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Méditation sur le 1er mystère douloureux

 Tirée de L'Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu
de Dom Paul Delatte, osb


L'agonie de Jésus au jardin des oliviers

 

Il nous semble qu’on peut distinguer dans la Passion trois phases : la douleur, l’humiliation, la souffrance. Sans doute, il y eut de la souffrance dans la période que nous appelons de l’humiliation ; et la douleur, c’est-à-dire la peine de l’âme et l’angoisse du cœur, a duré jusqu’aux derniers moments ; mais ce nous est une loi de caractériser des époques par l’élément qui y prédomine et en fait la physionomie, encore qu’il ne soit pas exclusif.

Après avoir récité l’hymne d’action de grâces qui suivait la Cène, et s’être entretenu longuement avec les apôtres, le Seigneur sort du Cénacle. En compagnie des onze disciples fidèles, il se dirige vers le jardin de Gethsémani, à l’est de Jérusalem, sur les pentes occidentales de la montagne des Oliviers. Il fallait, pour s’y rendre, sortir de la ville et traverser le ravin du Cédron, à la hauteur du temple. Ce jardin était une retraite familière au Seigneur et aux apôtres, connue par conséquent du traître lui-même. Laissant à l'entrée huit de ses disciples, le Seigneur leur dit : « Asseyez-vous ici, pendant que j’irai là-bas pour prier. » Il prend avec lui les trois privilégiés, jadis témoins de la Transfiguration : Pierre et les fils de Zébédée, Jacques et Jean. Dès lors, l’agonie commence, avec ses terreurs et son accablement. Et il leur dit : « Mon âme est triste jusqu’à la mort. Demeurez ici, et veillez avec moi. » Puis il s’avance encore de quelques pas, à la distance d’un jet de pierre environ ; et, tombant à genoux, prosterné la face contre terre, il prie et demande à son Père que, s’il est possible, cette heure s’éloigne de lui.

Rappelons-nous ce que nous avons dit souvent de la réalité de la nature humaine de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Jamais il n’y eut instrument de souffrance aussi délicat. Et à cette heure, il porte, devant la redoutable justice de Dieu, le fardeau de tous les crimes du monde ; selon la doctrine de saint Paul : « Celui qui ne connaissait pas le péché, a été fait pour nous péché et malédiction » (II Cor., V, 21 ; Col., III, 13). Il est broyé sous ce poids de honte. Les trois synoptiques nous ont conservé les termes mêmes de sa prière : « Abba, Père ! Mon Père ! Tout vous est possible : éloignez de moi ce calice. Et cependant, non ce que je veux, mais ce que vous voulez, vous ! » C’est l’homme qui parle, avec sa volonté sensible, frémissante, mais toujours gouvernée par sa volonté raisonnable, laquelle adhère pleinement à la volonté de Dieu.

Une heure s’écoule. Jésus revient vers les trois disciples : ils dormaient. Et il dit à Pierre : « Vous dormez, Simon ! Vous n’avez pu veiller une heure avec moi ? Veillez et priez, afin de ne pas entrer en tentation ; car l’esprit est prompt, mais la chair est faible. » L’esprit, c’est l’âme, la volonté, avec ses enthousiasmes faciles : les apôtres, et surtout Simon Pierre, expérimenteront bientôt tristement combien fragile est la chair. Une seconde fois, le Seigneur se retire pour prier. La supplication est la même, jaillissant du même fond de détresse, s’adressant au même Dieu et Père. Pourtant, elle laisse pressentir que la décision divine est sans appel, et l’acceptation du Fils devient absolue : « Mon Père, si ce calice ne peut s’éloigner sans que je le boive, que votre volonté soit faite. » Puis, il revient près des apôtres, qu’il trouve encore appesantis de sommeil, accablés de tristesse, dit saint Luc. Leurs paupières sont lourdes, et, dans leur confusion, ils ne savent que répondre. Nulle consolation ne devait venir au Seigneur de l’affection humaine : Torcular calcavi solus. Mais lorsqu’il le fut retiré à l’écart, redisant toujours la même prière, avec plus d’instance et de tendresse, un ange du ciel descendit pour le conforter mystérieusement. La douleur, cependant, ne fut pas diminuée : car du visage et des membres sacrés s’échappaient et tombaient jusqu’à terre les grosses gouttes d’une sueur de sang, comme si l’écrasant fardeau du péché eût exprimé sa vie.

Le Seigneur rejoignit ensuite les disciples et leur dit : « Dormez maintenant, et reposez-vous. » On a cru quelquefois à l’ironie de ces paroles ; il est mieux d’y entendre une invitation réelle adressée par le Seigneur aux apôtres. Il leur permet de continuer leur sommeil. Bientôt, un bruit de pas se fait entendre. « Il suffit ! dit le Seigneur. L’heure est venue : le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Celui qui me trahit s’approche. »

Le Seigneur parlait encore lorsqu’une troupe armée pénétra dans le jardin. Soudoyée par les princes des prêtres, les scribes et les anciens du peuple, c’est-à-dire par le sanhédrin, elle se composait surtout de gardiens du temple, de serviteurs employés aux bas offices ; mais le texte de saint Jean (XVIII, 12) nous apprend qu’elle était appuyée d’un groupe de soldats romains, commandés par un tribun ou par un officier subalterne : il y avait une apparence de régularité dans cette intervention de la force publique. Saint Luc (XXII, 52) signale la présence de quelques scribes et prêtres, venus en curieux ; une bande confuse, avec des torches, des lanternes, des glaives, des bâtons. Il était environ une heure du matin ; la lune était pleine, la nuit claire ; mais il existait peut-être dans le jardin des retraites bâties ou des cavernes naturelles, où le Seigneur aurait pu chercher un abri : toutes précautions étaient prises pour l’y découvrir. Judas marchait devant. Le traître était convenu de ce signal avec les gardes : « Celui que j’embrasserai, c’est lui : saisissez-le, et emmenez-le avec précaution. » Pressant le pas, il vint droit à Jésus, le salua comme à l’ordinaire du nom de Rabbi et l’embrassa longuement. « Mon ami, dit le Seigneur, c’est pour cela que vous êtes venu ?... Judas ! C’est donc par un baiser que vous trahissez le Fils de l’homme ! »

La troupe était demeurée, semble-t-il, à quelque distance. Le Seigneur lui épargne toute hésitation. Il se dérobe quand on veut faire de lui un roi, mais il s’offre de lui-même lorsque la haine veut s’emparer de sa personne. Il sait ce qui l’attend ; et, se présentant en pleine lumière, il dit aux soldats : « Qui cherchez-vous ?— Jésus de Nazareth ! » répondent-ils. Beaucoup peut-être ne le connaissaient pas. Ils ne savaient que la consigne, qui était d’arrêter Jésus de Nazareth. « C’est moi », dit le Seigneur. La majesté tranquille du Fils de Dieu, la surprise, une force divine font reculer les assaillants et les jettent à terre, Une seconde fois le Seigneur demande : « Qui cherchez-vous ? — Jésus de Nazareth ! » Les disciples étaient près de lui. En se livrant, le Seigneur qui connaît d’avance et prépare sa solitude qui veut aussi défendre les siens contre l’hostilité juive, use une fois encore de son autorité divine afin de les abriter. « Je suis celui que vous cherchez, dit-il ; laissez donc ceux-ci s’en aller. » C’était, remarque saint Jean, afin que s’accomplît la parole prononcée naguère par le Seigneur : « Je n’ai perdu aucun de ceux que vous m’avez donnés » (XVII, 12). C’était aussi le geste du bon pasteur, éloignant tout danger de ceux qu’il aime (Jn., X, 11 ss).

Cependant la troupe s’était relevée et allait mettre la main sur Jésus, lorsque, du groupe des disciples, quelqu’un s’écria : « Seigneur, si nous nous servions du glaive ? » Et sans attendre la réponse, Simon Pierre (saint Jean seul l’a nommé) dégaina et frappa à l’oreille droite un serviteur du grand-prêtre, nommé Malchus. Mais le Seigneur ne voulait pas de résistance ; il invita l’apôtre à s’en tenir là et lui dit : « Remettez votre glaive au fourreau ; car tous ceux qui prendront le glaive périront par le glaive. Vous ne songez donc pas qu’il me suffirait de prier mon Père pour qu’il m’envoie aussitôt plus de douze légions d’anges ? Mais alors, comment s’accompliraient les Écritures, qui ont prédit ce qui arrive ? Puis-je refuser de boire le calice que me présente mon Père ? » Et touchant l’oreille de Malchus, il la guérit.

Puis, s’adressant à la foule des assaillants et spécialement aux meneurs, prêtres, gardiens du temple et anciens, Jésus leur dit : « Comme pour un brigand, vous êtes venus à moi, avec des glaives et des bâtons ! Chaque jour, je me tenais assis parmi vous, enseignant dans le temple, et vous n’avez pas mis la main sur moi. Mon heure n’était pas venue. Mais maintenant, c’est la vôtre, et celle de la puissance des ténèbres. Tout cela est arrivé afin que fussent accomplies les paroles des prophètes. » La liberté, la souveraineté du Seigneur, la spontanéité de son oblation sont partout visibles, partout affirmées. Les faits se déroulent selon un programme divin déterminé depuis des siècles. C’est alors, sur le congé que le Seigneur leur donne, que les valets juifs et les soldats romains s’emparent de lui et lui lient les mains. Les disciples, si braves et si présomptueux naguère, l’abandonnent et s’enfuient, tous. Cependant, note saint Marc, un jeune homme le suivait, enveloppé Seule- ment d’un drap, c’est-à-dire d’un vêtement de nuit ; on le saisit ; mais, lui, lâchant le drap, s’enfuit nu et leur échappe. Probablement, ce mystérieux jeune homme habitait-il une maison voisine et était-il accouru au bruit. Il n’est pas impossible qu’il s’agisse de saint Marc lui-même.

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