ? Il les fascine, il leur fait oublier leur dignité personnelle, et les porte à des actions que tout homme maître de lui-même condamne comme autant d'extravagances et de bassesses. On les voit en effet s'humilier jusqu'à rendre d'humbles services et témoigner de lâches déférences à des gens de rien, pour contenter leur passion. S'il en est ainsi, faut-il s'étonner qu'une âme, brûlante de l'amour divin, les imite en quelque manière, après avoir été introduite dans le caveau mystérieux des vins de l'Époux ? Sans doute, si celui qui l'a enivrée n'avait soin de régler en elle la charité, elle se laisserait emporter à des excès ; mais tout y est réglé et dans l'ordre. Il peut lui échapper une parole ou une action qui attire le blâme de ceux qui n'aiment pas comme elle ; mais c'est une véritable sagesse aux yeux de ceux qui savent ce que c'est qu'aimer.

3) La dernière propriété de l'amour fervent, c'est d'être fort dans la faiblesse. L'âme qui en est éprise s'offre, pour le, service de son Bien-Aimé, à des entreprises au-dessus de son pouvoir, mettant sa confiance, non en ses propres forces, mais en celles qu'elle attend du ciel. C'est ce qui inspire à Marie-Madeleine ce courage intrépide. Elle est prête à aller chercher le corps de son Maître en quelque endroit qu'il puisse être, sans faire attention que c'est un jour solennel ; que le soleil est déjà levé ; qu'elle n'est qu'une femme faible et délicate ; qu'un corps mort est un fardeau bien pesant ; que d'ailleurs ce corps a été crucifié, et que par conséquent c'est un objet d'abomination pour les Juifs ; enfin, qu'il a été crucifié par sentence du gouverneur, sans la permission duquel Joseph d'Arimathie n'a pas osé l'ensevelir. Tant de difficultés n'étonnent point cette généreuse amante. Elle dit décidément : Je l'emporterai, et j'irai le remettre à sa place.

Animé de ces sentiments, offrons-nous à porter sur nous le corps mort de Jésus-Christ, c'est-à-dire sa mortification. Prenons la résolution de maltraiter notre chair comme il a maltraité la sienne, mettant ainsi en pratique ce que dit l'Apôtre : Nous portons toujours dans notre corps, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, la mortification de Jésus. Et ailleurs : Souvenez-vous que vous avez été racheté bien cher ; glorifiez Dieu, et portez-le dans votre corps.

V. — Jésus se fait connaître à Marie-Madeleine

Jésus, voyant la ferveur, les larmes et les saints désirs de Marie-Madeleine, se fit connaître à elle en l'appelant par son nom. Prenant le ton naturel de sa voix, il lui dit : Marie. Elle le reconnut aussitôt, et lui répondit : Mon Maître.

1) Admirons ici la puissance de Notre-Seigneur, jointe à une douceur extrême. En vérité, il montre bien qu'il est le maître des cœurs, puisque d'un seul mot, Marie, il change celui de Madeleine, il essuie ses larmes, il la remplit d'une indicible joie, il l'éclaire d'une lumière divine, il la guérit de son infidélité, il l'embrase d'un nouveau feu, afin qu'elle aime comme le Dieu vivant celui qu'elle aimait comme un homme mort.

2) Considérons la réponse de Marie-Madeleine. Transportée d'amour, elle s'écrie : Mon Maître ! C'est ainsi qu'elle avait coutume de l'appeler. En parlant tout à l'heure aux anges, elle le nommait par respect son Seigneur ; maintenant qu'elle lui parle à lui-même, elle l'appelle d'un nom qui marque à la fois sa vénération et son amour ; et ce nom est celui de Maître, parce qu'elle avait expérimenté qu'il l'était véritablement, lorsque, prononçant ce seul mot, Marie, il lui avait rempli l'esprit de si vives lumières. C'est pour cela qu'elle se jette à ses pieds, où elle s'était si souvent assise pour écouter sa parole.

3) Enfin Jésus, voyant que Marie, prosternée à ses pieds, voulait les lui baiser, lui dit : Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père ; mais allez vers mes frères, et dites-leur : Je monte vers mon Père et votre Père ; vers mon Dieu et votre Dieu.

Examinons pourquoi le Sauveur ne permet pas à Marie-Madeleine de le toucher comme elle avait coutume de le faire autrefois. On peut en donner deux raisons.

La première est que la précipitation avec laquelle elle s'est jetée à ses pieds par une ferveur inconsidérée, marque trop de familiarité. Jésus voulut donc lui faire comprendre que désormais elle devait traiter avec plus de révérence celui qui était déjà glorieux, et sur le point de monter au ciel. En général, Dieu désire que, dans nos rapports avec lui, nous ne séparions pas le respect de l'amour.

La seconde est l'imperfection de la foi de Madeleine. Comme, pour l'en punir, il ne s'est pas fait connaître à elle tout d'un coup, mais peu à peu, en lui apparaissant d'abord sous la forme d'un jardinier et en contrefaisant sa voix, puis en lui montrant son visage au naturel et en lui parlant de son ton de voix ordinaire ; de même il ne juge pas convenable de lui faire au même moment toutes les grâces dont il veut la favoriser. Il commence par lui découvrir qui il est, afin qu'elle ait la satisfaction de savoir que c'est Jésus qui lui parle ; puis il attend que sa foi soit plus affermie, pour lui permettre de le toucher. C'est ce que signifient ces paroles : Ne me touchez pas. Elles veulent dire : Vous ne comprenez pas encore la dignité et l'excellence de mon nouvel état, et vous n'êtes pas encore bien persuadée que bientôt je dois retourner à mon Père céleste, et m'asseoir à sa droite sur le trône de sa gloire.

4) Avant de quitter Madeleine, Jésus lui confie pour ses apôtres un message qui est l'expression touchante de son amour. Il ne dédaigne pas de les appeler ses frères, pour leur faire comprendre que la gloire de sa résurrection n'a point changé ses sentiments à leur égard. Il leur témoigne, au contraire, une bienveillance plus particulière, et par le nom affectueux qu'il leur donne, et par chacune des paroles de son message. Je suis ressuscité, leur fait-il dire, et bientôt je monterai vers celui qui est mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu : mon Père par la génération éternelle, votre Père par la grâce de l'adoption ; mon Dieu par l'unité d'essence, votre Dieu par l'union de la charité.

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Méditation pour le 5e mystère douloureux

D’après La douloureuse Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ
         de la bienheureuse Anne-Catherine EmmerichImprimer

Le crucifiement

JÉSUS DÉPOUILLÉ ET ATTACHÉ À LA CROIX

Les archers ôtèrent à notre Seigneur son manteau qui enveloppait la partie supérieure du corps, la ceinture à l'aide de laquelle ils l'avaient traîné et sa propre ceinture. Ils lui enlevèrent ensuite, en la faisant passer par-dessus sa tête, sa robe de dessus en laine blanche qui était ouverte sur la poitrine, puis la longue bandelette jetée autour du cou sur les épaules ; enfin comme ils ne pouvaient pas lui tirer la tunique sans couture que sa mère lui avait faite, à cause de la couronne d'épines, ils arrachèrent violemment cette couronne de sa tête, rouvrant par-là toutes ses blessures ; puis, retroussant la tunique, ils la lui ôtèrent, avec force injures et imprécations, en la faisant passer pardessus sa tête ensanglantée et couverte de plaies.

Le fils de l'homme était là tremblant, couvert de sang, de contusions, de plaies fermées ou encore saignantes, de taches livides et de meurtrissures. Il n'avait plus que son court scapulaire de laine sur le haut du corps et un linge autour des reins. La laine du scapulaire en se desséchant s'était attachée à ses plaies et s'était surtout collée à la nouvelle et profonde blessure que le fardeau de la croix lui avait faite à l'épaule et qui lui causait une souffrance indicible. Ses bourreaux impitoyables lui arrachèrent violemment le scapulaire de la poitrine. Son corps mis à nu était horriblement enflé et sillonné de blessures ses épaules et son dos étaient déchirés jusqu'aux os dans quelques endroits la laine blanche du scapulaire était restée collée aux plaies de sa poitrine dont le sang s'était desséché. Ils lui arrachèrent alors des reins sa dernière ceinture ; resté nu, il se courbait, et se détournait tout plein de confusion ; comme il était près de s'affaisser sur lui-même, ils le firent asseoir sur une pierre, lui remirent sur la tête la couronne d'épines et lui présentèrent le second vase plein de fiel et de vinaigre, mais il détourna la tête en silence.

Au moment où les archers lui saisirent les bras dont il se servait pour recouvrir sa nudité et le redressèrent pour le coucher sur la croix, des murmures d'indignation et des cris de douleur s'élevèrent parmi ses amis, à la pensée de cette dernière ignominie. Sa mère priait avec ardeur, elle pensait à arracher son voile, à se précipiter dans l'enceinte, et à le lui donner pour s'en couvrir, mais Dieu l'avait exaucée car au même instant un homme qui, depuis la porte, s'était frayé un chemin à travers le peuple, arriva, tout hors d'haleine, se jeta au milieu des archers, et présenta un linge à Jésus qui le prit en remerciant et l'attacha autour de ses reins.

Ce bienfaiteur de son Rédempteur que Dieu envoyait à la prière de la sainte Vierge avait dans son impétuosité quelque chose d'impérieux il montra le poing aux archers en leur disant seulement « Gardez-vous d'empêcher ce pauvre homme de se couvrir », puis, sans adresser la parole à personne, il se retira aussi précipitamment qu'il était venu. C'était Jonadab, neveu de saint Joseph, fils de ce frère qui habitait le territoire de Bethléem et auquel Joseph, après la naissance du Sauveur, avait laissé en gage l'un de ses deux ânes. Ce n'était point un partisan déclaré de Jésus aujourd'hui même, il s'était tenu à l'écart, et s'était borne à observer de loin ce qui se passait. Déjà en entendant raconter comment Jésus avait été dépouillé de ses vêtement, avant la flagellation, il avait été très indigné ; plus tard quand le moment du crucifiement approcha, il ressenti, dans le Temple une anxiété extraordinaire. Pendant que la mère de Jésus criait vers Dieu sur le Golgotha, Jonadab fut poussé tout à coup par un mouvement irrésistible qui le fit sortir du Temple et courir en toute hâte au Calvaire pour couvrir la nudité du Seigneur. Il lui vint dans l'âme un vif sentiment d'indignation contre l'action honteuse de Cham qui avait tourné en dérision la nudité de Noé enivré par le vin et il se hâta d'aller, comme un autre Sem, couvrir la nudité de celui qui foulait le pressoir. Les bourreaux étaient de la race de Cham, et Jésus foulait le pressoir sanglant du vin nouveau de la rédemption lorsque Jonadab vint à son aide. Cette action fut l'accomplissement d'une figure prophétique de l'Ancien Testament, et elle fut récompensée plus tard.

Jésus, image vivante de la douleur, fut étendu par les archers sur la croix où il était allé se placer de lui-même. Ils le renversèrent sur le dos, et, ayant tiré son bras droit sur le bras droit de la croix, ils le lièrent fortement puis un d'eux mit le genou sur sa poitrine sacrée ; un autre tint ouverte sa main qui se contractait ; un troisième appuya sur cette main pleine de bénédiction un gros et long clou et frappa dessus à coups redoublés avec un marteau de fer. Un gémissement doux et clair sortit de la bouche du Sauveur son sang jaillit sur les bras des archers. Les liens qui retenaient la main furent déchirés et s'enfoncèrent avec le clou triangulaire dans l'étroite ouverture. J'ai compté les coups de marteau, mais j'en ai oublié le nombre. La sainte Vierge gémissait faiblement et semblait avoir perdu connaissance. Madeleine était hors d'elle-même.

Les vilebrequins étaient de grands morceaux de fer de la forme d'un T ; il n'y entrait pas de bois. Les grands marteaux aussi étaient en fer et tout d'une pièce avec leurs manches, ils avaient à peu près la forme qu'ont les maillets avec lesquels nos menuisiers frappent sur leurs ciseaux. Les clous, dont l'aspect avait fait frissonner Jésus, étaient d'une telle longueur que, si on les tenait en fermant le poignet, ils le dépassaient d'un pouce de chaque côté, ils avaient une tête plate de la largeur d'un écu. Ces clous étaient à trois tranchants et gros comme le pouce à leur partie supérieure ; plus bas ils n'avaient que la grosseur du petit doigt ; leur pointe était limée, et je vis que quand on les eût enfoncés, ils ressortaient un peu derrière la croix.

Lorsque les bourreaux eurent cloué la main droite du Sauveur, ils s'aperçurent que sa main gauche, qui avait été aussi attachés au bras de la croix, n'arrivait pas jusqu'au trou qu'ils avaient fait et qu'il y avait encore un intervalle de deux pouces entre ce trou et l'extrémité de ses doigts alors ils attachèrent une corde à son bras gauche et le tirèrent de toutes leurs forces, en appuyant les pieds contre la croix, jusqu'à ce que la main atteignît la place du clou. Jésus poussa des gémissements touchants car ils lui disloquaient entièrement les bras. Ses épaules violemment tendues se creusaient, on voyait aux coudes les jointures des os. Son sein se soulevait et ses genoux se retiraient vers son corps. Ils s'agenouillèrent sur ses bras et sur sa poitrine, lui garrottèrent les bras, et enfoncèrent le second clou dans sa main gauche d'où le sang jaillit, pendant que les gémissements du Sauveur se faisaient entendre à travers le bruit des coups de marteau. Les bras de Jésus se trouvaient maintenant étendus horizontalement, en sorte qu'ils ne couvraient plus les bras de la croix qui montaient en ligne oblique il y avait un espace vide entre ceux-ci et ses aisselles. La sainte Vierge ressentait toutes les douleurs de Jésus ; elle était pâle comme un cadavre et des sanglots entrecoupés s'échappaient de sa bouche. Les Pharisiens adressaient des insultes et des moqueries du côté où elle se trouvait, et on la conduisit à quelque distance près des autres saintes femmes. Madeleine était comme folle elle se déchirait je visage, ses yeux et ses joues étaient en sang.

On avait cloué, au tiers à peu près de la hauteur de la croix, un morceau de bois destiné à soutenir les pieds de Jésus, afin qu'il fût plutôt debout que suspendu ; autrement les mains se seraient déchirées et on n'aurait pas pu clouer les pieds sans briser les os. Dans ce morceau de bois, on avait pratiqué d'avance un trou pour le clou qui devait percer les pieds. On y avait aussi creusé une cavité pour les talons, de même qu'il y avait d'autres cavités en divers endroits de la croix afin que le corps pût y rester plus longtemps suspendu et ne se détachât pas, entraîné par son propre poids. Tout le corps du Sauveur avait été attiré vers le haut de la croix par la violente tension de ses bras et ses genoux s'étaient redressés. Les bourreaux les étendirent et les attachèrent en les tirant avec des cordes mais il se trouva que les pieds n'atteignaient pas jusqu'au morceau de bois placé pour les soutenir. Alors les archers se mirent en fureur ; quelques-uns d'entre eux voulaient qu'on fît des trous plus rapprochés pour les clous qui perçaient ses mains, car il était difficile de placer le morceau de bois plus haut ; d'autres vomissaient des imprécations contre Jésus. « Il ne veut pas s'allonger, disaient-ils, nous allons l'aider ». Alors ils attachèrent des cordes à sa jambe droite et la tendirent violemment jusqu'à ce que le pied atteignît le morceau de bois. Il y eut une dislocation si horrible, qu'on entendit craquer la poitrine de Jésus, et qu'il s'écria à haute voix « O mon Dieu ! O mon Dieu ! » Ce fut une épouvantable souffrance. Ils avaient lié sa poitrine et ses bras pour ne pas arracher les mains de leurs clous. Ils attachèrent ensuite fortement le pied gauche sur le pied droit, et le percèrent d'abord au cou-de-pied avec une espèce de pointe à tête plate, parce qu'il n'était pas assez solidement posé sur l'arbre pour qu'on pût les clouer ensemble. Cela fait, ils prirent un clou beaucoup plus long que ceux des mains, le plus horrible qu'ils eussent, l'enfoncèrent à travers la blessure faite au pied gauche, puis à travers le pied droit jusque dans le morceau de bois et jusque dans l'arbre de la croix. Placée de côté, j'ai vu ce clou percer les deux pieds. Cette opération fut plus douloureuse que tout le reste à cause de la distension du corps. Je comptai jusqu'à trente-six coups de marteau au milieu desquels j'entendais distinctement les gémissements doux et pénétrants du Sauveur les voix qui proféraient autour de lui l'injure et l'imprécation me paraissaient sourdes et sinistres.

La Sainte Vierge était revenue au lieu du supplice ; la dislocation des membres de son fils, le bruit des coups de marteau et les gémissements de Jésus pendant qu’on lui clouait les pieds, excitèrent en elle une douleur si violente qu'elle tomba de nouveau sans connaissance entre les bras de ses compagnes. Il y eut alors de l'agitation. Les Pharisiens à cheval s'approchèrent et lui adressèrent des injures mais ses amis l'emportèrent à quelque distance. Pendant le crucifiement et l'érection de la croix qui suivit, il s'éleva, surtout parmi les saintes femmes, des cris d'horreur : « Pourquoi, disaient-elles, la terre n'engloutit-elle pas ces misérables ? Pourquoi le feu du ciel ne les consume-t-il pas ? » Et à ces accents de l'amour, les bourreaux répondaient par des invectives et des insultes.

Les gémissements que la douleur arrachait à Jésus se mêlaient à une prière continuelle, remplie de passages des psaumes et des prophètes dont il accomplissait les prédictions ; il n'avait cessé de prier ainsi sur le chemin de la croix et il le fit jusqu'à sa mort. J'ai entendu et répété avec lui tous ces passages, et ils me sont revenus quelquefois en récitant les psaumes ; mais je suis si accablée de douleur que je ne saurais pas les mettre ensemble. Pendant cet horrible supplice, je vis apparaître au-dessus de Jésus des figures d'anges en pleurs.

Le chef des troupes romaines avait déjà fait attacher au haut de la croix l'inscription de Pilate. Comme les Romains riaient de ce titre de roi des Juifs, quelques-uns des Pharisiens revinrent à la ville pour demander à Pilate une autre inscription dont ils prirent d'avance la mesure. Pendant qu'on crucifiait Jésus, on élargissait le trou où la croix devait être plantée, car il était trop étroit et le rocher était extrêmement dur. Quelques archers, au lieu de donner à Jésus le vin aromatisé apporté par les saintes femmes l'avaient bu eux-mêmes et il les avait enivrés ; il leur brûlait et leur déchirait les entrailles à tel point qu'ils étaient comme hors d'eux-mêmes. Ils injurièrent Jésus qu'ils traitèrent de magicien, entrèrent en fureur à la vue de sa patience et coururent à plusieurs reprises au bas du Calvaire pour boire du lait d'ânesse. Il y avait près de là des femmes appartenant à un campement voisin d'étrangers venus pour la Pâque, lesquelles avaient avec elles des ânesses dont elles vendaient le lait. Il était environ midi un quart lorsque Jésus fut crucifié, et au moment où l'on élevait la croix, le Temple retentissait du bruit des trompettes. C'était le moment de l'immolation de l'agneau pascal.

EXALTATION DE LA CROIX

Lorsque les bourreaux eurent crucifié Notre Seigneur, ils attachèrent des cordes à la partie supérieure de la croix, et faisant passer ces cordes autour d'une poutre transversale, fixée du côté opposé, ils s'en servirent pour élever la croix, tandis que quelques-uns d'entre eux la soutenaient et que d'autres en poussaient le pied jusqu'au trou, qu'on avait creusé pour elle, et où elle s'enfonça de tout son poids avec une terrible secousse. Jésus poussa un cri de douleur, tout le poids de son corps pesa verticalement, ses blessures s'élargirent, son sang coula abondamment et ses os disloqués s'entrechoquèrent. Les archers, pour affermir la croix, la secouèrent encore et enfoncèrent cinq coins tout autour.

Rien ne fut plus terrible et plus touchant à la fois que de voir, au milieu des cris insultants des archers, des Pharisiens et de la populace qui regardait de loin, la croix chanceler un instant sur sa base et s'enfoncer en tremblant dans la terre ; mais il s'éleva aussi vers elle des voix pieuses et gémissantes. Les plus saintes voix du monde, celle de Marie, celle de Jean, celles des saintes femmes et de tous ceux qui avaient le cœur pur, saluèrent avec un accent douloureux le Verbe fait chair élevé sur la croix ; leur mains tremblantes se levèrent comme pour le secourir, lorsque le saint des saints, le fiancé de toutes les âmes, cloué vivant sur la croix, s'éleva, balancé en l'air par les mains des pécheurs en furie ; mais quand la croix s'enfonça avec bruit dans le creux du rocher, il y eut un moment de silence solennel, tout le monde semblait affecté d'une sensation toute nouvelle et non encore éprouvée jusqu'alors. L'enfer même ressentit avec terreur le choc de la croix qui s'enfonçait, et redoubla la fureur de ses suppôts contre elle ; les âmes renfermées dans les limbes l'entendirent avec une joie pleine d'espérance : c'était pour elles comme le bruit du triomphateur qui s'approchait des portes de la rédemption. La sainte croix était dressée pour la première fois au milieu de la terre comme un autre arbre de vie dans le paradis, et des blessures de Jésus coulaient sur la terre ; quatre fleuves sacrés pour effacer la malédiction qui pesait sur elle, pour la fertiliser et en faire le paradis du nouvel Adam. Lorsque notre Sauveur fut élevé en croix, les cris et les injures furent interrompus quelques moments par le silence de la stupeur. Alors on entendit du côté du Temple le bruit des clairons et des trompettes qui annonçait l'immolation de l'agneau pascal, de la figure prophétique, et interrompait d'une manière solennelle et significative les cris de colère et de douleur autour du véritable agneau de Dieu. Bien des cœurs endurcis furent ébranlés et pensèrent à cette parole de Jean-Baptiste : « Voici l'Agneau de Dieu qui a pris sur lui les péchés du monde. »

Le lien où la croix était plantée était élevée d'un peu plus de deux pieds au-dessus du terrain environnant. Lorsque la croix fut enfoncée en terre, les pieds de Jésus se trouvaient assez bas pour que ses amis pussent les embrasser et les baiser. L'éminence était en talus. Le visage du Sauveur était tourné vers le nord-ouest.

CRUCIFIXION DES LARRONS

Pendant qu'on crucifiait Jésus, les deux larrons, ayant toujours les mains attachées aux pièces transversales de leurs croix, qu'on leur avait placées sur la nuque, étaient couchés sur le dos, près du chemin, au côté oriental du Calvaire, et des gardes veillaient sur eux. Accusés d'avoir assassiné une femme juive et ses enfants qui allaient de Jérusalem à Joppé, on les avait arrêtés dans un château où Pilate habitait quelquefois lorsqu'il exerçait ses troupes, et où ils s'étaient donnés pour de riches marchands. Ils étaient restés longtemps en prison avant leur jugement et leur condamnation. J'ai oublié les détails. Le larron de gauche était plus âgé ; c'était un grand scélérat, le maître et le corrupteur de l'autre. On les appelle ordinairement Dismas et Gesmas ; j'ai oublié leurs noms véritables ; j'appellerai donc le bon, Dismas, et le mauvais, Gesmas. Ils faisaient partie l'un et l'autre de cette troupe de voleurs établis sur les frontières d'Égypte qui avaient donné l'hospitalité, pour une nuit à la sainte Famille, lors de sa fuite avec l'enfant Jésus. Dismas était cet enfant lépreux que sa mère, sur l'invitation de Marie, lava dans l'eau où s'était baigné l'enfant Jésus, et qui fut guéri à l'instant. Les soins de sa mère envers la sainte Famille furent récompensés par cette purification, symbole de celle que le sang du Sauveur allait accomplir pour lui sur la croix. Dismas était tombé très bas ; il ne connaissait pas Jésus, mais comme son cœur n'était pas méchant, tant de patience l'avait touché. Couché par terre comme il l'était, il parlait sans cesse de Jésus à son compagnon : « ils maltraitaient horriblement le Galiléen, disait-il ; ce qu'il a fait en prêchant sa nouvelle loi doit être quelque chose de pire que ce que nous avons fait nous-mêmes, mais il a une grande patience et un grand pouvoir sur tous les hommes », ce à quoi Gesmas répondit : « Quel pouvoir a-t-il donc ? s'il est aussi puissant qu'on le dit, il pourrait nous venir en aide. » C'est ainsi qu'ils parlaient entre eux. Lorsque la croix du Sauveur fut dressée, les archers vinrent leur dire que c'était leur tour, et les dégagèrent en toute hâte des pièces transversales, car le soleil s'obscurcissait déjà, et il y avait un mouvement dans la nature comme à l'approche d'un orage. Les archers appliquèrent des échelles aux deux croix déjà plantées, et y ajustèrent les pièces transversales. Après leur avoir fait boire du vinaigre mêlé de myrrhe, on leur ôta leurs méchants justaucorps, puis on leur passa des cordes sous les bras et on les hissa en l'air à l'aide de petits échelons où ils posaient leurs pieds. On lia leurs bras aux branches de la croix avec des cordes d'écorce d'arbre ; on attacha de même leurs poignets, leurs coudes, leurs genoux et leurs pieds, et on serra si fort les cordes, que leurs jointures craquèrent et que le sang en jaillit. Ils poussèrent des cris affreux, et le bon larron dit au moment où on le hissait : « Si vous nous aviez traités comme le pauvre Galiléen, vous n'auriez pas eu la peine de nous élever ainsi en l'air. »

Pendant ce temps, les exécuteurs avaient fait plusieurs lots des habits de Jésus afin de les diviser entre eux. Le manteau était plus large d'en bas que d'en haut et il avait plusieurs plis ; il était doublé à la poitrine et formait ainsi des poches. Ils le déchirèrent en plusieurs pièces, aussi bien que sa longue robe blanche, laquelle était ouverte sur la poitrine et se fermait avec des cordons. Ils firent aussi des parts du morceau d'étoffe qu'il portait autour du cou, de sa ceinture, de son scapulaire, et du linge qui avait enveloppé ses reins ; tous ces vêtements étaient imbibés de son sang. Ne pouvant tomber d'accord pour savoir qui aurait sa robe sans couture, dont les morceaux n'auraient pu servir à rien, ils prirent une table où étaient des chiffres, et y jetant des dés en forme de fèves, ils la tirèrent ainsi au sort. Mais un messager de Nicodème et de Joseph d'Arimathie vint à eux en courant et leur dit qu'ils trouveraient au bas de la montagne des acheteurs pour les habits de Jésus, alors ils mirent tous ensemble et les vendirent en masse, ce qui conserva aux chrétiens ces précieuses dépouilles.

JÉSUS CRUCIFIÉ ET LES DEUX LARRONS

Le choc terrible de la croix, qui s'enfonçait en terre, ébranla violemment la tête couronnée d'épines de Jésus et en fit jaillir une grande abondance de sang, ainsi que de ses pieds et de ses mains. Les archers appliquèrent leurs échelles à la croix, et délièrent les cordes avec lesquelles ils avaient attaché le corps du Sauveur pour que la secousse ne le fit pas tomber. Le sang, dont la circulation avait été gênée par la position horizontale et la compression des cordes, se porta avec impétuosité à ses blessures ; toutes ses douleurs se renouvelèrent jusqu'à lui causer un violent étourdissement. Il pencha la tête sur sa poitrine et resta comme mort pendant près de sept minutes. Il y eut alors une pause d'un moment ; les bourreaux étaient occupés à se partager les habits de Jésus ; le son des trompettes du Temple se perdait dans les airs, et tous les assistants étaient épuisés de rage ou de douleur. (…)

Son visage, avec l'horrible couronne avec le sang qui remplissait ses yeux, sa bouche entrouverte, sa chevelure et sa barbe, s'était affaissé vers sa poitrine, et plus tard il ne put relever la tête qu'avec une peine extrême, à cause de la largeur de la couronne. Son sein était tout déchiré ; ses épaules, ses coudes, ses poignets tendus jusqu'à la dislocation ; le sang de ses mains coulait sur ses bras. Sa poitrine remontait et laissait au-dessous d'elle une cavité profonde ; le ventre était creux et rentré. Ses cuisses et ses jambes étaient horriblement disloquées comme ses bras ; ses membres, ses muscles, sa peau déchirée avaient été si violemment distendus, qu'on pouvait compter tous ses os ; le sang jaillissait autour du clou qui perçait ses pieds sacrés et arrosait l'arbre de la croix ; son corps était tout couvert de plaies, de meurtrissures, de taches noires, bleues et jaunes ; ses blessures avaient été rouvertes par la violente distension des membres et saignaient par endroits ; son sang, d'abord rouge, devint plus tard pâle et aqueux, et son corps sacré toujours plus blanc finit par ressembler à de la chair épuisé de sang. Toutefois, quoique si cruellement défiguré, le corps de Notre Seigneur sur la croix avait quelque chose de noble et de touchant qu'on ne saurait exprimer : oui, le Fils de Dieu, l'amour éternel s'offrant en sacrifice dans le temps, restait beau, pur et saint dans ce corps de l'Agneau pascal mourant, tout brisé sous le poids des péchés du genre humain. (…)

La croix était un peu arrondie par derrière, aplatie par devant, et on l'avait entaillée à certains endroits, sa largeur étalait à peu près son épaisseur. Les différentes pièces qui la composaient étaient de bois de diverses couleurs, les unes brunes, les autres jaunâtres ; le tronc était plus foncé, comme du bois qui est resté longtemps dans l'eau.

Les croix des deux larrons, plus grossièrement travaillées, s'élevaient à droite et à gauche de celle de Jésus il y avait entre elles assez d'espace pour qu'un homme à cheval pût y passer ; elles étaient placées un peu plus bas, et l'une à peu près en regard de l'autre. L'un des larrons priait, l'autre insultait Jésus qui dominait un peu Dismas en lui parlant. Ces hommes, sur leur croix, présentaient un horrible spectacle, surtout celui de gauche, hideux scélérat, à peu près ivre, qui avait toujours l'imprécation et l'injure à la bouche. Leurs corps suspendus en l'air étaient disloqués, gonflés et cruellement garrottés. Leur visage était meurtri et livide leurs lèvres noircies par le breuvage qu'on leur avait fait prendre et par le sang qui s'y portait, leurs yeux rouges et prêts à sortir de leur tête. La souffrance causée par les cordes qui les serraient leur arrachait des cris et des hurlements affreux ; Gesmas jurait et blasphémait. Les clous avec lesquels on avait attaché les pièces transversales les forçaient de courber la tête ; ils étaient agités de mouvements convulsifs, et, quoique leurs jambes fussent fortement garrottées, l'un d'eux avait réussi à dégager un peu son pied, en sorte que le genou était saillant.

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Méditation pour le 4e mystère douloureux

Tirée de La bienheureuse PassionImprimer
de Henri Pourrat

Jésus tombe sous le poids de la croix

Les trompettes de la cavalerie romaine ont sonné. Pilate s'est armé ; il se met en selle. Au milieu de ses cavaliers et à la tête de quelques centaines de soldats, il va parcourir Jérusalem. Il veut s'assurer que l'ordre règne. L'ordre ne doit pas être troublé par cette affaire sans conséquence.
Comme les prêtres anciens embrassaient l'autel qu'ils venaient d'ériger, Jésus a embrassé sa croix, la baisant par trois fois, dit sœur Catherine Emmerich.
— Mais ce qu'elle dit n'est-il pas vision pure ?
Sans prêter un caractère, d'authenticité historique à ces visions, — qui peuvent être inspirées tout en n'ayant pas ce caractère, — pourquoi n'en pas suivre le déroulement, comme celui même de la grande fresque traditionnelle ? Car il y a une tradition, riche de tout un trésor légendaire : celle que rappelaient les processions de Pénitents portant les mystères et les attributs ; aussi les images populaires où, sur un vert chemin en lacet, des cavaliers romains aux saintes femmes s'égrenait le cortège de la Passion. N'a-t-on pas accroché aux murs de l'église les quatorze tableaux qui font voir, autour du Patient, les hommes casqués, les satellites musculeux,  les tuniques brunes, les manteaux écarlates, les rocailles du Calvaire, les terrasses de Jérusalem ? Ces estampes du chemin de croix ne sont pas le chemin de la croix. Ce n'est pas de ces imaginations figurées en couleurs que viennent les pensées qui doivent suivre le Christ en sa Passion. Ce n'est pas non plus des gestes montrés, des épisodes retracés par Catherine Emmerich. Tout cela supprimé, le chemin de croix reste. Il est dans ce que disent les évangiles, et l'essentiel de la tradition : il suffit de savoir que. Jésus s'est chargé de sa croix, que sous son poids il est, tombé, qu'il a rencontré sa Mère... Mais on peut désirer voir les choses. Il est permis de s'aider de l'imagier ou de la visionnaire, quand, s'aidant eux-mêmes du trésor commun, ils font lever dans les cœurs des émotions pleines d'oraison et d'amour.

Jésus, donc, aurait baisé sa croix. Puis, agenouillé, il l'a chargée sur lui. Dans son épuisement, il n'arrive pas à la soulever. Ce sont les exécuteurs qui, violemment, d'une saccade, le mettent debout. Mais le pied de la croix labourerait la terre : deux d'entre eux le porteront, relevé par des cordes qu'ils se passent à l'épaule. Quatre autres, par des cordes aussi, tirent sur la chaîne dont ils ont ceinturé le Galiléen.
Un homme va devant, qui à chaque coin de rue sonne de la trompette pour annoncer l'exécution. Viennent les aides, avec les paquets de cordeaux, les paniers d'outils, les coins, les longs clous de fer. Les plus forts avec des perches, des échelles, les fûts des croix destinées aux voleurs. Puis, sur leurs chevaux ou sur leurs ânes, quelques pharisiens, anciens du peuple, princes des prêtres. Puis les condamnés. Mais d'abord un garçon porte à hauteur de sa poitrine la tablette où Pilate a écrit « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs » : le titulus qui se porte ainsi devant le condamné ou se pend à son cou pour être ensuite cloué à son gibet. Ce même garçon a sur l'épaule une gaule au bout de laquelle est la couronne d'épines. — Au départ, ils n'en auraient pas coiffé Jésus, se disant que la poutre appuierait là-dessus et qu'il ne lui serait pas possible de porter la croix.
Tout épuisé qu'il est, et il l'est à l'extrême, chancelant, le souffle coupé, il la porte. De la main droite, il soutient ce bois qui l'écrase. De la gauche, il cherche à relever sa large robe ; son manteau, ils l'ont troussé dans sa ceinture.
Halés de même par des cordes, suivent les deux larrons. Sur leur nuque, on a placé la barre de leur croie liant leurs poignets à chaque bout. Ils vont ainsi, tête ployée, mains pendantes. Encadrant les condamnés, il y a des soldats armés de piques. Enfin, derrière eux, demeurent des pharisiens.
Pour éviter d'embarrasser la marche de Pilate, ou bien l'affluence de ceux qui montent au Temple préparer l'immolation de l'agneau, le cortège a pris par une rue détournée. La foule y court ; elle se précipite aussi des ruelles d'alentour. Mais les soldats empêchent les gens de les dépasser et les repoussent. Au long de cette rue sordide, encombrée dans son étroitesse, cela fait tout un grouillant remuement, toute une rumeur d'appels, de rires, d'insultes. Des lucarnes ou des terrasses, les esclaves accourus invectivent le Christ. Ils lui jettent des boulettes de boue, des déchets de légumes. Les enfants eux-mêmes s'en mêlent. Çà et là, s'affairant, ils ramassent des cailloux, en remplissent leurs robes ; ils reviennent les lancer et leurs cailloux, s'ils retombent avant d'atteindre Jésus, roulent jusqu'à ses, pieds, embarrassent ses pas.

Cette rue resserrée, avant d'aller en montant tournerait à main gauche. À cet endroit, s'élargissant, elle serait traversée par un canal souterrain où l'eau dévalerait et tomberait. Là se creuserait un enfoncement changé en mare par les averses. Comme ailleurs dans les rues de Jérusalem, une grosse pierre permettrait d'enjamber le mauvais passage. Mais Jésus n'a plus la force de faire ce pas. Il donne du pied contre la pierre et, entraîné par leurs cordes, il tombe dans le bourbier, tandis qu'à grand fracas la croix s'abat.
Des aides, les uns de plus belle, le tirent de leurs cordes, les autres fondent sur lui. Il ne lui sert à rien d'étendre la main pour quêter un peu d'aide. Attroupés en tumulte, ils l'injurient, ils l'accablent de coups de pied. Le cortège a dû s'arrêter. La fureur de ces hommes fait pleurer de frayeur des enfants et des femmes. « Relevez-le, crient quelques pharisiens du haut de leurs montures, sans quoi il va nous passer entre les mains ! »
Mais avant de le remettre sur pied, et plus violemment encore que tantôt, ils imaginent — ils vont le réveiller ! — de le recoiffer de sa couronne. Après quoi, sur son épaule, ils rechargent la croix. À grand'peine, Jésus doit rejeter vers l'autre épaule sa tête déchirée par les épines. Ainsi ployé, comme déjeté et bousculé, tiraillé par ces hommes, il repart, Lui, le défaillant que tant de plaies tenaillent et qu'ont tailladé les fouets plombés ; sous ces poutres qui l'accablent, il a repris le chemin.
Les uns ont les outils, les clous, les cordes ; les autres les piques ; un autre la tablette écrite par le juge. Ainsi vont-ils portant les accessoires de leur affreuse comédie humaine. Et lui, vidé de toute force, il s'est chargé pour eux tous : il porte la croix, le fardeau même. Sous les coups et les huées, il avance.
Ce serait trop peu de la souffrance : il y faut la haine. Le Sanhédrin, le prétoire, la place publique, la caserne, le bouge ont déjà participé à la Passion. Il y faut la rue, sa fange, ses trognons, ses gamins, ses esclaves. Tout l'enfer humain doit se déchaîner contre le Fils de l'Homme.

J'entends les dires de la foule et la terreur est de tous les côtés… De ceux qui l'accompagnent, ou qui le regardent passer du haut des terrasses, en est-il un seul qui de tel ou tel verset se souvienne ?
Traquons donc le Juste, puisqu'il nous incommode, prétend posséder la connaissance de Dieu, il se dit le Fils Seigneur… Il se vante d'avoir Dieu pour père… Soumettons-le aux outrages et aux tourments, afin de connaître sa résignation et juger de sa patience. Condamnons-le à une moi honteuse, car, selon ce qu'il dit, Dieu aura souci de lui…
Et tout ce grand psaume de Miserere
Mais les pontifes qui chevauchent derrière les valets ne sont occupés qu'à passer un regard de triomphe sur le cortège. Ce vagabond qui trop souvent en a pris à son aise avec la loi, avec le sabbat, enfin, l'heure est venue où on l'a réduit à rien ! Voilà qu'on le traîne à la potence comme une loque sanglante, entre deux voyous, deux voleurs. Et ce misérable un moment s'est fait prendre pour le Messie, le Roi de Gloire, qui doit venir entouré de tonnerres pour chasser comme de la poussière les légions de Rome…

Aucun de ces scribes, de ces prêtres ne sait voir que plus glorieuse que la gloire est l'humilité, que plus forte que la force est la faiblesse ; et c'est là cependant ce qu'a si bien vu Isaïe (chapitres 52 et 53).

De même que beaucoup à son aspect sont tombés dans la stupeur,
tant il était défiguré, son apparence n'étant plus celle de l'homme,
ni sa face celle des enfants des hommes,
de même il fera tressaillir beaucoup de nations.
Les princes devant lui se couvriront la bouche.

Car ils verront ce qu'on ne leur avait pas dit,
ils apprendront ce qu'ils n'avaient pas entendu.
Ce que nous avons entendu, qui le croira,
et à qui seront-elles révélées, les œuvres du Seigneur ?

Il a poussé ainsi qu'un arbre sans vigueur,
comme un rejet issu d'une terre sans eau ;
il n'avait ni forme ni beauté pour attirer nos yeux,
ni figure qui pût engager notre amour.

Il était méprisé, abandonné des hommes,
un homme de douleurs et fait à la souffrance,
comme ce devant quoi on se voile la face,
ce qu'on rejette sans en faire le moindre cas.

Et voilà que c'est nos maladies qu'il portait,
et que c'est de nos maux qu'il avait pris la charge,
tandis que nous le regardions comme un puni
frappé par le Seigneur dans l'humiliation.

Lui donc, il a été transpercé pour nos fautes,
pour nos iniquités, il a été foulé,
le châtiment de rédemption s'abat sur lui
et nous sommes guéris de par ses meurtrissures.

Nous étions tous errants ainsi que des brebis
chacun de nous suivait un chemin à lui seul,
et c'est sur lui que le Seigneur fait retomber
l'iniquité qui était le fait de nous tous.

On le maltraite ; et lui, toute soumission,
n'ouvre pas seulement la bouche,
comme l'agneau qu'on mène à l'abattoir,
ou la brebis muette devant ceux qui la tondent,
il n'ouvre même pas la bouche.

Ils l'ont ôté du monde par violence et par jugement,
et des hommes de son époque, qui a pensé
qu'il était retranché de la terre des vivants,
que la plaie le frappait pour les péchés du peuple ?

On lui a donné son sépulcre avec les méchants
et dans sa mort il est avec le riche,
alors que l'injustice, il ne l'a pas commise,
et qu'en sa bouche il n'y eut jamais de fraude.

Il a plu au Seigneur de le briser par la souffrance,
mais quand il aura offert sa vie en sacrifice d'expiation,
il donnera naissance à une multitude, il étendra son temps,
en ses mains, le dessein de Dieu prospérera.
Et comme il aura mis en sa vie la souffrance,
il aura la vision et le rassasiement.

Par ce qu'il viendra faire connaître, mon serviteur,
le juste, justifiera beaucoup d'hommes,
et lui se chargera de leurs iniquités.
Voilà pourquoi sa part sera parmi les grands,
il partagera la dépouille avec les forts.

C'est parce qu'à la mort il a livré sa vie,
et parce qu'on l'a mis au rang des malfaiteurs ;
ainsi a-t-il porté les fautes de beaucoup,
ainsi pour les pécheurs il intercédera.

Isaïe, Isaïe, à quoi sert-il d'être prophète, si ceux dont c'est l'état de scruter les prophéties les entendent si peu ?
Celui qu'ils voient, broyé par eux, sanglant dans le vêtement de sa Passion, Isaïe le leur avait pourtant montré en son avènement terrible comme déjà ruisselant du sang de ses ennemis : « Quel est celui qui vient d'Eden et de Bosra dans ses habits teints d'écarlate ? » Qui ? Le juge du dernier jour, dressé dans l'ampleur de sa force comme au-dessus du monde. « C'est moi dont la parole apporte la justice et qui suis tout-puissant pour l'œuvre de salut. — À ta robe, pourquoi du rouge se voit-il, comme à celui qui sort de fouler au pressoir ? — Au pressoir j'ai foulé tout seul et personne d'eux tous n'a été avec moi. »

Mais avant d'être le juge, le vengeur, le Messie est le juste que tout écrase : le défait, qui a pris sur son dos avec sa croix les fautes de tout le peuple, qui vacille et qui tombe.
Pouvait-on imaginer la force, la puissance et la joie ailleurs que dans la joie, la puissance, la force ? Le Christ a promis qu'il les ferait avoir, sans limites, comme la lumière de mars, arrivant, affluant, du fond de l'étendue. Et qu'a-t-il enseigné ? Qu'il fallait se condamner à mort, se renoncer, se charger de sa croix, et marchant sous le faix, de chute en chute, faire le chemin de la faiblesse.

Ils apprendront ce qu'ils n'avaient pas entendu...

Devant cette sagesse qui renverse les sages, rois et nations, de leur main se couvrent la bouche.
Le Livre des Rois, pourtant, les renseignait déjà : L'homme ne sera jamais fort de sa propre force.
Mais l'homme quelquefois se croit un homme fort, comme riche qui tient tout le chemin et nie Dieu dans son cœur. Isaïe l'entend, qui dit à part soi : Je suis et il n'y en a pas d'autre que moi. Dieu lui fera savoir à qui sont la force et la richesse. Il met les puissants à bas de leur trône et il élève les humbles. Il comble de biens les affamés ; et les riches, il les renvoie les mains vides. (Deposuit patentes de sede et exaltavit humiles, Esurientes implevit bonis, et divites dimisit inanes.)
C'est ce que chante la Vierge sainte, lorsque portant le Verbe dans son sein, elle sent son esprit ravi de joie en Dieu son sauveur. Le cantique de la faiblesse sans crainte, qui met son assurance dans le bras tout-puissant du Père.

Les chroniques d'Israël sont pleines du prodige. Toujours le Seigneur déploie en faveur du faible la force de ce bras. Toujours il montre à son peuple que quand il n'y a plus aucun recours à rien d'humain, il reste de recourir à la Puissance même.
Devant Goliath, les guerriers d'Israël, qui, ne se confiaient qu'à leur force, s'esquivent. David, le plus jeune des fils d'Isaïe, n'est même pas soldat. Son père l'a envoyé au camp, dans la Vallée du Térébinthe, uniquement pour porter des pains à ses frères, quelques fromages aussi en présent à leur capitaine. Mais parce qu'il met sa confiance dans le Seigneur que l'autre a méprisé, l'enfant berger osera affronter le colosse. La cuirasse d'airain, le casque de Saül, le glaive même, il les rejette. Il va seulement au torrent choisir cinq cailloux polis ; il les glisse dans sa panetière. Puis, la fronde en main, il marche sur Goliath ; et du premier caillou lancé, il lui enfonce le front.
Ou c'est Judith, la jeune veuve délicate. La ville assiégée se dessèche : il n'y a plus une goutte d'eau dans les citernes, les hommes de guerre sont sans souffle et sans espérance. Elle, elle sort de la ville les mains vides... Avant le cinquième jour, la tête d'Holopherne roulera dans le sang et cette mer d'archers, de cavaliers, de chars, se dissipera comme un fleuve au milieu des sables.
Ou c'est Esther, l'orpheline, qui sauvera son peuple promis au massacre. N'était-ce pas de Sara, la dédaignée, la vieille, la stérile, qu'était née la postérité sans nombre d'Abraham ? De David, l'adultère, le meurtrier, mais l'humilié, le repentant, que sort la lignée du Christ ? Ceux de qui les hommes attendaient tout ne peuvent rien, et peuvent tous ceux qui semblaient ne rien pouvoir. Parce qu'ils s'en sont remis à Dieu.

En ses paroles, le Christ n'a point prêché la force. En ses œuvres, il ne l'a pas manifestée. Bien plutôt la faiblesse. Dans le chemin, sous le poids de la croix, il est tombé.
Ne crois pas à ta force ; et crois à ta faiblesse.
L'homme n'est pas fort. Sa vigueur ? sa résolution ? Elles dépendent de son sommeil, de son ravitaillement, du temps qu'il fait, du vent qui souffle. Voilà la réalité qu'il faut oser voir.
Le système de la vie chrétienne part de cette réalité. Donc, faire état de sa faiblesse, qui est réelle, et la force, aller la chercher là où elle est réellement, auprès du Fort.
Il y a un secret : se défier de soi, se confier en Lui. Si l'on savait ne jamais choir, ce serait tant mieux. Mais ce qui importe, c'est d'arriver sur la montagne.
Tu tomberas. Le tout sera de ne jamais perdre cœur. Te relever, repartir.

Comme le Christ sur le chemin du calvaire !

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Méditation pour le 3e mystère douloureux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

DE L'ECCE HOMO, ET DU DERNIER INTERROGATOIRE
QUE PILATE FIT SUBIR À JÉSUS

I. — Jésus présenté au peuple

1) Quand Pilate entra dans l'endroit où se trouvait Notre-Seigneur, lorsqu'il le vit tout couvert de sang et entièrement défiguré, il pensa qu'il n'avait qu'à le faire paraître dans cet état devant le peuple pour apaiser sa fureur. Il ordonna donc aux soldats de le conduire dans un lieu élevé, d'où il pût être vu de tous ; et précédant lui-même le Sauveur de quelques pas, il dit aux Juifs : Voici que je vous l'amène afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. Alors Jésus parut devant toute la multitude, portant sa couronne d'épines et un manteau de pourpre.

Quelle confusion dut éprouver notre divin Sauveur, lorsqu'il se vit en présence d'une immense multitude dans cet ignoble travestissement, et avec quelle humilité il supporta ce nouvel affront.

2) Et Pilate dit au peuple : Voici l'homme. Ces paroles sont comme dites par Pilate en son propre nom ; puis comme venant du Saint-Esprit et du Père éternel qui les mettent dans la bouche de Pilate ; examinons comment nous devons les entendre et les prononcer nous-même.

En premier lieu, dans la pensée de Pilate, elles veulent dire : Voici cet homme qui s'attribue le titre de roi, la qualité de Messie et de Fils de Dieu. Voyez comme je l'ai fait châtier. À peine a-t-il la forme d'un homme : et cependant il est homme. Puis donc qu'il est homme comme vous, ayez pitié de votre nature, contentez-vous des châtiments que cet homme misérable a reçus.

Regardons cet homme ; considérons attentivement tout son extérieur, et qu'un si lamentable spectacle te touche de compassion pour lui. Regardons cet homme déchiré par les fouets, souillé de crachats, meurtri de soufflets, revêtu par dérision d'un manteau de pourpre, couronné d'épines, rassasié d'opprobres, accablé de douleurs. Arrêtons les yeux sur lui, et voyons avec quelle vérité il a dit de lui-même par la bouche d'un de ses prophètes : Je suis un ver de terre, et non pas un homme, l'opprobre des hommes et l'abjection du peuple. En effet, le plus beau des enfants des hommes a perdu son éclat, il est devenu méconnaissable.

En second lieu, ces mêmes paroles signifient, dans l'intention du Saint-Esprit : Voici cet homme qui paraît, il est vrai, semblable aux autres hommes, mais qui est en réalité plus qu'un homme ; car il est le Fils du Dieu vivant, le Messie promis dans la loi, le chef des hommes et des anges, le Rédempteur du genre humain, l'unique remède à tous les maux. Son amour envers les hommes l'a porté à devenir l'opprobre des hommes pour acquitter leurs dettes, et les délivrer de la mort éternelle qu'ils ont méritée par leurs péchés. Aussi est-il digne que toute la terre lui rende d'infinies actions de grâces ; que tous les peuples le reconnaissent pour vrai Dieu et vrai homme, qu'ils le louent, l'adorent et le servent dans tous les siècles.

Telles sont les qualités glorieuses, les titres de grandeur que je dois approfondir par la méditation en contemplant cet homme. Imaginons que le Saint-Esprit nous le présente à nous-même, dans l'état où Pilate le présenta aux Juifs, et qu'il nous dit : Voilà l'homme. Ces paroles nous feront éclater en transports d'admiration, de confiance et d'amour ; elles nous forceront à nous écrier : Est-il possible qu'un homme si saint, la sainteté même, soit réduit à cette extrémité 1 Que ne devons-nous pas espérer de celui qui nous a témoigné une charité si excessive ? Comment ne pas aimer de tout l'amour de notre cœur celui qui a tant fait et souffert pour nous ?

En troisième lieu, ces paroles sont comme prononcées par le Père éternel. Voici, nous dit-il, cet homme que j'ai envoyé au monde pour être le maître des hommes, le modèle de toute perfection et de toute sainteté. C'est pour accomplir cet emploi qu'il a consenti à être tellement défiguré par les tourments. Considérez donc attentivement ses vertus intérieures cachées sous des dehors si étranges et si méprisables. Voyez son humilité au milieu de tant d'opprobres ; son esprit de pauvreté dans un dénuement si absolu ; sa douceur parmi tant d'outrages ; sa patience dans les plus cruelles douleurs ; sa modestie, son obéissance, sa charité au milieu de tant d'ennemis qui blasphèment contre lui, qui le persécutent à outrance, qui ne lui témoignent que de l'horreur. Et puisque c'est pour vous servir d'exemple, qu'il a voulu perdre sa beauté et son éclat, jusqu'à devenir entièrement méconnaissable, regardez-le bien, et gravez fidèlement au fond de votre âme sa douloureuse image.

Considérons Notre-Seigneur Jésus-Christ, à l'intérieur et à l'extérieur. À l'extérieur, il paraît moins qu'un homme ; à l'intérieur, il est, plus qu'un homme ; au dehors, il est défiguré par d'affreuses plaies ; au-dedans, il est orné de grâces et de vertus incomparables. Que cette considération fasse naître en nous de vifs désirs d'imiter ses divins exemples.

En dernier lieu, exerçons-nous à prononcer moi-même ces paroles : Voilà l'homme. Nous tournant donc vers le Père éternel, disons-lui, pour le disposer à nous accorder toutes nos demandes : Père saint, voilà l'homme. Regardez cet homme couvert de blessures et horriblement défiguré à cause de nos péchés. Vous nous commandez de le regarder, afin que nous ayons compassion de lui ; et nous vous supplions de le regarder, afin que vous ayez pitié de nous. Vous voulez que nous le regardions, afin de le prendre pour modèle ; regardez-le, Seigneur, afin de nous accorder en sa considération les grâces sans lesquelles nous ne pouvons l'imiter. Père juste, nous avons tous indignement outragé votre Majesté souveraine par nos péchés ; arrêtez vos regards sur cet homme qui a souffert des tourments inouïs pour satisfaire à votre justice ; que sa vue apaise votre colère et nous obtienne le pardon de nos offenses. Ô Père des miséricordes, voilà l'homme I Regardez cet homme qui porte tous les autres hommes dans son cœur, et qui offre sa vie pour eux ; ne me regardez pas moi seul, mais regardez en même temps cet homme ; et ce que je ne mérite pas par moi-même, accordez-le-moi par ses mérites, puisqu'il souffre pour moi. Ô Dieu, notre protecteur, jetez les yeux sur nous, et regardez-la lace de votre Christ : il vous sera impossible de rejeter ceux qu'il tient cachés dans le secret de sa face adorable, si tristement défigurée pour leur salut. Contemplez celui qui est le miroir sans tache de votre Majesté ; vous reconnaîtrez en lui vos traits, puisqu'il est la figure de votre substance ; vous y verrez aussi les nôtres, car nous sommes ses images. Par l'amour que vous portez à ce Fils unique, qui vous est en tout semblable, pardonnez-nous, purifiez-nous, sanctifiez-nous, sauvez toutes les âmes créées à son image, et rachetées au prix du sang qu'il verse dans le triste état où il se trouve.

II. — Les, Juifs demandent la mort de Jésus

1) À la vue de Jésus, les princes des prêtres et leurs serviteurs se mirent d crier : Crucifiez-le, crucifiez-le.

Considérons la cruauté satanique des pontifes, des prêtres, du peuple même qu'ils ont entraîné dans leur parti. La vue du Sauveur couvert de plaies et de sang, loin d'exciter leur compassion, allume en eux le désir de le voir soumis à de nouvelles tortures. Ils répètent dans leur fureur : Crucifiez-le, crucifiez-le : ce qui signifie dans leur bouche : Vous avez bien commencé, Pilate, achevez de même ; vous l'avez fait flageller, condamnez-le à mourir sur la croix : les fouets doivent être suivis du crucifiement.

Oh ! qui pourrait dire quels furent les sentiments du cœur de Jésus lorsqu'il entendit ces cris effroyables, et qu'il vit avec quelle opiniâtreté son peuple persévérait à demander sa mort ? Les Juifs se montraient en ce point plus cruels que les Gentils ; car la férocité de ceux-ci paraissait assouvie, et la haine de ceux-là ne cessait de dire : Encore plus, encore plus. Jésus-Christ cependant se rappelait les faveurs dont il avait comblé ceux de sa nation, et voyant de quelle ingratitude ils payaient ses bienfaits, il déplorait l'aveuglement d'un peuple coupable que Dieu ne pouvait manquer de punir et d'abandonner. Comment mon cœur n'est-il point navré de douleur, quand je considère celui qui mérite d'être souverainement aimé devenu pour les siens l'objet d'une implacable haine ? Comment mon visage ne se baigne-t-il pas de larmes, quand je contemple la face de mon Seigneur baignée dans son sang, sang généreux que ses ennemis sont impatients de répandre jusqu'à la dernière goutte ? Aime donc, ô mon âme, aime tendrement celui qui a tant d'amour pour toi ; aime-le de toutes tes forces, en satisfaction de la haine injuste qui le poursuit, et efforce-toi de montrer plus d'ardeur à le servir, que les Juifs ne déploient de malice à le persécuter.

2) Pilate, indigné de l'obstination des pontifes et de leurs partisans, leur dit : Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le : car pour moi je ne trouve en lui aucun crime. Les Juifs lui répondirent : Nous avons une loi, et selon notre loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait le Fils de Dieu.

Par ces paroles, ils accusent implicitement le Sauveur d'avoir blasphémé : car ils prétendent qu'il n'a pu sans blasphème se dire le Fils de Dieu, non par adoption, mais par nature, et que, par conséquent, selon la loi, il doit être puni de mort. Ô prodigieux aveuglement d'un peuple passionné ! Il rejette comme un blasphème une vérité divine, autorisée par les Écritures, qui donnent au Messie la qualité de Fils de Dieu ; une vérité confirmée par tous les miracles que Jésus-Christ a opérés pour prouver sa divinité. C'est donc un blasphème formel de dire qu'il a blasphémé ; et ceux qui lui font ce reproche méritent la mort, selon la loi. Mais le vrai blasphème demeure impuni, et le blasphème faussement imputé ne trouve point de pardon. D'où vient cela ? De ce que Jésus veut s'humilier jusqu'à subir le châtiment dû aux blasphémateurs, afin de satisfaire pour eux à la justice de son Père et de leur obtenir miséricorde.

La conduite des Juifs nous fournit encore cette réflexion. Il est ordinaire aux méchants et aux imparfaits de se prévaloir de la loi sans se mettre en peine de la garder, à moins qu'ils n'y soient portés par quelque intérêt. Alors ils se servent de la loi comme d'un masque pour cacher leur intention perverse. Une semblable manière d'agir ne m'inspirera que de l'horreur. Sans doute il me sera permis de me glorifier de la loi ; mais avant tout je dois être jaloux de l'observer exactement. Autrement, la loi deviendrait ma condamnation ; car elle me convaincrait de désobéissance.

III. — Crainte de Pilate

Quand Pilate eut entendu ces paroles, il craignit davantage. Il rentra dans le prétoire et dit à Jésus : D'où êtes-vous ? Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit donc : Vous ne me parlez point ? Ne savez-vous pas que j'ai le pouvoir de vous faire crucifier, et que j'ai le pouvoir de vous délivrer ? Jésus lui répondit : Vous n'auriez aucun pouvoir sur moi, s'il ne vous avait été donné d'en haut.

1) Considérons pour quelle raison Pilate fut saisi de crainte quand il apprit que Jésus-Christ Notre-Seigneur se disait le Fils de Dieu. L'éclat de tant de vertus, pensa-t-il en lui-même, rend croyable que cet accusé est ce qu'il dit ; et, par conséquent, le condamner serait s'exposer à encourir l'indignation de la divinité. La douceur et la patience de Jésus devaient avoir quelque chose de bien surprenant, puisqu'elles suffirent, sans autres miracles, pour persuader à un juge païen et peu zélé pour la justice, qu'un homme si profondément humilié et traité avec tant d'inhumanité pouvait être le Fils du Dieu vivant.

2) Considérons comment ce mauvais juge, cédant à un mouvement d'orgueil, s'emporta soudainement contre Jésus, parce qu'il s'imagina que son autorité était blessée par le silence du Sauveur. Remarquons également sa présomption, sa gravité affectée, son arrogance dans les paroles dont il se sert pour relever sa dignité. Tous ces défauts sont communs chez les hommes du monde : nous devons en être fort éloigné, si nous voulons nous être du parti de Jésus-Christ.

3) Considérons tout particulièrement la prudence admirable que fait paraître notre Rédempteur, soit qu'il parle, soit qu'il se taise. Dans la circonstance présente, il se tait d'abord, parce que sa réponse n'aurait point d'autre effet que sa justification personnelle ; puis il parle, lorsqu'il s'agit de soutenir l'honneur de Dieu, et de réprimer un esprit superbe qui présume de sa puissance. Et alors il parle avec autant de liberté que s'il n'avait pas à craindre la mort. Il dit donc à son juge : Ne vous glorifiez point du pouvoir dont vous êtes revêtu, car vous ne le tenez pas de vous-même, mais du ciel. C'est mon Père céleste qui vous l'a donné ; et, sans sa permission, vous n'auriez aucune autorité sur moi. C'est ici que resplendit la bonté du Père éternel, qui abandonne son propre Fils à un juge inique, pour nous procurer une vie immortelle.

IV. — Les Juifs ont recours à l'intimidation pour obtenir la condamnation de Jésus

La réponse que le Sauveur fit à Pilate augmenta le désir que ce juge avait de le délivrer ; mais les pontifes poussaient des cris menaçants, et disaient : Si vous délivrez cet homme, vous n'êtes point ami de César. C'est-à-dire : Si vous, le renvoyez absous, nous porterons nos plaintes à César ; nous vous accuserons d'avoir rendu à la liberté un homme qui est son ennemi, un homme qui, au préjudice de César, a usurpé le titre de roi. Pilate, intimidé par ces menaces, conduisit de nouveau Jésus hors du prétoire et dit aux Juifs : Voilà votre roi. Ces paroles peuvent se considérer comme venant de Pilate, qui parle de son propre mouvement, ou comme venant de l'Esprit divin, qui les prononce par l'organe dé Pilate.

1) De son côté, Pilate les profère par dérision. Il semble dire : Voilà ce misérable, assez insensé pour s'imaginer qu'il est votre roi. Considérez-le ; reconnaissez-vous en lui un roi, ou un homme qui puisse aspirer à la royauté ? Il n'est tout au plus qu'un roi de théâtre, comme l'annoncent sa couronne, son sceptre, et sa pourpre. Portez-lui compassion, et ne pensez pas que, même en se disant roi, il soit pour César un adversaire bien redoutable.

2) Le Saint-Esprit prononce ces mêmes paroles par la bouche de Pilate, pour déclarer aux Juifs qu'ils ont devant eux leur roi si ardemment désiré. Voici, leur dit-il, votre roi ; celui que vous attendez depuis tant de siècles ; le Messie qui, selon les oracles des prophètes, doit être votre Sauveur. Il est l'héritier légitime de David ; il est le roi que Dieu a oint et sacré pour vous délivrer de la servitude du démon. Son sceptre est un sceptre de justice et son règne durera éternellement. Je vous le présente : voyez si vous le reconnaissez et si vous voulez le recevoir pour votre Seigneur.

Entrons dans ces sentiments et imaginons que ces paroles s'adressent à nous-même et à tous les fidèles. Voici votre Roi, monarque, saint et sage, doux et humble, libéral jusqu'à la munificence, que son seul amour pour vous a réduit, à l'état si lamentable dans lequel vous le voyez. Voici le Roi que Dieu le Père a établi chef de l'Église militante et de l'Église triomphante ; le Roi du ciel et de la terre, le Roi de gloire, le Roi éternel, dont le règne n'aura point de fin.

V. — Les princes des prêtres et le peuple rejettent Jésus-Christ leur véritable roi

Les Juifs s'écrièrent : à mort, à mort, crucifiez-le. Pilate leur dit : Que je crucifie votre roi ? Les pontifes répondirent : Nous n'avons point d'autre roi que César.

1) Je considérerai la fureur incroyable des Juifs qui ne peuvent pas même supporter la vue de Jésus-Christ. Ôtez-le, ôtez-le, répètent-ils unanimement ; que nos yeux ne le voient pas plus longtemps ; crucifiez-le, et finissez-en une fois avec cet homme. C'est ainsi qu'ils vérifient à la lettre ce qui est écrit d'eux-mêmes au livre de la Sagesse : Dressons des embûches au juste, parce qu'il nous est inutile, qu'il est contraire à nos œuvres, qu'il nous reproche nos manquements à la loi, et qu'il nous déshonore en décriant notre conduite. Il se vante d'avoir la science de Dieu, et il s'appelle le fils de Dieu. Il censure jusqu'à nos pensées ; il nous est odieux même à voir, car sa vie n'est point semblable à celle des autres, et ses voies ne sont point les nôtres.

2) Considérons la malice et l'aveuglement des Juifs. Ils rejettent le roi légitime que Dieu leur a donné pour être leur libérateur et leur souverain bienfaiteur, et ils acceptent pour maître un tyran qui, après les avoir dépouillés de leurs biens, les a encore privés de la liberté dont ils se sont toujours montrés si jaloux. Ils se soumettent sans réserve à un prince qu'ils ont détesté jusqu'alors, et cela en haine de la personne et de la royauté de Jésus-Christ. Mais Dieu permettra, en punition de cette félonie sacrilège, que ces partisans de César perdent leur véritable roi et leur Messie ; il permettra que le roi terrestre qu'ils se sont choisi se tourne contre eux, détruise leur ville, renverse leur temple et désole leur pays.

Appliquons ensuite ces réflexions à nous-même. Rappelons-nous combien de fois nous avons quitté le Roi du ciel pour servir un roi de la terre, pour acquérir une gloire vaine et périssable, vivant en réalité comme si nous n'eussions pas eu d'autre maître que César. Nous ne pouvons assurément faire une injure plus grave à Jésus-Christ, qu'en nous montrant l'imitateur des Juifs endurcis et infidèles.

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Méditation pour le 2e mystère douloureux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

COMMENT PIERRE RENIA TROIS FOIS SON MAÎTRE

I. — Cause de la chute de Pierre

Les apôtres ayant tous pris la fuite, Pierre revint et se mit à suivre Jésus de loin. Il y avait avec lui un autre disciple qui était connu du grand-prêtre. Ce disciple entra avec Jésus dans la maison du pontife, et y fit entrer. Pierre, qui alla se chauffer avec les ser­viteurs et les soldats, parce qu'il faisait froids.

1) Considérons, sur ce passage, les différents degrés d'infidélité par lesquels saint Pierre fut amené à renier son divin Maître. Les égarements de cet apôtre seront pour nous une leçon que je tâcherai de mettre à profit.

Le premier degré fut un refroidissement de son amour envers Jésus, refroidissement qui provenait d'une crainte humaine. D'un côté, l'amour qu'il avait pour un maître si bon le portait à le suivre ; de l'autre la crainte, et la tiédeur qui en était la suite, ralentissaient sa marche et le tenaient éloigné du Sauveur, lui qui auparavant était toujours auprès de sa personne.

Le second degré fut l'oubli de la prédiction que Jésus-Christ lui avait faite, qu'il le renierait trois fois dans cette nuit. C'est la conduite ordinaire de ceux qui présument d'eux-mêmes, d'oublier les paroles de Dieu, et de négliger, les avertissements intérieurs qu'il leur donne pour réprimer leur orgueil, comme si ces enseignements salutaires ne s'adressaient pas à eux.

Le troisième fut son imprudence. Parce qu'il se flatte d'aimer Jésus-Christ, il s'expose au péril de le renier. Il s'approche du feu, autour duquel sont réunis en grand nombre des hommes pervers qui tiennent de pernicieux discours. Ce n'est donc pas sans mystère que l'Évangéliste dit qu'il faisait froid. C'est pour signifier la froideur du cœur de Pierre et les ténèbres épaisses dont son âme était enveloppée.

En résumé, l'origine de tout le mal fut, pour l'apôtre infidèle, une secrète présomption, que ne guérit pas l'avertissement formel de se défier de lui-même, bien qu'il l'ait reçu de la propre bouche du Sauveur. Cette mauvaise racine étant toujours demeurée vivante dans son cœur, est-il étonnant qu'elle y produisit de si mauvais fruits ?

2) Ces considérations doivent nous faire prendre trois résolutions importantes.

La première, de ne point présumer de nos forces, nous souvenant de ces paroles de l'Apôtre : c'est la foi qui vous soutient ; n'ayez point de hauts sentiments de vous-même, mais tenez-vous dans la crainte. Que celui qui croit être ferme, prenne garde de tomber.

La seconde, de suivre Jésus-Christ, non de loin, mais de près, et avec ferveur. Celui qui suit Jésus de loin ne peut pas bien observer ses traces, ni mettre les pieds où Jésus a mis les siens ; il n'est pas sous sa protection dans les dangers.

La troisième, de fuir les compagnies dangereuses, comme des occasions de chute, nous rappelant ce que dit le Sage : Celui qui aime le danger, y périras.

3) Remarquons enfin que si cet autre disciple connu du grand-prêtre était saint Jean, selon l'opinion de quel­ques docteurs, il se trouva à la vérité dans les mêmes occasions que saint Pierre ; mais elles n'eurent pas pour lui le même danger, aussi ne renia-t-il pas son Maître. D'où vient cette différence ? Principalement de ce que Jésus-Christ, par une protection spéciale, garda et préserva le disciple bien-aimé, et en même temps, de ce que Jean n'avait ni l'orgueil secret, ni la présomption de Pierre.

Ô Dieu tout-puissant, délivrez-moi des occasions de scandale ; et si je m'y trouve engagé, moi qui suis la faiblesse même, couvrez-moi de votre miséricordieuse protection ; mettez-moi auprès de vous, et que toute main s'arme contre moi ; car si vous me tenez de votre main, nul ne pourra me renverser ni me séparer de vous.

II. — Premier reniement de Pierre

Alors une servante du pontife, qui gardait la porte, ayant considéré Pierre attentivement, le reconnut pour un des disciples de Jésus, et dit à ceux qui étaient présents : Celui-ci était aussi avec cet homme. Puis, s'approchant de Pierre, elle lui dit : N'êtes-vous pas disciple de cet homme-là ? Certainement vous étiez avec Jésus de Nazareth. Pierre répondit : Femme, je ne suis point son disciple ; je ne le connais pas ; et je ne sais ce que vous voulez dire.

1) Remarquons l'astuce du démon qui, en cette occasion, se sert d'une femme pour livrer au chef des apôtres un premier combat, comme il attaqua le premier homme par une autre femme. Il n'ignore pas que les femmes ont à la fois plus d'audace et plus de douceur que les hommes, et qu'elles sont capables de renverser ceux mêmes qui sont les colonnes de l'Église, s'ils ne fuient avec soin leur compagnie.

2) La chute de saint Pierre nous fera comprendre combien grande est la faiblesse humaine. Celui qui est la pierre fondamentale de l'Église, qui a connu par révélation la divinité de Jésus-Christ et l'a confessée publiquement, qui s'est offert à mourir pour lui ; celui-là même tremble à la voix d'une simple femme, et non seulement n'ose pas avouer franchement qu'il est disciple de Jésus, mais déclare formellement qu'il ne l'est pas, et qu'il ne le connaît pas. Cet exemple doit nous apprendre à ne point présumer de nous-même ; car nous ne sommes ni un apôtre, ni une pierre inébranlable, mais boue et poussière. Descendons bien avant dans la connaissance de notre néant ; défions-nous sans cesse de notre inconstance et de notre faiblesse, persuadés que l'édifice de nos vertus ressemble à cette statue mystérieuse, dont le haut était d'or et d'argent, et les pieds d'argile : une petite pierre suffit pour le renverser.

Ô Dieu éternel, faites-moi connaître que, de mon propre fond, je n'ai pas plus de consistance que le limon dont vous m'avez formé, afin que je ne mette pas ma confiance en moi-même, mais en vous seul, et que, résistant avec votre secours aux attaques du tentateur, je conserve précieusement les dons que j'ai reçus de vous.

3) Remarquons encore combien est dangereuse la crainte excessive du déshonneur et de la mort. Souvent, c'est moins l'adversité qui nous abat que la vaine frayeur que j'en ai.

Combien de fois une simple appréhension ne nous a-t-elle pas fait renier Jésus-Christ, sinon de paroles, du moins par les œuvres, lorsque, par exemple, nous avons négligé d'accomplir un devoir formel, et cela par respect humain, par intérêt, par sensualité ? Nous avons donc besoin de prier avec instance Notre-Seigneur Jésus-Christ de daigner nous couvrir de sa protection comme d'un bouclier, afin que nous méprisions les frayeurs de la nuit, et qu'elles ne s'emparent pas de notre cœur.

4) Remarquons la gravité de l'injure que Pierre fit à Jésus en cette circonstance, et l'immense douleur que res­sentit Jésus, quand il vit l'apôtre qu'il aimait tant, et à qui il avait donné tant de preuves de son amour, rougir de se déclarer son disciple, et condamner la vie de celui qu'il désavouait pour son maître. Voyons avec compassion notre Seigneur ainsi méconnu et abandonné des siens.

Ô mon divin Maître, je ne m'étonne pas que Judas, toujours si tiède, vous renie enfin par avarice, quand Pierre, la ferveur même, vous renonce par pusillanimité. Mais votre sagesse a voulu subir cette dernière ignominie pour me montrer avec plus d'évidence votre patience dans les souffrances, ma faiblesse dans les tentations, la vertu de votre grâce dans la conversion du pécheur.

III. — Deuxième et troisième reniement de Pierre

Pierre, voyant ce qui était arrivé et quel péril il courait, sortit et alla dans le vestibule, et alors le coq chanta pour la première fois ; mais il avait l'esprit si troublé, qu'il n'y fit aucune attention. Peu de temps après, Pierre étant rentré dans la salle où les valets se chauffaient, ils lui demandèrent : N'êtes-vous pas de ses disciples ? Et l'un d'entre eux lui dit : Vous en êtes assurément. Mais Pierre le nia une seconde fois et dit avec serment : Je ne connais point cet homme. Environ une heure après, ceux qui étaient là commencèrent à presser Pierre, lui disant : Vous êtes vraiment des disciples de Jésus ; car vous êtes Galiléen, on le voit bien à votre langage. Un autre ajouta, dans le même sens : Ne vous ai-je pas vu avec lui dans le jardin ? Pierre nia tout pour la troisième fois ; et il se mit à faire des imprécations, et à jurer en disant : Je ne connais point cet homme dont vous me parlez.

Les infidélités du premier des apôtres et les circonstances qui en furent l'occasion peuvent nous fournir les réflexions suivantes.

1) Remarquons les ruses multipliées que Satan emploie pour tenter saint Pierre. Il exécute ce qu'il projette depuis longtemps ; il crible, selon l'expression de Jésus-Christ, son adversaire comme du froment. Il l'attaque à plusieurs reprises, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, jusqu'à le renverser une première, une seconde et une troisième fois. Il en use ainsi avec les plus grands saints, et la furie avec laquelle il a coutume de les assaillir est si grande, que s'ils ne sont bien fondés dans l'humilité, il les précipite du sommet de la perfection dans l'abîme du péché.

Ô Dieu éternel, ne permettez pas que le pied de l'orgueilleux qui nous poursuit vienne à m'atteindre, ni que la main du pécheur m'ébranle et nous fasse déchoir du lieu où vous m'avez élevé par votre grâce.

2) Considérons combien il est dangereux de rester dans l'occasion du péché, et de ne pas profiter de l'avertissement d'une première chute. Un péché attire un autre péché, et le second est ordinairement plus grave que le premier. Ainsi, on va de mal en pis, comme saint Pierre, qui commença par renier simplement son maître, puis le renia avec serment, puis, enfin ajouta au serment les imprécations. Il est donc très important d'étouffer dès le principe le respect humain, et de fuir le danger aussitôt qu'il se présente : car les démons, toujours acharnés à notre perte, ne cessent de répéter : Détruisez, détruisez Jérusalem jusqu'à ses fondements. C'est-à-dire : Ôtez à cette âme la foi qui est sa lumière, ôtez-lui l'espérance qui est son soutien.

3) Remarquons que, comme saint Pierre avait, cette nuit-là même, manifesté sa présomption à trois reprises différentes, répondant au Seigneur qu'il était prêt à le suivre jusqu'à la mort, qu'il ne se scandaliserait point de lui, quand tous les autres en seraient scandalisés, qu'il ne le renierait jamais, quand il devrait lui en coûter la vie ; Jésus-Christ, pour punir ces trois actes de présomption, permit que peu de temps après il le renonçât trois fois. Nous voyons par-là que l'humiliation suit de près l'orgueil, et que le superbe est puni par où il a péché Que celui donc qui a eu le malheur de s'enorgueillir se hâte de pleurer sa faute, avant que l'humiliation fonde sur lui à pas précipités.

IV. — Repentir de saint Pierre

Aussitôt le coq chanta pour la seconde fois. Et le Seigneur se retournant, regarda Pierre. Et Pierre se ressouvint de la parole que Jésus lui avait dite : Avant que le coq ait chanté deux fois, tu nous renieras trois fois. Et, étant sorti, il pleura amèrement. Dans ce peu de paroles, nous voyons peintes au vif la conversion et la pénitence de saint Pierre.

1) Admirons, dans le changement subit du prince des apôtres, la miséricorde et la charité de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Il est lui-même environné d'ennemis, en butte aux plus horribles persécutions, aux plus atroces calomnies ; et il semble oublier ses propres maux pour se souvenir de son disciple, dont l'infidélité vient ajouter à son affliction. Bien que Jésus soit éloigné de Pierre, il ne laisse pas de connaître ses égarements ; et, au lieu de le châtier, il l'excite à la pénitence, poussé du désir de lui pardonner ; et il use même d'une extrême diligence pour arracher promptement de la gueule du loup infernal cette brebis égarée. Il fait pour cela chanter le coq tandis que Pierre parlait encore, selon le texte de l'évangéliste saint Luc. Mais ce second chant du coq serait aussi peu efficace que le premier, si le Seigneur ne jetait sur son disciple les yeux de sa miséricorde ; s'il n'éclairait son esprit d'une lumière céleste pour lui faire reconnaître sa faute ; s'il ne touchait son cœur pour la lui faire pleurer.

Ô mon aimable Jésus, comment ne vous aimerais-je pas de tout mon cœur ! Lorsque je songe à vous offenser, vous cherchez les moyens de me pardonner ; et lorsque votre colère devrait éclater sur moi par de rudes châtiments, vous vous souvenez de votre miséricorde, et vous me remettez mon péché. Ayez pitié de tous les pécheurs, ô mon Dieu ; jetez sur eux des regards de com­passion ; ouvrez leurs oreilles, afin qu'ils écoutent la, voix des prédicateurs ; touchez leur cœur, afin qu'ils répandent des torrents de larmes. Et pour moi, s'il m'arrive de vous offenser par fragilité, souvenez-vous, Seigneur, de votre miséricorde, vous qui connaissez ma faiblesse.

2) Considérons combien furent amères les larmes de Pierre repentant. Ce n'est point la crainte du châtiment qui les lui fait verser, c'est l'amour de son Maître. Il se rappelle les faveurs et les bienfaits qu'il a reçus de lui ; il se représente avec quelle ingratitude il l'a renoncé en des circonstances si pénibles : et ce double souvenir remplit son cœur d'amertume et change ses yeux en deux sources de larmes. Il sent alors par expérience la vérité de ces paroles du prophète Jérémie : Comprends et vois combien il est funeste et amer pour toi d'avoir abandonné ton Dieu et renoncé à ton Seigneur. Pourquoi, se dit-il à lui-même, faut-il que je vive encore, après avoir méconnu l'auteur de la vie ? Comment la terre ne s'entrouvre-t-elle pas sous mes pieds, pour m'engloutir et venger ainsi l'injure que j'ai faite à son Créateur ? Comment ma bouche a-t-elle pu prononcer ce fatal serment : Je jure que je ne connais point ce Jésus ?... Il m'a fait tant de bien… Comment ma langue a-t-elle pu se délier, pour proférer cette imprécation terrible : Que Dieu me punisse si je connais cet homme ?... Il m'a montré tant d'amour !... Oh ! qu'il serait juste que la malédiction tombe sur moi, puisque je l'ai choisie ; qu'elle pénètre comme l'eau au dedans de moi, et comme l'huile jusque dans mes os, puisque j'ai fait un pacte avec elle ! Qui donnera à mon cœur l'amertume des eaux de la mer, et à mes yeux une fontaine de larmes, pour pleurer jour et nuit la mort de mon âme, et l'outrage dont je me suis rendu coupable envers mon Sauveur ! Mais je sais que mon Rédempteur est miséricordieux ; je sais qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. Je me tournerai donc vers celui qui a daigné se tourner vers moi ; je regarderai celui qui a voulu me regarder le premier ; je m'approcherai de lui en esprit, et, prosterné à ses pieds, je lui dirai avec l'Enfant prodigue : Ô mon Père et mon maître, j'ai péché contre le ciel et contre vous ; je ne mérite plus d'être appelé votre fils ni votre disciple ; recevez-moi comme un de vos serviteurs dans votre maison, car il n'y a point pour moi d'enfer aussi insupportable que le malheur d'être banni de votre présence.

Ainsi pleurait l'apôtre pénitent. Il s'excitait à une sainte confiance dans la divine miséricorde par le souvenir des paroles mêmes qu'il avait entendues de la bouche de Jésus : Pierre, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères. Ainsi continua-t-il de pleurer tous les jours de sa vie, lorsqu'il entendait le chant du coq ; et la tradition nous apprend qu'il avait les joues creusées et sillonnées par les larmes brûlantes qui coulaient en abondance de ses yeux.

3) Considérons comment le Saint-Esprit éclaira, toucha et convertit en un moment Pierre infidèle.

1° Il lui rappela vivement à la mémoire les paroles de Jésus-Christ.

2° II le porta à sortir du lieu où il était et à fuir ainsi l'occasion périlleuse dans laquelle il se trouvait engagé.

3° Il lui inspira de se retirer à l'écart pour pleurer amèrement son péché. C'est encore la conduite du Seigneur lorsqu'il veut nous ramener d'une manière efficace à son service. Il commence par exciter en nous des sentiments de crainte, de confiance et d'amour. Il éloigne ensuite de nous tout ce qui est obstacle à une sincère pénitence. Enfin, il nous accorde le fruit de nos larmes, c'est-à-dire le pardon de nos péchés, pourvu que nous soyons dans la disposition de nous en confesser au temps convenable.

Ô mon âme, comme tu vois dans la chute de Pierre l'image de ta faiblesse, reconnais aussi dans sa conversion l'efficacité de la grâce divine. À son exemple, pleure devant Dieu tes offenses ; et, ainsi que lui, tu en obtiendras pleinement le pardon. Ainsi soit-il.

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Méditation pour le 1er mystère douloureux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

DE L'APPARITION DE L'ANGE
ET DE LA SUEUR DE SANG

I. — De l'apparition de l'ange

Comme Jésus était en prière, il lui apparut un ange qui venait du ciel pour le fortifier. Ce point présente trois considérations : Quel est celui qui envoya l'ange ; quel était cet ange ; comment il fortifia Notre-Seigneur.

1) Celui qui envoya l'ange, c'est le Père éternel. Voyant son Fils persévérer dans l'oraison, malgré son délaissement et sa tristesse, il voulut lui prouver qu'il prenait soin de lui et qu'il ne rejetait point sa prière, en lui députant ce messager céleste pour le consoler en son nom, comme il avait commandé à d'autres anges de lui porter à manger dans le désert, lorsqu'il eut vaincu le démon. Dieu nous montre par cette conduite le soin paternel qu'il a de ceux qui le prient. Il ne manque jamais, au temps marqué, de les consoler par des anges invisibles, c’est-à-dire par ses inspirations. S'il tarde quelquefois à les visiter, ce n'est pas qu'il les abandonne, c'est qu'il voit que sa visite leur sera plus avantageuse dans un autre temps.

2) On peut croire que l'ange envoyé du ciel fut saint Gabriel ; car c'est lui qui était chargé de servir le Verbe incarné, non à titre d'ange gardien, mais comme ministre et exécuteur de ses ordres en tout ce qui concernait le mystère de la Rédemption. Il vint seul, parce qu'un seul ange suffisait pour accomplir la mission de fortifier le Sauveur ; mais eût-il fallu douze légions d'anges, l'oraison de Jésus était assez puissante pour les obtenir de son Père, comme il le déclara lui-même peu de temps après.

Nous voyons par-là que l'office des esprits célestes est d'assister ceux qui prient, de les consoler, de les animer, de présenter à Dieu leurs prières et de leur apporter la réponse favorable du Très-Haut. L'oraison a encore la force d'attirer les saints anges auprès de nous, et de les faire descendre du ciel en aussi grand nombre que cela est nécessaire pour nous secourir.

3) L'ange, sous une forme, visible, et la compassion sur le visage, adressa au Sauveur des hommes des paroles pleines de respect. Il mit en avant diverses raisons propres à le fortifier et à le consoler dans sa tristesse. « C'était par la volonté de son Père éternel qu'il devait boire ce calice amer et mourir ; sa mort était l'unique moyen de sauver le monde, de tirer des limbes les âmes des justes, de peupler le ciel et d'accomplir les prophéties du reste, sa Passion durerait peu, et elle serait bientôt suivie de la' gloire de la Résurrection et d'un éternel repos. » Telles, avec d'autres semblables, sont les raisons que l'ange proposa à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Sauveur les écoutait avec humilité, voulant nous faire connaître qu'il avait besoin, en tant qu'homme, d'être consolé par ses créatures. Il n'ignorait pas sans doute tout ce que pouvait lui suggérer le messager céleste ; et cependant il prenait plaisir à l'entendre, et il se sentait intérieurement fortifié par ses paroles.

L'exemple de Notre-Seigneur nous enseigne encore à recevoir humblement la consolation, de quelque personne qu'elle nous vienne, quand elle aurait moins de science et de discernement que nous, et quand nous saurons tout ce qu'elle peut nous dire : car il arrive souvent que Dieu console les plus grands par les plus petits, faisant sentir à ceux-là plus vivement des vérités qui leur étaient déjà connues. Apprenons aussi de ce même exemple à nous consoler dans nos maux par des raisons plus divines qu'humaines, et enfin à écouter celles que l'Esprit consolateur a coutume de suggérer aux âmes pour les consoler.

II. — De la sueur de sang

Jésus, entendant le discours de l'ange, tomba en agonie. Il redoublait ses prières, et il eut une sueur comme de gouttes de sang qui coulait jusqu'à terre. Sur ce passage lamentable, considérons attentivement les causes de cette sueur extraordinaire et prodigieuse, qui nous révèle la violence de la douleur que ressentait l'âme très sainte de Jésus-Christ.

1) Figurerons-nous le combat terrible qui s'éleva dans l'intérieur de Jésus. C'était, d'un côté, la tristesse, la crainte de la mort, l'horreur des tourments ; de l'autre, le zèle de la gloire de Dieu et du salut des hommes. L'imagination, remplie de l'idée affreuse de tant de cruelles tortures, ravivait les sentiments de crainte et de tristesse ; mais la raison, approuvant la mort, embrasait le zèle et l'amour et résistait aux sentiments contraires. Dans cette lutte du Sauveur, l'angoisse de son âme s'accrut au point de faire jaillir le sang par tous les pores de son corps adorable, et en si grande abondance, que la terre en fut arrosée.

La manière de vaincre nos passions est de nous mettre distincte­ment devant les yeux, à l'imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, toutes les choses qui nous causent de la crainte et de l'épouvante dans le chemin de la vertu et dans l'accomplissement de la volonté divine, par exemple, la pauvreté, les mépris, la douleur, les maladies ou toute autre difficulté ; puis de lutter généreusement contre nos répugnances, plein de zèle pour la gloire de Dieu et pour notre salut, nous efforçant de soumettre à la loi divine notre nature rebelle, résistant avec énergie, par une sainte haine du péché, à nos inclinations mauvaises, en y résistant, s'il le faut, jusqu'au sang.

2) Réfléchissons sur la charité et la libéralité sans mesure dont Notre-Seigneur nous donne la preuve en répandant lui-même son sang pour nous. C'est pour cela qu'il est comparé dans les Cantiques à l'arbre qui produit la myrrhe. Cet arbre distille d'abord goutte à goutte par tous ses pores, comme une sueur précieuse, la liqueur odoriférante que l'on appelle myrrhe ; mais ensuite on lui fait des incisions et on le dépouille de son écorce pour qu'il la répande en plus grande abondance. De même Jésus-Christ Notre-Seigneur ne peut attendre que les bourreaux tirent son sang de ses veines au moyen des fouets, des épines et des clous ; il veut que son imagination et son zèle lui tiennent lieu de bour­reaux et que la représentation des tourments qu'il doit endurer soit assez vive pour faire couler le sang de sa tête, de son visage, de ses épaules, de sa poitrine et de tout le reste de son corps. De sorte qu'il souffre à la fois au fond de son âme tous les maux qu'il souffrira successivement dans le cours de sa Passion, comme s'il était en même temps pris, flagellé, couronné d'épines, crucifié, abreuvé de fiel, en proie aux douleurs de la mort : tant il est vrai qu'il est plus empressé de répandre son sang pour nous donner la vie que ses ennemis ne sont impatients de lui donner la mort pour assouvir leur haine.

3) La troisième cause de la sueur de sang du Sauveur, c'est qu'il voulait nous montrer le sentiment de compassion vive et tendre que lui causaient nos péchés et les plaies mortelles de son corps mystique qui est l'Église. Profondément touché de nos maux, il n'hésita pas à prendre, en qualité de chef, le remède qui devait guérir les membres ; et ce remède fut si violent qu'il excita par tout son corps cette sueur extraordinaire. Ce qui efface nos péchés, c'est l'eau de nos larmes qui procèdent de la douleur intérieure : or la douleur intérieure du Fils de Dieu fut si véhémente que non seulement elle fit couler de ses yeux des ruisseaux de lardes, mais qu'elle ouvrit tous les pores de son corps pour en faire sortir des ruisseaux de sang qui baignèrent la terre.

4) Notre-Seigneur voulait nous faire comprendre combien il ressentait les peines et les tourments que devait souffrir dans tous les siècles le corps mystique des élus. Selon la pensée de saint Laurent Justinien, Jésus dans son âme, fut alors lapidé avec saint Étienne, crucifié avec saint Pierre et saint André, écorché avec saint Barthélemy, rôti sur un gril avec saint Laurent, déchiré par les bêtes avec saint Ignace ; en un mot, il endura spirituellement tout ce que les martyrs ont depuis souffert dans leurs corps : ce qui le saisit d'une si vive douleur qu'il en répandit une sueur de sang.

5) Pour terminer ce point, songeons que cette sueur si violente dut affaiblir extrêmement le corps de Jésus, qu'étant seul il n'avait ni de quoi s'essuyer, ni personne pour le consoler. Il n'y eut que l'Ange qui, étonné lui-même d'un si étrange spectacle, essaya sans doute de le fortifier de nouveau, jusqu'au moment où le Sauveur se leva et alla au-devant de ses ennemis.

III. — Jésus visite ses apôtres pour la, troisième fois

Après cette lutte terrible et la sueur de sang, Jésus-Christ se leva du lieu où il priait, et il vint pour la troisième fois vers ses disciples. Il les trouva appesantis par le sommeil et il leur dit : Dormez maintenant et reposez-vous. Mais bientôt après il les réveilla, leur disant : C'est assez ; levez-vous, allons : celui qui doit, nous trahir est près d'ici.

1) Considérerons la force et la vigueur que le corps affaibli du Sauveur puisa dans l'oraison, et avec quelle assurance il va au-devant des tourments. Il nous prouve par son exemple l'efficacité et la vertu qu'elle a de fortifier la faiblesse de la chair, jusqu'à lui faire braver avec intrépidité ce qu’auparavant elle fuyait avec horreur.

2) Considérerons la douceur du Seigneur Jésus qui, aussitôt après les angoisses de son agonie, voyant l'insouciance et l'assoupissement de ses disciples, leur dit avec compassion, loin de s'indigner contre eux : Dormez maintenant et reposez-vous.

3) Bientôt après, il les réveille et leur dit : Levez-vous, voici venir le traître. C'est un doux reproche qu'il leur adresse. Vous qui êtes mes amis, vous dormez ; mais votre ennemi ne dort pas. Confondons-nous en voyant que les méchants sont plus ardents à persécuter et à offenser Jésus-Christ, que nous ne le sommes à le servir. Toutefois, mettant notre confiance en sa grâce ; levons-nous avec les disciples pour l'accompagner dans la voie dou­loureuse de sa Passion, nous offrant de bon cœur à souffrir avec lui pour son amour.

APPLICATION DES SENS DE L'ÂME
AU SANG QUE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST RÉPANDIT
AU JARDIN DES OLIVIERS

Pour comprendre la nature de cette manière de méditer, il faut savoir que, comme le corps est doué de cinq sens extérieurs, au moyen desquels il reçoit les impressions des objets sensibles ; de même l'âme, par l'entendement et la volonté, peut former cinq actes intérieurs qui répondent à ceux de nos sens extérieurs, et que nous appelons également : voir, entendre, sentir, goûter et toucher. Par les sens du corps, nous obtenons la connaissance expérimentale des objets sensibles ; par les sens de l'âme, nous acquérons une connaissance expérimentale des choses de Dieu. Il est très utile d'appliquer cette manière d'oraison au sang divin de Jésus.

I. — Application du sens de la vue

Regardons des yeux de l'âme le sang qui coule par tout le corps de Jésus-Christ et demandons-nous quel est celui qui le répand, pour quel motif, de quelle manière et avec quelle affection il le répand. C'est un Dieu qui verse son sang pour effacer nos péchés, avec un amour infini, avec des douleurs inconcevables, au milieu des opprobres et des ignominies. Ce sang est nuancé des vives couleurs des vertus de Jésus : de son humilité, de sa patience, de sa charité. Que cette vue nous inspire des sentiments d'admiration, d'amour, de reconnaissance, avec de fervents désirs d'imiter notre Sauveur.

II. — Application du sens de l'ouïe

Écoutons, de l'oreille de l'âme, la voix du sang de Jésus, le bruit de ce même sang qui arrose la terre, les paroles du Sauveur et le concert harmonieux de ses vertus.

1) Écoutons la voix de ce sang qui s'élève jusqu'au ciel et demande au Père éternel, non point vengeance, comme le sang d'Abel, mais miséricorde pour les pécheurs. Cette voix est si puissante qu'elle obtient ce qu'elle sollicite : et comment pourrait-elle n'être pas exaucée ? Animé de vifs sentiments de confiance, ne craignons pas de demander par les mérites de ce sang divin le pardon de nos péchés.

2) Écoutons les paroles que Jésus-Christ nous adresse en nous montrant son sang : Puisque je verse mon sang divin pour votre salut, n'est-il pas juste que vous répandiez le vôtre pour mon service ? Résistez donc courageusement au péché, et soyez prêt à mourir, s'il le faut, plutôt que de m’offenser.

3) Écoutons les paroles que Jésus dit à son Père éternel en lui offrant son sang pour nous. Oh ! que le Père les écoute favorablement ! qu'il accepte de bon cœur l'offrande que lui fait son Fils ! et qu'il s'engage volontiers à lui accorder tout ce qu'il lui demandera par ce sang adorable !

4) Entendons les gémissements du Sauveur et le bruit de son sang qui ruisselle jusqu'à terre ; ayons compassion de ses douleurs, ressentons-les comme si elles étaient les nôtres, et pleurons amèrement nos péchés qui en sont la cause.

III. — Application du sens de l'odorat

1) Sentons, avec l'odorat de l'âme, la très suave odeur du sang de Jésus, qui monte jusqu'au ciel et apaise l'in­dignation du Tout-Puissant bien plus efficacement que le sang des animaux que Noé immola après le déluge. Oh ! que ce parfum est doux pour le Père éternel qui voit son Fils bien-aimé, tout brûlant d'amour, répandre et offrir son sang pour l'expiation de nos offenses. Il s'est livré lui-même pour nous, dit saint Paul, comme une oblation et une victime en odeur de suavités.

2) Pensons aussi que le sang de Jésus est de très agréable odeur au Père éternel, lorsqu'il lui est offert au saint sacrifice de la messe, et tirons de là de grands sentiments de confiance et d'amour.

3) Enfin, respirons le doux parfum des vertus qui accompagnent l'effusion du sang de Jésus-Christ. Ce céleste parfum fortifiera notre cœur et nous encouragera à imiter les vertus dont notre Sauveur nous donne l'exemple ; courrons après lui et faisons tous nos efforts pour l'atteindre dans cette sainte carrière. Imaginons que si notre humilité, notre patience et notre obéissance sont teintes de notre sang mêlé avec celui de Jésus, elles seront d'une très suave odeur au Père éternel, à cause de la ressemblance qu'elles auront avec celles de son Fils. Cette ré­flexion nous inspirera un ardent désir d'imiter jusqu'à la mort le Roi des vertus.

IV. — Application du sens du goût

1) Goûtons, avec le goût de l'âme, la suavité et la douceur du sang de Jésus et des vertus qui éclatent dans cette sueur douloureuse ; représentons-nous le contentement indicible que goûtait le Sauveur, dans la partie supérieure de son âme, à le répandre pour obéir à son Père et pour sauver les pécheurs.

2) Goûtons de même la douceur de ce sang quand nous le buvons au saint Sacrement de l'autel. Cette douceur sera un rafraîchissement très agréable pour notre âme, et elle excitera sans cesse en nous un nouveau désir de le recevoir.

3) Goûtons aussi la douceur que ce sang a la vertu de répandre sur toutes les choses amères, pourvu que nous ayons soin de les tremper dans cette liqueur divine, qui doit être l'assaisonnement de l'obéissance, des humiliations, des travaux, des mépris et de toutes les peines de cette vie.

4) Mais surtout, appliquons-nous à goûter les amertumes et les douleurs que notre Sauveur ressentit dans sa chair adorable ; efforçons-nous de les éprouver en nous-même, selon le conseil de l'Apôtre : Ressentez en vous ce que Jésus-Christ a ressenti en lui.

V. — Application du sens du toucher

Touchons, avec le toucher de l'âme, le sang de Jésus, baisons-le de nos lèvres, plongeons-nous tout entier dans ce sang de l'Agneau immaculé, afin de sortir net et pur de ce bain sacré.

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