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Méditation pour le 5e mystère joyeux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

La vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ
à Nazareth jusqu'à l'âge de trente ans

I. — Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâce

Considérons, en premier lieu, comment le Sauveur, ainsi que le rapporte saint Luc, croissait durant ce temps-là en sagesse, en âge et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. Il est vrai que Jésus-Christ notre Seigneur, ayant reçu dès le premier moment de sa conception la plénitude de la sagesse et de la grâce, ne pouvait en acquérir davantage ; cependant, il ne laissait pas de croître dans l'exercice des vertus, et de donner de jour en jour des marques plus éclatantes de sagesse et de sainteté : comme le soleil, qui est toujours le même, et dont la clarté ne cesse de croître depuis le commencement jusqu'au milieu du jour.

Il voulut nous faire entendre, par son exemple, combien il désire que ses enfants croissent tous les jours en vertu. Car il y a, entre les enfants du premier Adam et ceux du second, une différence bien digne de notre attention. Ceux-là sont portés au mal dès leur jeunesse ; et, à mesure qu'ils croissent en âge, ils croissent aussi en malice, selon cette parole de David : L'orgueil de ceux qui vous haïssent monte et augmente sans cesse. Ceux-ci, au contraire, aiment la vertu aussitôt qu'ils sont capables de la con­naître. Ils s'accoutument dès le bas âge, dit le prophète Jérémie, à porter le joug de la loi divine ; ils s'élèvent au-dessus d'eux-mêmes, et, oubliant le bien qu'ils ont déjà fait, ils ne pensent qu'à celui qui leur reste à faire. À mesure qu'ils avancent dans la carrière, ils montent de vertu en vertu, jusqu'à ce qu'ils parviennent au sommet de la perfection. Cette faveur singulière, Notre-Seigneur l'accorda à la Vierge sa Mère et à Jean son précurseur, comme nous l'avons dit plus haut ; et il ne la refusa point à d'autres saints illustres qui, ayant commencé à le servir dès leurs plus tendres années, vérifièrent par leurs progrès constants cette parole du Sage : Le sentier des justes est comme une lumière brillante qui s'avance et croît jusqu'au jour parfait.

Mais pour descendre à quelque chose de plus particulier, considérons plusieurs classes de personnes qui commencent à servir Dieu, soit dans leur enfance, soit à toute autre époque de la vie.

1) Les uns, loin d'avancer dans le chemin de la vertu où ils sont entrés, y ont à peine fait quelques pas, qu'ils retournent en arrière. C'est d'eux que le Sauveur parle dans saint Luc, lorsqu'il dit : Celui qui met la main à la charrue et regarde derrière soi, n'est point propre au royaume de Dieu ; et, par conséquent, il ne sera bon qu'à être jeté dans les flammes de l'enfer. Nous devons trembler, si cette menace me regarde, et me rappeler cette autre parole de Jésus-Christ à ses disciples : Souvenez-vous de la femme de Loth. Elle tourna un moment la tête pour contempler l'embrasement de Sodome, d'où elle venait de sortir, et elle fut à l'instant même changée en une statue de sel : aver­tissement terrible pour tous ceux qui manquent de persévérance dans la voie du service de Dieu.

2) D'autres commencent avec ferveur ; mais au lieu de devenir plus fervents de jour en jour, ils se relâchent peu à peu, soit en omettant quelques exercices de piété, soit en n'y apportant pas la même application qu'au commencement. Ils n'ont point encore perdu la grâce de Dieu ; mais ils courent risque de la perdre, et par là, ils exposent leur salut, comme cet évêque d'Éphèse dont il est parlé dans l'Apocalypse. Bien que le Sauveur reconnaisse en lui plusieurs vertus, il lui reproche de s'être relâché de sa première charité, et il ajoute : Souviens-toi de l'état d'où tu es déchu ; fais-en pénitence, et reprends la pratique de tes premières œuvres : si tu y manques, je te déclare que je viendrai bientôt, que je te demanderai compte de toutes tes actions, et que je te dépouillerai de la dignité dont je t'ai revêtu. C'est-à-dire : Sache que perdre sa première ferveur, c'est tomber d'un lieu élevé dans un autre plus bas : si tu ne te relèves de ta chute, tu es indigne de l'honneur auquel je t'ai appelé.

3) Plusieurs commencent et continuent à pas lents, sans désir d'avancer dans la vertu. À l'extérieur, ils paraissent se soutenir ; à l'intérieur, ils deviennent plus faibles chaque jour et finissent le plus souvent par tout abandonner. Car c'est une maxime des maîtres de la vie spirituelle : Dans le chemin du ciel, il est impossible de rester au même point ; ne pas avancer, c'est reculer.

Quatrièmement. Enfin, il en est qui, dès leur entrée dans la carrière, comptant non sur leurs propres forces, mais sur le secours de la grâce, méditent dans leur cœur, comme parle le Psalmiste, sur les moyens qu'ils doivent prendre pour élever leur esprit à Dieu dans cette vallée de larmes, et se perfectionner dans l'accomplisse­ment de sa loi. Puis, bénis du, divin Législateur, ils mettent courageusement en pratique leurs saintes résolutions, et vont de vertu en vertu, jusqu'à ce qu'ils voient le Dieu des dieux dans Sion. Ce sont là les véritables imitateurs de Jésus-Christ, que, nous aussi, nous devons imiter. Rougissons à la pensée que nous sommes tant de fois retournés en arrière dans le chemin de la vertu, soit en nous relâchant de la ferveur avec laquelle nous avions commencé, soit peut-être en nous accoutumant à une vie tiède. Encourageons-nous du moins à être plus fervent à l'avenir ; et demandons cette grâce à Notre Seigneur.

II— Devant quelles personnes et en quelles choses croissait le Seigneur Jésus

1) L'évangéliste saint Luc nous fait remarquer en premier lieu, que le Sauveur du monde croissait devant Dieu et devant les hommes. L'exemple de notre divin Maître nous enseigne que nous avons deux extrêmes à éviter.

Relativement au premier, il se rencontre des hommes fervents, mais indiscrets. À les voir et à les entendre, il leur suffit de croître devant Dieu, sans se mettre en peine des hommes, sans avoir égard à la bonne ou à la mauvaise édification qui peut résulter de leur conduite : comme si celui qui aime Dieu n'était pas obligé d'aimer le prochain, et d'observer, ainsi que parle l'Apôtre, tout ce qui peut servir à l'édification de ses frères. Recherchons, sans doute, et avant tout, le bien de notre âme ; mais nous nous garderons, avec le plus grand soin, de scandaliser les témoins de nos actions.

Le second extrême est celui des hypocrites, ou faux dévots. Leur unique but est de croître devant les hommes. Ils ne négligent rien pour se faire regarder comme de vrais saints, et ils ne tiennent nul compte du véritable avancement, que David appelle le progrès du cœur.

Or Jésus-Christ nous apprend par son exemple que nous devons faire marcher de front ces deux progrès, sans que l'un porte préjudice à l'autre. Proposons-nous d'abord de nous rendre saint aux yeux de Dieu, puis nous nous efforcerons d'édifier les hommes, non pour nous attirer leur estime et leurs louanges, mais afin qu'ils glorifient le Seigneur, et qu'ils avancent eux-mêmes dans le chemin de la vertu. Si, après avoir fait de notre côté ce que nous devons faire, il se trouve des esprits mal disposés qui murmurent ou se scandalisent de notre conduite, nous ne laisserons pas de faire tout notre possible pour croître devant Dieu et devant les hommes de bien : ceux-là seuls méritent le nom d'hommes.

2) Le même évangéliste nous dit que Jésus-Christ croissait en sagesse et en grâce, parce que c'est en ces deux points que consiste le véritable avancement.

Suivant cela, nous devons en premier lieu croître en sagesse, c'est-à-dire dans les actes qui en sont les effets. Ces actes sont la méditation et la contemplation des choses célestes, la prudence dans les actions et dans la conduite des affaires. De plus, l'homme qui est éclairé des lumières de la sagesse apprécie chaque chose à sa juste valeur : il estime par dessus tout les biens éternels, et il fait peu de cas des biens temporels, et ses entretiens sont assaisonnés du sel de la discrétion.

Nous devons, en second lieu, croître en grâce, c'est-à-dire dans l'exercice des vertus qui nous rendent agréables à Dieu et aimables aux hommes. C'est à la pratique de ces vertus que s'appliqua notre divin Sauveur durant tout le temps de sa vie cachée. Son unique occupation était de produire des actes héroïques d'amour de Dieu et de zèle de sa gloire ; de soupirer après le moment de la Rédemption du monde ; de gémir amèrement des offenses commises contre la majesté divine ; de pleurer dans son cœur la perte de tant d'âmes qu'il voyait courir à leur ruine, et de prier sans cesse pour les préserver de la damnation éternelle. Aussi se rendit-il par là si agréable au cœur de son Père, qu'il était l'objet de ses complaisances, comme Dieu le Père le déclare lui-même par la bouche d'un de ses prophètes. Ajoutons qu'il édifiait les hommes par de rares exemples de modestie, d'humilité, de patience, de douceur et de soumission, qui le faisaient aimer de tous ceux qui avaient le bonheur de le voir ou de l'entendre ; car sa conversation n'avait rien de triste, de fâcheux ou de blessant, et jamais il ne lui échappait aucune parole qui pût offenser personne.

3) Enfin, pour nous encourager nous-même à profiter des exemples de notre Sauveur, considérons les fruits précieux qu'en retirait l'heureuse Marie. Sans cesse elle avait les yeux attachés sur ce grand modèle ; à son imitation, elle croissait à chaque instant en sagesse et en grâce, devant Dieu et devant les hommes ; et Jésus prenait un plaisir infini à contempler la sainte émulation de sa divine Mère.

III. — Jésus soumis

Considérons, en troisième lieu, comment durant tout ce temps, Notre-Seigneur, dit saint Luc, était soumis à sa Mère et à saint Joseph, leur obéissant en tout ce qu'ils lui commandaient. Demandons-nous à nous-même quel est celui qui obéit ; en quoi, et de quelle manière il obéit.

1) Celui qui obéit, c'est Dieu même, le Créateur et le Maître souverain de l'univers, à qui le ciel et la terre doivent tout respect et une obéissance absolue. On comprend sans peine que Jésus-Christ, en tant qu'homme, ait obéi au Père éternel : cela était chose de rigueur ; mais ce qu'on ne saurait assez ad­mirer, c'est qu'il ait daigné s'assujettir à sa Mère et à un pauvre artisan, et faire voir en sa personne le Créateur dépendant de ses créatures, le maître soumis à ses serviteurs, et le roi gouverné par ses sujets. Qu'y a-t-il de plus fort pour confondre notre orgueil et notre rébellion ? Ver de terre, comment ne pas te soumettre à l'homme pour Dieu, quand Dieu, pour l'amour de toi, se soumet aux hommes ? Dieu obéit à la voix de l'homme, et toi, homme misérable, tu refuses d'obéir à la voix de Dieu ?

2) Jésus obéissait dans les travaux les plus obscurs qui se présentent journellement dans l'atelier d'un charpentier ; il aidait aussi sa Mère dans les détails du ménage : ainsi voyons-nous les enfants remplir l'office de serviteur dans la maison de leurs parents, lorsqu'ils sont pauvres. Or, il s'acquittait de tout avec une humilité, une exactitude, une diligence et une allégresse incomparables, n'omettant rien de ce que requiert l'obéissance parfaite. C'est en effet le propre de cette vertu d'embrasser également ce qui est grand et ce qui est petit, ce qui est facile et ce qui est difficile, ce qui est glorieux et ce qui est méprisable. Car depuis que Dieu lui-même s'est humilié jusqu'à obéir dans les choses les plus basses, rien ne semble petit à une âme obéissante, tout lui paraît grand dans la maison du Seigneur, dès que le Sei­gneur l'ordonne. Il suffit que Dieu commande, pour qu'il soit honorable d'obéir. Ainsi l'archange Raphaël tenait à honneur de rendre au jeune Tobie les plus simples services, par la seule raison que telle était la volonté de Dieu.

3) Concluons de ce qui précède que l'excellence de la vie spirituelle consiste moins à faire des œuvres éclatantes par elles-mêmes, comme à prêcher, à gouverner, qu'à exécuter ce que Dieu veut, quand ce serait ce qu'il y a au monde de plus vil : pourvu toutefois que l'on s'en acquitte d'une manière relevée, c'est-à-dire avec un ardent amour de Dieu, avec une intention pure de sa gloire, avec promptitude et joie de cœur, enfin, avec un fervent désir de plaire à la majesté divine. C'est à quoi nous exhorte le Sage, lorsqu'il dit : Faites excellemment toutes vos œuvres de sorte qu'elles paraissent excellentes aux yeux de Dieu. Assurément, si nous considérons avec quel esprit de sainteté agissait le Sauveur des hommes, nous reconnaîtrons qu'il méritait autant en sciant le bois dans l'atelier de Joseph, qu'en évangélisant les peuples et en opérant -des miracles. De même, l'auguste Marie n'était pas moins agréable aux yeux du Tout-Puissant lorsqu'elle maniait le fuseau, que lorsqu'elle servait son divin Fils ou souffrait pour sa cause. — Nous devons donc nous efforcer d'imiter ces deux modèles, si nous voulons arriver par une voie sûre et abrégée à une haute perfection.

IV. — Jésus artisan

Considérons, en quatrième lieu, que Jésus-Christ notre Seigneur exerça jusqu'à l'âge de trente ans le métier de charpentier, comme le fait conjecturer ce que disaient de lui les habitants de Nazareth, selon saint Marc : N'est-ce pas le charpentier, le Fils de Marie ? Examinons ici les raisons qui portèrent le Verbe incarné à embrasser cet état, et à ne point l'abandonner même après la mort de saint Joseph, supposé que ce saint mourût avant que Jésus eût accompli sa trentième année.

1) Ce fut pour fuir l'oisiveté, nous donner l'exemple du travail et nous apprendre à être toujours occupés : car l'oisiveté, dit le Sage, est l'école de tous les vices.

2) Ce fut encore pour montrer qu'il ne prétendait pas s'exempter de la malédiction que Dieu lança contre le premier homme, lorsqu'il lui dit : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. Il ne vécut en effet durant tout ce temps-là que du travail de ses mains, et c'est à son exemple que saint Paul et plusieurs autres saints ont voulu travailler pour subvenir à leur subsistance.

3) Ce fut enfin pour pratiquer l'humilité dans un genre de vie méprisable aux yeux des mondains orgueilleux. Car les hommes et les parents mêmes de Jésus ignoraient qu'il avait choisi cet état par un effet de sa volonté, comme font quelque­fois des gens instruits et de condition, auxquels un art mécanique sert d'occupation ; mais tous croyaient que c'était par nécessité et pour gagner sa vie. Aussi les personnes riches et nobles n'avaient‑elles pas pour lui plus d'égard que l'on n'en a communément pour un simple artisan.

Ces réflexions devront exciter en nous des sentiments d'admira­tion accompagnés d'un vif désir d'imiter ce que nous admirons. Méditons attentivement avec quel esprit le Fils de Dieu s'appliquait à son emploi, travaillant du corps et priant du cœur ; et efforçons-nous de faire avec les mêmes intentions divines toutes nos œuvres extérieures. Nous pourrons encore jeter les yeux sur ces vaillants et religieux guerriers que l'Écriture loue en ces termes : Leur cœur priait tandis que leurs mains combattaient, et ils remportèrent ainsi sur les ennemis d'Israël de glorieuses victoires. Il est facile, écrit saint Augustin à ses solitaires, d'allier avec le travail des mains la prière de la langue et du cœur.

V. — Jésus caché pendant trente ans

1) Considérons, en cinquième lieu, comment Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui possédait en lui tous les trésors de la sagesse et de la science divines, toutes les grâces et tous les dons célestes, qui avait le pouvoir de faire des miracles comme ceux que l'on verra dans la suite, voulut nous donner un exemple de la plus étonnante humilité, en ensevelissant dans un profond silence, durant l'espace de trente années, tant de qualités mer­veilleuses, naturelles et surnaturelles. En effet, il s'abstint con­stamment de prêcher, d'enseigner, de fréquenter les écoles, de se trouver aux assemblées des docteurs, comme on peut l'inférer de ces paroles des Juifs rapportées par saint Jean : Comment celui-ci sait-il les Écritures, puisqu'il ne les a jamais apprises ? Il n'y avait pas jusqu'à ses proches qui ne le tinssent pour un ignorant. Aussi quand ils l'entendirent parler en public, ils voulurent, nous apprend l'évangéliste saint Marc, se saisir de lui, jugeant qu'il était devenu fou, ou frénétique, ou démoniaque, et ne pouvant se persuader que de telles paroles et de telles œuvres fussent celles d'un homme qu'ils avaient toujours vu jusqu'alors exercer le métier de charpentier.

2) Considérons que Jésus caché est pour nous une source d'importantes leçons : voici les principales.

Dérober aux yeux des hommes les dons de Dieu, lorsqu'il n'est point nécessaire de les publier pour sa gloire. Nous défier de nous-mêmes lorsqu'il nous vient la pensée de les découvrir avant le temps, dans l'intention peut-être de nous attirer des louanges ; mais plutôt être bien aises de rester inconnus, et même de passer pour insensés, si Dieu le permet ainsi. Jeter avant tout de profondes racines dans l'humilité et dans l'amour du silence, par la raison que ce sont là les exemples que nous a laissés notre Rédempteur. Son zèle immense pour le salut des âmes ne peut l'obliger à parler avant le jour et l'heure qu'il s'était marqués. Sans aucun doute, il pouvait commencer sa prédication à l'âge de vingt-cinq ans et même plus tôt ; il ne le fit point ; il jugea plus convenable de nous enseigner, par la pratique de la mor­tification et du silence, à marcher dans le chemin assuré de l'humilité.

Il voulut aussi nous faire connaître que nul ne doit s'ingérer dans le ministère redoutable de la parole avant d'avoir atteint l'âge parfait ; avant d'avoir appris dans la retraite ce qu'il doit enseigner aux autres, et acquis un fonds suffisant d'humilité pour paraître en public, sans être en danger de s'enorgueillir.

Enfin, ce n'est pas sans mystère que le Fils de Dieu qui ne devait prêcher que trois ans, en passa trente dans le silence, et n'employa à instruire les peuples que la dixième partie du temps qu'il était demeuré dans la solitude. Il nous fait voir par-là que nous devons consacrer aux exercices de l'humilité, d'où dépend notre progrès spirituel, un temps beaucoup plus considérable qu'aux fonctions extérieures qui regardent le prochain, si nous voulons être en état de travailler au bien de nos frères, sans nous nuire à nous-mêmes.

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Méditation pour le 4e mystère joyeux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

Le saint vieillard Siméon
et
la prophétesse Anne

I. — Siméon attend la rédemption d'Israël

Or il y avait à Jérusalem un homme juste et craignant Dieu, nommé Siméon. Il attendait la venue du Messie qui devait être la consolation d’Israël ; et le Saint-Esprit était en lui. Et il lui avait été révélé par le Saint-Esprit qu'il ne mourrait point avant d'avoir vu le Christ du Seigneur.

1) Comme le Saint-Esprit donna à Zacharie et à sainte Élisabeth le don de prophétie pour publier la venue du Fils de Dieu avant sa naissance ; de même il suscite deux autres prophètes pour le faire connaître aussitôt qu'il est né. Le premier est Siméon, vieillard vénérable doué de toutes les vertus et de toutes les qualités requises pour s'acquitter dignement de son ministère. C'est un homme juste et craignant Dieu, rapporte l'évangéliste saint Luc. Il gardait avec une exactitude extrême toutes les observances de la loi, sans en omettre aucune, parce que la crainte du Seigneur consiste à fuir les fautes les plus légères, selon cette parole du Sage : Celui qui craint Dieu ne néglige rien, ne regarde rien comme petit. Il nourrissait dans son cœur une ferme espérance, accompagnée d'un continuel désir de voir le Messie, dont le peuple d'Israël attendait sa consolation et son salut. Enfin, il le priait instamment de hâter le moment de sa venue, afin d'avoir le bonheur de le contempler avant que la mort lui fermât les yeux. Telle était l'occupation de sa vie, et il mérita par l'exercice de ces vertus que l'Esprit-Saint habitât en lui.

Comprenons par là qu'une âme pure et libre des attachements de la terre, demande hardiment à Dieu de grandes choses. Témoin Moïse qui ne craint pas de dire au Seigneur : Manifestez-moi votre gloire, découvrez-mot votre visage. Témoin l'Épouse dans les Cantiques : Indiquez-moi, dit-elle à son bien-aimé, où vous menez paître vos brebis, où vous reposez au milieu du jour. De même, Siméon, le juste, désire voir de ses yeux le Messie ; il le désire et il l'obtient. Une grande foi, dit saint Bernard, mérite de grandes grâces ; et plus votre confiance osera demander au Seigneur, plus vous recevrez de sa main libérale.

2) L'Esprit-Saint, qui se plaît à faire la volonté de ceux qui le craignent, et à exaucer les désirs des pauvres qui vivent dans son amour, veut consoler Siméon et récompenser sa foi, en lui donnant l'assurance qu'il ne sortira point de ce monde avant d'avoir vu le Christ du Seigneur. Apprenons de là combien il est avantageux à l'homme de savoir traiter familièrement avec ce divin Esprit, et de le posséder avec la plénitude de ses dons. Car c'est lui-même, ainsi que saint Paul nous l'enseigne, qui prie en nous et pour nous avec des gémissements ineffables ; c'est lui qui nous assure par avance que la prière dont il est l'auteur sera exaucée dans son temps, bien que ce temps soit parfois éloigné, comme il arriva au saint vieillard Siméon. Dieu veut en effet que notre espérance soit soutenue par la patience, et que nous nous disposions par cette vertu à recevoir les grâces que nous attendons.

3) Voyons comment le Seigneur accorde quelquefois dès cette vie aux âmes ferventes le bonheur qu'il promet aux justes dans la vie future. Même ici-bas, il leur est donné de voir Jésus-Christ dans la contemplation, selon cette promesse du Sauveur Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu.

Ô Dieu éternel, qui avez dit : Nul homme ne me verra sans mourir ; faites que je meure pour vous voir ; faites que je vous voie pour mourir. Que je vous voie sur cette terre par la contemplation, afin que je meure à moi-même par une entière mortification, et que, mourant d'une si heureuse mort, je mérite de vous contempler éternellement dans votre gloire. Ainsi soit-il.

II. — Siméon reçoit l'Enfant-Dieu dans ses bras

Le jour même où la Vierge présenta au Père éternel son Divin Fils, Siméon alla au temple par le mouvement de l'esprit de Dieu qui était en lui ; et dès qu'il la vit entrer, une lumière céleste lui fit connaître que cet enfant était le Messie. Il le prit aussitôt entre ses bras, et il loua Dieu, en disant : C'est maintenant, Seigneur, que vous laisserez mourir en paix votre serviteur, selon votre parole ; car mes yeux ont vu votre salut...

1) Avec quelle fidélité et quelle libéralité l'Esprit-Saint accomplit sa promesse ! Pour consoler pleinement son serviteur, il lui accorde plus qu'il ne lui a promis. Tout ce qu'il lui avait fait espérer, c'était de voir le Messie ; et voilà que, par une faveur inattendue, il lui permet de le prendre entre ses bras, de le couvrir de ses baisers, de le presser amoureusement sur son cœur. Oh ! qu'elles sont vraies ces paroles de l'Apôtre : Le Tout-Puissant peut faire en nous et pour nous infiniment plus que nous ne saurions demander, ni même comprendre. Qui donc ne s'estimerait heureux de servir un maître qui nous fait les plus avantageuses promesses ; qui les garde inviolablement ; qui donne même plus qu'il n'a promis, s'il trouve en nous une fidèle correspondance ?

Ce qui se passa dans la présentation de Jésus se reproduit de nos jours. Lorsque Marie entra dans le temple, il s'y rencontra des personnes de toute condition : des docteurs et des prêtres, des nobles et des plébéiens, des riches et des pauvres. Et cependant, le Seigneur n'ouvrit les yeux de l'âme qu'à Siméon, il ne se manifesta qu'à lui seul, en récompense de la sainteté de sa vie, et de la dévotion qui l'avait amené au temple. Tous les autres ne firent aucune différence entre cet Enfant divin et les enfants ordinaires, auxquels, extérieurement, il était en tout semblable. De même aujourd'hui, parmi cette multitude de personnes qui entrent dans nos églises, il en est peu qui, éclairées par la lumière céleste, découvrent Notre-Seigneur présent dans son tabernacle, peu qui l'adorent avec dévotion, et méritent de le recevoir spirituellement dans leur âme et de participer avec joie à ses grâces. Ce n'est pas que cet aimable Sauveur ne souhaite ardemment de se faire connaître et sentir à tous les hommes ; mais petit est le nombre de ceux qui se présentent devant lui avec les mêmes dispositions que Siméon, prêts à recevoir les bienfaits dont il est lui-même prêt à les combler.

Ô mon âme, entre avec esprit de recueillement dans le temple où Jésus réside, afin que tu mérites de le voir des yeux de la foi, et de l'embrasser avec dévotion et avec amour.

2) De quelles consolations fut inondée l'âme de ce saint vieillard, lorsqu'il vit et qu'il reçut dans ses bras son Sauveur ; de quelle joie il fut transporté, de quels délices il fut enivré, et comme il se crut largement récompensé, par cette unique faveur, de tous les travaux et de toutes les souffrances de sa longue carrière. Il lui semble qu'il n'a plus rien à souhaiter, rien à voir ici-bas, après avoir contemplé le Désiré des nations, le Rédempteur du genre humain. Aussi ne songe-t-il plus qu'à bénir, qu'à remercier le Dieu de ses pères de la grâce qu'il lui a faite, déclarant qu'il est prêt à quitter la terre aussitôt qu'il plaira à sa divine bonté de l'appeler à lui.

Ô mon âme, n'ambitionne pas d'autre science que la connaissance sublime de Jésus-Christ, ton Seigneur. Elle t'enseignera à fouler aux pieds, comme de la boue, toutes les choses créées pour gagner Jésus, en qui tu posséderas tout ce que tu peux désirer. Si tu envisages avec une foi vive ce divin objet, que peux-tu voir de plus ravissant ? Si tu l'embrasses avec une brûlante charité, que peux-tu posséder de plus délicieux ? S'il est tout à toi, quel bien peut te manquer ? communiquez-moi, ô bon Jésus, par les mérites de Siméon votre serviteur, un rayon de la lumière dont vous l'éclairez en ce jour, afin que, comme il vous a connu et aimé, je vous connaisse et je vous aime dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

Nous voyons, par l'exemple de Siméon, que deux causes principales contribuent à rendre la mort des justes douce et précieuse devant le Seigneur. La première est une espérance ferme des biens célestes. Les saints, en effet, savent par expérience que Dieu leur accorde tous les biens qu'il a promis à l'homme juste en cette vie. Ainsi, il leur donne le centuple de ce qu'ils ont abandonné pour son amour ; il écoute favorablement leurs prières ; il les assiste dans leurs besoins, les console dans leurs afflictions, les protège dans les périls qui les environnent. Or cette expérience leur inspire une confiance intime qu'il accomplira avec la même fidélité les promesses qu'il leur a faites pour la vie future. D'où il suit que, dans l'excès de leur joie, ils répètent avec bonheur ces paroles du Roi-Prophète : Je dormirai et me reposerai dans la paix, parce que c'est vous, Seigneur, qui affermissez mon espérance. La seconde est un désir ardent des biens qu'ils espèrent. L'homme spirituel qui est parvenu, au moyen de la contemplation, à la connaissance des grandeurs et des perfections de Jésus-Christ, qui a goûté la douceur des consolations divines, ne regarde les biens passagers d'ici-bas qu'avec dégoût et avec mépris. Il les dédaigne comme vils et indignes de lui. La vie présente est pour lui un tourment, la mort est l'unique objet de ses vœux. Je désire, s'écrie-t-il avec l'Apôtre, je désire être dégagé des liens du corps et réuni avec Jésus-Christ. Quand le verrai-je ? quand jouirai-je à jamais de sa présence ? — Si donc, ô mon âme, tu estimes comme un insigne bonheur la paix et la tranquillité dans lesquelles meurent les amis de Dieu, efforce-toi d'imiter la ferveur et la piété avec lesquelles ils vivent : car une vie pieuse et fervente ne peut manquer d'être suivie d'une douce et sainte mort.

3) Enfin, quelle joie ressentit la, très sainte Vierge de voir son Fils ainsi connu et honoré, et d'entendre ce qui se disait à sa louange ! Elle en était dans l'admiration, elle et son saint époux, dit l'évangéliste saint Luc ; et tous deux glorifiaient le Père éternel de ce qu'il commençait à faire connaître aux hommes celui qui venait pour les racheter.

III. — La prophétie de Siméon

Tandis que la Mère de Jésus goûtait une joie si pure, Siméon la bénit et lui dit prophétiquement : Cet enfant que vous voyez est établi pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs en Israël ; il sera en butte à la contradiction ; et votre âme sera percée d'un glaive de douleur. Ces choses arriveront afin que les pensées cachées au fond des cœurs d'un grand nombre soient découvertes.

1) Admirons la conduite de la Providence, qui tempère la joie de la Vierge par les plus navrantes prédictions. Au moment où elle se sent heureuse de voir son Fils glorifié, le Père éternel lui montre dans le lointain les peines terribles que ce même Fils doit endurer, et fait briller aux yeux de la plus sainte des femmes le glaive qui transpercera un jour son cœur maternel. Il faut qu'elle commence dès lors à sentir la pointe de ce glaive et à savourer l'amertume des souffrances futures de Jésus.

Ô Dieu infiniment sage et infiniment bon, c'est ainsi que vous vous plaisez à partager entre les consolations et les afflictions la vie de vos fidèles serviteurs I Tantôt vous les élevez jusqu'au ciel, tantôt vous les abaissez jusqu'au fond de l'abîme. Vous blessez leur cœur, ou du trait de l'amour, ou du trait de la douleur ; et par ces deux sortes de blessures, vous ne prouvez pas moins la profondeur de votre sagesse que la tendresse de votre charité. Puis donc, Seigneur, que telle est votre conduite envers vos amis, me voici prêt à tout. Percez-moi de l'un ou de l'autre de vos glaives, pourvu que vous m'admettiez enfin dans la compagnie de vos élus.

2) Méditons attentivement les deux points remarquables de la prophétie du saint vieillard Siméon touchant l'Enfant-Dieu. En premier lieu, il est établi pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs. Ce qui signifie : Un grand nombre d'hommes, aidés par sa grâce, s'élèveront de l'état du péché à une haute sainteté, tandis que d'autres, refusant de profiter de sa venue, tomberont dans l'abîme de tous les vices. Or ils y tomberont par leur propre faute ; car Jésus-Christ, autant qu'il dépend de lui, veut sauver tous les hommes et n'être une pierre d'achoppement pour personne. En second lieu, il sera un signe de contradiction, signe nouveau, signe merveilleux et admirable exposé devant tous les peuples ; mais signe contre lequel se ligueront tous ses ennemis. Ils le combattront dans sa doctrine ; ils le calomnieront dans ses miracles ; ils le persécuteront dans sa vie ; ils ne s'arrêteront que lorsqu'ils l'auront attaché à un bois infâme. C'est là surtout, élevé sur cette croix, qu'il sera un signe de condamnation pour les réprouvés, et un signe de salut pour les élus. Ses disciples, timides jusqu'alors, fortifiés par la vertu de son sang, ne craindront plus de manifester les sentiments de foi et de fidélité qu'ils tenaient cachés au fond de leur cœur.

En réfléchissant sur cette double prédiction que l'événement vérifie encore aujourd'hui, nous serons saisi d'effroi à la pensée des justes jugements de Dieu sur une multitude innombrable d'infidèles et de chrétiens. Déplorons amèrement leur perte éternelle, et le glaive de douleur qui transperça l'âme de Marie transpercera la mienne. Supplions en même temps le Seigneur Jésus que sa venue sur la terre soit pour nous, non un sujet de ruine, mais de résurrection ; qu'elle nous soit un signe de vie et de salut. Demandons-lui qu'il nous fasse la grâce de croire et d'espérer en lui, de l'aimer et de l'imiter, de devenir un de ses disciples que le Père lui a donnés pour être, aux yeux des hommes étonnés, des signes et des prodiges, par leurs paroles aussi puissantes, et par leurs œuvres aussi admirables que les siennes. Si, en qualité de fidèle disciple de Jésus-Christ, nous sommes en butte à la persécution et à la contradiction, réjouissons-nous-en ; regardons les attaques de la calomnie comme des gages assurés de l'amour tout spécial que Dieu nous porte, puisqu'il daigne nous rendre par là si semblable à son Fils unique.

IV. — Anne la prophétesse

L'Esprit-Saint, qui, par une grâce particulière, avait fait connaître le Sauveur à un saint vieillard, favorisa de la même grâce une sainte veuve fort avancée en âge, nommée Anne. Elle ne sortait presque point du temple, où elle servait Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. Inspirée de Dieu, elle survint à l'heure même où Jésus entrait dans la maison de son Père ; et, ayant su par révélation que cet enfant était le Messie, elle se mit à le louer et à parler de lui à tous ceux qui attendaient la Rédemption d'Israël.

1) Dieu a différentes manières de consoler ses serviteurs. Il avait promis à Siméon, longtemps avant la naissance du Sauveur, qu'il le verrait de ses yeux, voulant enflammer en lui le désir de le contempler, et l'encourager par cette promesse. Pour Anne, nous ne savons pas qu'elle eût reçu la même assurance. Il semble plutôt que Dieu lui inspira soudain la pensée d'aller au temple pour voir le divin Enfant, et qu'il la récompensa, par cette faveur, des bonnes œuvres qu'elle avait si constamment pratiquées jusqu'à l'âge de quatre-vingt-quatre ans.

2) Réfléchissons sur les six vertus qui méritèrent à cette sainte veuve une grâce si extraordinaire. Ces vertus furent la chasteté, l'oraison continuelle, le jeûne, l'observation de la loi divine, la dévotion en tout ce qui concernait le culte du Seigneur, la persévérance durant tant d'années dans ses pieux exercices. Efforçons-nous de pratiquer à son exemple toutes ces vertus, si nous désirons participer aux grâces qu'elles lui ont obtenues.

Jésus, mon souverain Roi, donnez-moi les six ailes des séraphins qui vous servent dans le temple mystique de votre Église, afin que je vole partout où m'appellera votre service, jusqu'à ce que j'aie le bonheur de jouir éternellement de votre présence dans le temple de votre gloire. Ainsi soit-il.

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Méditation pour le 3e mystère joyeux : la Nativité

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

DE LA JOIE DES ANGES À LA NAISSANCE DU FILS DE DIEU :
L'ARCHANGE GABRIEL ANNONCE CETTE NOUVELLE AUX BERGERS
COMMENT LES BERGERS SE RENDIRENT À BETHLÉHEM


I. — Joie des anges dans le ciel

Considérons, en premier lieu, ce qui se passe dans le ciel pendant que Jésus-Christ naît sur la terre. Du séjour de la gloire où toutes les hiérarchies célestes contemplent face à face la majesté infinie de Dieu, elles abaissent leurs regards sur l'étable de Bethléhem, et là elles voient le Verbe incarné comme anéanti et entièrement ignoré des hommes. Saisis d'admiration à ce spectacle, et transportés d'un ardent désir que ce Dieu si profondément humilié soit honoré et adoré de tous les mortels, ces esprits bienheureux n'attendent que l'ordre divin pour descendre sur la terre et annoncer aux enfants d'Adam la venue de leur Libérateur. C'est alors que le Père éternel leur fait ce commandement dont parle saint Paul : Quand il introduisit son Fils unique dans le monde, il dit : Que tous les anges l'adorent. Comme l'ordre est général, tous obéissent à l'envi, et, du haut des cieux, ils adorent l'Enfant nouvellement né, qui, dans son humble crèche, reçoit leurs hommages. En sa présence, les séraphins embrasés d'amour s'accusent d'être la froideur même, et se couvrant de leurs ailes, ils confessent qu'il est leur Dieu. Les chérubins, esprits de science, voient s'éclipser devant lui toute leur lumière, et l'adorent comme leur Seigneur. Les autres chœurs des anges, animés d'une sainte émulation, s'efforcent de les imiter.

II. — L'archange Gabriel et les bergers

Considérons, en second lieu, comment le Père éternel voulut manifester la naissance de son Fils à quelques pasteurs qui passaient la nuit dans le voisinage de Bethléhem et veillaient tour à tour à la garde de leurs troupeaux. Il leur envoie pour cela un ange : on pense que ce fut saint Gabriel. Il leur apparaît revêtu d'un corps éclatant comme le soleil, et, les environnant d'une lumière céleste, il leur dit : Voici que je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie. C'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Vous le reconnaîtrez à ce signe : vous trouverez un enfant enveloppé de langes, et couché dans une crèche.

Sur ce passage, faisons quelques les réflexions.

1) Dieu n'envoie pas son ange et ne découvre pas ce mystère aux sages de Bethléhem, parce qu'ils sont orgueilleux ; ni aux riches, parce qu'ils sont avares ; ni aux nobles, parce qu'ils vivent dans les délices. Il réserve cette faveur à des bergers parce qu'ils sont humbles, pauvres, laborieux et vigilants. Car ce sont là les dispositions qu'il exige de ceux qu'il veut élever à la connaissance de ses mystères ; et s'il ne les trouve pas en nous, il nous refusera ses lumières, selon cette parole du Sauveur : Ô mon Père, vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents du siècle, et vous les avez révélées aux simples et aux petits : je vous en rends grâces, Dieu du ciel et de la terre.

2) Quelle joie ne devons-nous pas ressentir à la pensée qu'il nous est né un Sauveur ! Le Fils de Dieu ne naît pas pour lui-même, car il ne vient pas se sauver ; il naît pour les hommes, car il vient sauver les hommes. Il naît pour nous ; il sera circoncis pour nous ; tout ce qu'il doit faire et souffrir, il le fera et il le souffrira pour nous. Si une crèche est son berceau, il l'a choisie dans le dessein de nous obtenir le pardon de nos péchés, de nous inspirer le désir de la vertu, et de nous enrichir de ses grâces.

3) L'enfance, les langes, la crèche, voilà les signes que l'ange donne aux bergers pour reconnaître le Sauveur. Ô grandeur infinie du Très-Haut, où êtes-vous ? Qui eût jamais pensé que l'on dût reconnaître à de semblables marques le Dieu de majesté ! Mais pourquoi nous étonner ? Nous savons, ô mon aimable Rédempteur, que vous aimez les abaissements ; nous savons que vous les avez choisis pour nous exciter à les rechercher à votre exemple. Vous voulez encore nous apprendre que les signes auxquels nous pouvons savoir si vous êtes né spirituellement dans notre cœur sont ceux-là mêmes qui vous font connaître dans la crèche, c'est-à-dire : une innocence parfaite, un profond silence, une extrême pauvreté, une humilité qui choisit ce qu'il y a de plus vil et de plus bas sur la terre.

III. — Le cantique des anges

Tandis que l'ange parlait aux pasteurs, une troupe nombreuse de la milice céleste se joignit à lui et se mit à louer Dieu, disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.
Remarquons ici quel est celui qui envoie les anges, pourquoi il les envoie, et quel hymne ils font retentir dans les airs. Celui qui les envoie, c'est le Père éternel. Pourquoi les envoie-t-il ? Pour honorer les abaissements volontaires de son Fils. Car il n'a jamais manqué de le glorifier toutes les fois qu'il s'est humilié pour l'amour de lui. De plus, il convient que les esprits bienheureux, par leur exemple, apprennent aux hommes ce qu'ils doivent faire en une fête si solennelle.

GLOIRE À DIEU AU PLUS HAUT DES CIEUX. – Les anges nous apprennent par cette parole que le mystère de l'incarnation est le chef-d’œuvre de Dieu et le principal sujet de sa gloire. C'est en effet, de toutes ses œuvres, celle qui lui procure une gloire plus complète et plus entière, celle qui lui attire les bénédictions et les louanges de toutes les âmes saintes. En contemplant ce mystère, les bienheureux glorifient le Seigneur dans le ciel : comment les hommes ne le loueraient-ils pas sur la terre ? N'est-ce pas, au témoignage des séraphins dans Isaïe, quand ce prophète vit la gloire du Très-Haut ; n'est-ce pas l'Incarnation qui a rempli notre terre de la gloire de Dieu ?

ET PAIX SUR LA TERRE. — Le Fils de Dieu, par son Incarnation et sa naissance selon la chair, apporte aux habitants de la terre une paix entière et universelle ; la paix avec Dieu et avec les anges, la paix avec eux-mêmes, la paix avec leurs frères. Car ce Divin Sauveur réconcilie en naissant le monde avec son Père ; il nous obtient le pardon de nos péchés ; il dompte le démon, notre adversaire ; il assujettit la chair à l'esprit ; il accorde et unit nos volontés entre elles et avec Dieu ; d'où résultent la joie de la conscience et la paix qui surpasse tout sentiment.

AUX HOMMES DE BONNE VOLONTÉ. - La paix vient de Dieu. Elle vient de l'affection que Dieu a pour nous, et de la bonne volonté avec laquelle il offre à tous les hommes le précieux trésor de la paix. Cependant, c'est en vain que nous espérons l'obtenir, si nous n'avons nous-mêmes la bonne volonté, c'est-à-dire une volonté conforme à celle de Dieu et entièrement soumise à sa loi. Aussi les anges ne promettent-ils point la paix aux hommes qui n'auraient en partage qu'un génie élevé, l'esprit vif et pénétrant, la santé et les forces du corps ; ce don du ciel n'est point le prix des avantages de la nature. Nous pouvons posséder ces avantages et être ennemi de Dieu et des hommes ; nous pouvons en être privé et vivre en paix avec Dieu et avec nos frères, pourvu que la bonne volonté ne nous manque pas. C'est ce qui a fait dire à saint Grégoire pape : Il n'y a rien de plus précieux, de plus aimable, de plus désirable que la bonne volonté ; tandis que la mauvaise volonté est ce qu'il y a au monde de plus nuisible, de plus dangereux et de plus détestable. Nous devons donc demander au Sauveur couché dans la crèche qu'il daigne nous délivrer de la mauvaise volonté et nous donner la bonne ; car elle est, à proprement parler, le don qu'il nous apporte en naissant, suivant le texte hébreu : Que la bonne volonté soit donnée aux hommes.

IV. — Le départ des anges

Les anges, ayant demeuré quelque temps avec les bergers, s'en retournèrent au ciel. On peut croire pieusement, qu'ils allèrent auparavant visiter l'étable de Bethléhem sans être vus de personne ; que là ils recommencèrent à chanter leur cantique en présence de Marie et de Joseph ; et qu'enfin ils adorèrent avec un profond respect l'Enfant nouvellement né, comme leur Dieu et leur Roi. — Oh ! que la Vierge fut ravie de cette céleste musique ! Comme elle remercia le Père éternel de l'honneur qu'il procurait à son fils ! Quelle joie elle ressentit à la vue de cette brillante troupe d'esprits bienheureux ! Comme elle fut confirmée dans la foi au souvenir de cette parole de l'Écriture : Que tous les anges l'adorent !

V. — Les bergers vont à Bethléhem

Dès que les anges eurent disparu, les bergers se dirent l'un à l'autre : Allons jusqu'à la ville de David, et voyons ce qui est arrivé, et ce que le Seigneur nous a fait connaître. Et ils y allèrent en toute hâte.

1) Remarquons que les bergers, dociles à l'avertissement des anges, s'exhortent les uns les autres à partir sans délai, pour voir de leurs yeux la merveille qui vient de leur être annoncée. Leur conduite nous apprend qu'il faut bien se garder de négliger les inspirations d'en-haut, qu'il importe grandement d'y correspondre, que nous devons même nous exciter mutuellement, par nos paroles et par nos exemples, à les mettre en pratique. C'est ce que le prophète nous donne à entendre, selon l'interprétation de saint Grégoire le Grand, par ces quatre animaux mystérieux qui allaient chacun devant soi, suivant le mouvement impétueux de l'esprit et se frappaient les uns et les autres de leurs ailes, comme pour s'encourager à voler avec plus d'ardeur.

2) Remarquons l'obéissance des pasteurs. L'Ange ne leur a pas commandé formellement d'aller à Bethléhem ; mais c'est assez pour eux de savoir qu'ils feront en y allant une œuvre agréable à Dieu et que le messager céleste n'est venu que pour leur inspirer cette pensée. Voilà l'image de l'homme vraiment obéissant. Il se contente du moindre signe de la volonté de Dieu pour l'accomplir à l'instant, dût-il pour cela quitter non seulement ses troupeaux, comme les pasteurs, mais encore tous ses biens.

3) Remarquons enfin avec quelle ferveur ils exécutent ce que Dieu leur demande. L'Évangéliste rapporte que, poussés par l'Esprit-Saint, ils se rendirent à Bethléhem en toute hâte pour voir de leurs yeux la vérité de la parole de l'Ange ou, pour mieux dire, la Parole éternelle de Dieu, incarnée pour notre salut. Ils méritent par leur diligence de trouver ce qu'ils cherchent, car l'Ange en personne, leur servant de guide, les conduit droit à l'étable où repose le divin Enfant.

VI. — Les bergers dans l'étable

Les bergers entrèrent dans l'étable et y trouvèrent l'Enfant avec sa Mère. Arrêtons-nous ici à considérer ce que firent les pieux pasteurs quand ils eurent heureusement trouvé celui qu'ils cherchaient.

1) Il est probable qu'au moment où ils virent l'Enfant béni, une lumière éclatante jaillit de son adorable visage, pénétra jusqu'au fond de leur cœur et leur fit comprendre clairement que celui qui paraissait si faible à leurs yeux était Dieu et homme, le Sauveur du monde, le Messie annoncé par les prophètes. Embrasés d'amour à cette pensée, ils se prosternent humblement et l'adorent ; ils lui rendent mille actions de grâces de ce qu'il est venu sauver le genre humain ; ils le conjurent d'achever ce qu'il a commencé et d'avoir compassion de son peuple ; enfin, ils lui offrent leurs services en termes pleins de dévotion.

2) Il est vraisemblable qu'ils lui firent quelques présents conformes à leur pauvreté. Car ils n'oublient pas ce qui est écrit : Vous ne paraîtrez point les mains vides en ma présence. Oh ! qu'ils les lui font de bon cœur, et que l'Enfant les accepte volontiers ! À son tour, il les enrichit des dons de sa grâce : en sorte qu'ils ne le quittent pas le cœur vide.

3) Il est certain que la Vierge les remercia avec une bonté et une humilité parfaites. Eux, de leur côté, frappés de la sainteté qui brille dans sa personne, lui parlent avec un profond respect, racontent tout ce qui s'est passé entre eux et les anges, et lui causent une indicible joie en lui donnant une preuve sensible du soin que le ciel prend d'honorer son Fils.

VI. — Reconnaissance et zèle des bergers ; occupation intérieure de Marie

Les bergers s'en retournèrent glorifiant et louant Dieu de tout ce qu'ils avaient vu. Ils le racontaient à tous ceux qu'ils rencontraient, et ceux-ci en demeuraient tout surpris. Pour Marie, elle conservait le souvenir de toutes ces choses et les méditait dans son cœur. Remarquons, au sujet de ces paroles, quatre sortes de personnes qui se trouvèrent à Bethléhem, ou dans les environs, au temps de la naissance du Sauveur ; et faisons sur leur conduite quelques réflexions que nous pourrons nous appliquer à nous- mêmes.

1) De ce grand nombre d'hommes réunis alors dans la cité de David, les uns n'allèrent point à l'étable. Ils avaient entendu les faits surprenants que rapportaient les bergers ; ils en avaient même témoigné de l'étonnement ; toutefois il ne leur vint pas à l'esprit d'aller constater eux-mêmes la vérité de ces merveilles, tant ils étaient préoccupés de leurs affaires temporelles. Ainsi voyons-nous aujourd'hui quantité de personnes négliger la méditation des mystères du Sauveur, ou par paresse, ou par attache aux choses vaines de ce monde qui ont pour eux plus d'attrait.

2) D'autres, passant par hasard devant l'étable, y entrèrent. Mais comme ils n'avaient aucune connaissance ni de l'Enfant, ni de la Mère, ils ne remarquèrent que ce qui s'offrait extérieurement à leurs yeux, sortirent aussitôt et poursuivirent leur chemin. Ceux-ci représentent certaines personnes qui assistent avec une foi morte aux solennités instituées par l'Église en mémoire des mystères de notre salut ; comment pourraient-elles, sans se pénétrer de l'esprit de ces fêtes, en tirer un fruit solide ?

3) D'autres, comme les pasteurs, conduits par l'Esprit de Dieu, entrèrent pieusement dans l'étable, y adorèrent l'Enfant avec une foi vive, et reçurent de sa libéralité les dons les plus précieux. Cependant, ils se contentent d'y demeurer quelque temps ; puis, après avoir satisfait leur dévotion, ils retournent à leurs occupations ordinaires, louant le Seigneur et publiant ses merveilles. Tels sont les justes qui consacrent chaque jour un temps déterminé à la méditation et à la contemplation des choses divines, et interrompent ce saint exercice pour accomplir les devoirs de leur état, communiquer au prochain les lumières qu'ils ont reçues d'en-haut, et lui apprendre les moyens de connaître et de chercher Dieu.

4) D'autres enfin, comme Marie et Joseph, ne quittent point l'étable. Ils demeurent auprès de l'Enfant ; ils le servent avec amour ; ils observent attentivement tout ce qu'ils voient, tout ce qu'ils entendent, et ils le méditent dans le cœur. — Oh qui pourrait dire les réflexions affectueuses et sublimes de la Vierge sur ce mystère ! Elle compare ce que Dieu est dans le ciel, avec ce qu'il paraît être sur la terre ; ce que les prophètes ont prédit, avec ce qu'elle voit de ses yeux ; ce que l'Ange et les pasteurs lui ont raconté, avec ce qu'elle touche de ses mains : et, ravie de tant de merveilles, elle produit mille actes fervents de dévotion et d'amour. C'est dans cette sainte occupation qu'elle passa les huit jours qui précédèrent la circoncision.

Ceux-là imitent la Mère du Sauveur, qui s'appliquent durant quelques jours consécutifs à la contemplation de ces ineffables mystères et les repassent à loisir dans leur cœur. Heureux ceux qui peuvent ainsi honorer la naissance du Dieu fait homme pour leur salut !

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Méditation pour le 2e mystère joyeux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

Le cantique « Magnificat »

Considérons ce que la Vierge répondit aux paroles d'Élisabeth. Remplie elle-même de l'Esprit qui inspire les prophètes, elle composa et prononça sur-le-champ son admirable cantique le Magnificat, sur lequel faisons d'abord deux réflexions.

1) Marie vient d'entendre de la bouche d'Élisabeth beaucoup de choses à sa louange, et elle ne répond pas directement à celle qui achève de faire son éloge, comme en usent ordinairement les personnes du monde, sous prétexte de marquer leur reconnaissance, mais elle adresse à Dieu toutes les paroles de sa réponse. Elle nous apprend par là de quelle manière nous devons-nous conduire quand on nous loue. C'est toujours alors le meilleur et le plus sûr de détourner le discours et de nous entretenir avec Dieu, seul auteur des biens que l'on paraît estimer en nous.

2) La Vierge, qui était si réservée et si mesurée dans ses paroles lorsqu'elle traitait avec les anges ou avec les hommes, s'étend bien davantage lorsqu'elle parle à Dieu et qu'elle publie ses grandeurs. Dans le premier cas, elle fait preuve de prudence et de circonspection ; dans le second elle manifeste l'ardeur de son amour et la vivacité de sa reconnaissance, selon ce conseil du Sage : Vous qui bénissez le Seigneur, exaltez-le autant que vous pourrez ; car il est plus grand que toutes les louanges. Comme donc celui qui est plein de Dieu ne parle que de Dieu, n'a d'affection que pour Dieu, ne se plaît qu'à le louer et à le glorifier de toutes ses puissances, parce que la bouche parle de l'abondance du cœur, ainsi la Vierge possédant son Dieu au milieu d'elle, laisse échapper de sa bouche bénie ce céleste cantique rempli d'affections toutes divines. Les dix versets dont il est composé, représentent l'instrument à dix cordes, ou la harpe sur laquelle, comme le Psalmiste nous y invite, nous devons chanter les louanges du Seigneur. Il nous sera donc utile d'en peser toutes les paroles, afin d'apprendre à le réciter avec ferveur d'esprit, en l'honneur de celle qui l'a chanté la première. À chaque parole ou verset, tâchons d'exciter en nous quelque sentiment de dévotion ou de joie, dans la considération des grandeurs et des vertus de Notre-Dame.

1) MON ÂME GLORIFIE LE SEIGNEUR

Par ce premier verset, Marie nous apprend de quelle manière et dans quel esprit nous devons louer Dieu. Concevons de son être infini de grandes et sublimes pensées ; exaltons de tout notre pouvoir ses perfections ineffables : sa bonté, sa miséricorde, sa sagesse, sa charité, son domaine absolu sur toutes ses créatures. Mais il ne suffit pas de l'honorer des lèvres, il faut encore y employer le cœur et toutes les puissances de notre âme, les conviant, à l'exemple de David, à louer le Seigneur. Remarquons aussi que la Vierge ne dit pas : « Mon âme a glorifié » ou « Mon âme glorifiera », mais « Mon âme glorifie le Seigneur ». Elle nous montre par là que son principal soin, son occupation continuelle est de rendre gloire à Dieu, en faisant sur la terre ce que les anges font dans le ciel. Oh ! si notre âme pouvait glorifier sans cesse le Seigneur

2) ET MON ESPRIT EST RAVI DE JOIE EN DIEU MON SAUVEUR

La très sainte Vierge nous fait connaître par ces paroles le moyen de nous réjouir en Dieu, et elle indique quatre conditions requises pour que cette joie soit pure et parfaite.

1) Faisons consister principalement notre joie et notre allégresse, non dans les choses matérielles, mais dans les choses spirituelles. Réjouissons-nous, moins dans les dons que nous avons reçus, que dans l'auteur et le distributeur de ces dons, qui est Dieu même.

2) Quoique nous devions nous réjouir en Dieu, parce qu'il est notre Créateur, nous le devons surtout parce qu'il est notre Sauveur et notre Sanctificateur, puisque c'est à ce double titre qu'il produit en nous la véritable allégresse, fondée sur le salut et la sanctification de nos âmes par la grâce.

3) Cette joie doit être principalement dans l'esprit, ou dans la partie supérieure de l'âme, afin qu'elle soit plus pure et qu'elle n'ait rien de commun avec la chair ni avec les plaisirs qui flattent les sens, bien que la joie de l'esprit rejaillisse quelquefois sur le corps, selon cette parole de David : Mon cœur et ma chair ont tressailli de joie dans le Dieu vivant.

4) Enfin, notre esprit ne doit point se réjouir en lui-même, comme s'il n'était redevable qu'à ses mérites des biens dont il se réjouit. Que sa joie soit en Dieu son Sauveur, de qui il les a reçus, et qu'elle s'appuie sur lui seul. Mon âme, disait le roi-prophète, se réjouira dans le Seigneur, et elle trouvera ses délices dans son Sauveur.

Telle fut la joie de la Vierge. Elle jeta les yeux en ce moment sur le Sauveur qu'elle portait dans ses entrailles, et elle s'écria dans un transport d'amour : Mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur.

3) PARCE QU'IL A REGARDÉ LA BASSESSE DE SA SERVANTE.

Dans ce verset et les suivants, la Vierge déclare dix bienfaits signalés, trois spéciaux et sept généraux, qui sont les principaux motifs pour lesquels elle glorifie le Seigneur, se réjouit en lui et lui témoigne une si vive reconnaissance.

Le premier motif est qu'il a regardé la bassesse et la petitesse de sa servante. Dans ces courtes paroles Marie indique deux causes des bienfaits divins : l'une, qui est la principale, prise du côté de Dieu ; l'autre, du côté de nous-mêmes.

La cause tirée du côté de Dieu consiste en ce qu'il daigne nous regarder d'un œil favorable pour nous faire du bien. Car, quoiqu'il soit vrai que Dieu voit toutes choses, on ne dit pas cependant qu'il les regarde toutes, ni qu'il estime celles qu'il laisse dans les profondeurs du néant ou dans l'abîme de leur misère ; mais il regarde, à proprement parler, celles envers lesquelles il veut user de sa grande miséricorde.

La cause tirée du côté de nous-mêmes est la connaissance et l'aveu de notre bassesse. Or l'humble Marie, éclairée par le Saint-Esprit, réunit ces deux causes en glorifiant Dieu de ce qu'il a daigné regarder, non l'humilité, mais la bassesse de sa servante. Elle ne se flatte donc point, par ces paroles, d'avoir la vertu d'humilité, mais elle la pratique. Car, par là-même qu'elle est vraiment humble, elle ne se croit pas humble ; ou du moins, elle se garde bien de s'en glorifier. Elle proclame, au contraire, avec humilité, qu'elle est petite, qu'elle est méprisable, qu'elle est abjecte comme une esclave, et que, malgré cela, Dieu n'a point dédaigné de jeter les yeux sur elle.

Apprenons des paroles de Marie que nos cantiques de louanges, nos actions de grâces au Seigneur pour les bienfaits dont il nous a comblés, doivent être fondés sur la connaissance de notre bassesse et de notre indignité. S'il en est ainsi, nous ne serons point exposés au danger de nous complaire en nous-mêmes, comme le Pharisien superbe dont Jésus-Christ parle dans l'Évangile. Loin de là, nous pourrons nous servir de notre pauvreté même, comme d'un titre, pour demander à Dieu qu'il nous regarde favorablement et qu'il nous enrichisse de ses dons ; puisque nous savons qu'il se plaît, dit le Psalmiste, à considérer les plus faibles de ses créatures dans le ciel et sur la terre. Le même prophète l'avait expérimenté lorsqu'il disait de lui : Parce que vous avez regardé mon humiliation, vous avez délivré mon âme de tous ses maux.

4) VOICI QUE DÉSORMAIS TOUTES LES GÉNÉRATIONS ME DIRONT BIENHEUREUSE

C'est le second motif que la très sainte Vierge a de glorifier le Seigneur. Depuis, dit-elle, qu'il a regardé la bassesse de sa servante, et parce qu'il l'a regardée, toutes les générations, présentes et futures, qui croiront en Jésus-Christ, la publieront bienheureuse dans tous les âges. Le sujet de sa joie, ce ne sont point les louanges qu'on lui donnera ; ce sont les grâces extraordinaires que Dieu lui a faites ; ce sont les avantages que doivent recueillir tous ceux qui feront profession de l'honorer et de la servir.

De tout ceci, concluons qu'un des grands motifs que nous avons de nous réjouir dans le Seigneur, est l'espérance ferme du bonheur éternel qu'il nous prépare. C'est pourquoi Notre-Seigneur Jésus-Christ disait à ses disciples : Ne vous réjouissez point de ce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont écrits dans le ciel. Et saint Paul nous exhorte à nous réjouir dans l'espérance d'obtenir la béatitude qui nous est promise.

5) CAR CELUI QUI EST TOUT-PUISSANT A FAIT EN MOI DE GRANDES CHOSES, ET SON NOM EST SAINT

Marie déclare ici le troisième motif pour lequel elle glorifie le Seigneur. Elle repasse dans sa mémoire toutes les merveilles qu'il a opérées en elle, les bienfaits singuliers dont il l'a comblée depuis le premier instant de sa conception jusqu'à ce jour ; elle considère spécialement le prodige inouï d'une vierge féconde, et l'honneur qu'elle a d'être mère, non d'un simple mortel, mais de Dieu même ; et, transportée d'admiration à la vue de tant de grandeurs, elle exalte celui qui en est l'auteur, et elle les attribue à sa toute-puissance et à la sainteté de son nom : à sa puissance, qui a tout exécuté ; à sa sainteté, qui a fait agir sa puissance, afin que son Nom fût sanctifié et glorifié dans tous les siècles. Or, en disant que Dieu a fait en elle de grandes choses, elle nous donne à entendre qu'il l'a faite grande elle-même dans les choses qui rendent les hommes grands devant Dieu, c’est-à-dire la sainteté et les dons surnaturels : car puisque le Fils était grand, il convenait que la Mère fût grande. Nous voyons, par la conduite de la Mère de Dieu, qu'il n'est point contraire à l'humilité de reconnaître les dons que Dieu a mis en nous. L'apôtre saint Paul remarque même que le Saint-Esprit nous les découvre, afin que nous lui en témoignions notre reconnaissance, et que nous en renvoyions toute la gloire à la puissance et à la sainteté de Dieu, unissant inséparablement ces deux attributs, à l'exemple des quatre mystérieux animaux qui ne cessent de louer le Seigneur jour et nuit, en disant : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu tout-puissant, qui était, qui est et qui doit venir.

6) SA MISÉRICORDE SE RÉPAND DE GÉNÉRATION EN GÉNÉRATION SUR CEUX QUI LE CRAIGNENT.

C'est le quatrième motif qui porte la Vierge à louer et à remercier le Seigneur. Elle songe non seulement aux bienfaits qu'elle a reçus, mais encore aux bienfaits nombreux qu'elle espère recevoir ; non seulement aux grâces que Dieu lui a faites à elle-même, mais encore à celles qu'il fait à tous les peuples de la terre : et elle se réjouit de voir que la miséricorde du Seigneur s'exerce sans interruption, qu'elle est infinie, éternelle, et qu'elle s'étend à tous ceux qui le servent et le craignent, de quelque nation qu'ils puissent être. C'est, en effet, le propre des justes, lorsqu'ils considèrent les bienfaits qu'ils ont déjà reçus, d'en attendre beaucoup d'autres de la divine miséricorde, selon cette parole de saint Paul : Celui qui nous a délivrés de si grands périls, et qui nous en délivre tous les jours, nous en délivrera à l'avenir, comme nous l'espérons de sa bonté. C'est encore la conduite ordinaire des saints de penser que le Soleil de justice ne se lève pas pour éclairer seulement leur demeure, mais de croire, avec des sentiments plus élevés et plus dignes d'une miséricorde qui n'a point de bornes, qu'elle s'étend à une infinité d'autres hommes, et cela dans tous les siècles. Regardant comme accordés à eux personnellement les bienfaits distribués à tout le genre humain, ils en rendent grâces au souverain Bienfaiteur, et ils ressentent une extrême joie d'avoir un Dieu si enclin à la miséricorde, qu'il ne refuse de la faire à aucun de ceux qui le craignent. C'est ce que David publie hautement dans le psaume cent deuxième, qu'il emploie tout entier à bénir et à remercier le Seigneur qui l'a couronné de sa miséricorde, lui et tous les justes.

7) IL A DÉPLOYÉ LA FORCE DE SON BRAS.

Le cinquième motif qui oblige Marie à glorifier le Seigneur, ce sont les œuvres de sa toute-puissance, qui, d'elle-même et sans aucun secours étranger, opère les plus étonnantes merveilles. La Vierge repasse les principales dans sa mémoire. Elle se rappelle que Dieu, d'une seule parole, a créé l'univers, qu'il le conserve et le gouverne avec une admirable sagesse. Elle se rappelle les prodiges par lesquels il a délivré son peuple de la servitude des Égyptiens, et tant d'autres miracles rapportés dans la sainte Écriture. Elle a surtout présente à l'esprit l'œuvre de l'Incarnation, dans laquelle Dieu a fait paraître avec tant d'éclat la force de son bras tout-puissant. Frappée de tant de merveilles, elle en rend gloire au Seigneur, renfermant dans un seul mot tous les effets prodigieux de la puissance divine que le roi-prophète raconte en particulier, au psaume cent trente-cinquième. Il faut encore remarquer que, dans ce verset et les suivants, Marie parle non seulement de ce que Dieu a fait, mais aussi de ce qu'il a coutume de faire par un pur effet de sa bonté envers ses créatures. Elle le remercie donc des grandes choses qu'il opère par la force de son bras quand il lui plaît, et en faveur de qui il lui plaît. Or, ce qu'il a fait dans le passé, il le fait dans le présent, et il le fera dans l'avenir. Cette pensée doit être pour nous un puissant motif de nous réjouir dans le Seigneur, et d'espérer qu'il fera aussi en notre faveur de grandes choses, par la vertu de son bras infiniment puissant.

8) IL A DISSIPÉ LES DESSEINS QUE LES ORGUEILLEUX FORMAIENT DANS LEUR CŒUR

Le sixième motif pour lequel la Vierge glorifie le Seigneur, c'est qu'il fait éclater sa puissance non seulement par les œuvres de sa miséricorde, mais encore par celles de sa justice, humiliant les superbes, déjouant leurs projets et dissipant les pensées de leur cœur. Elle repasse dans son esprit quelques-uns des exemples terribles de la justice divine. Elle se représente la chute de Lucifer qui osa, dire en lui-même : Je monterai par-dessus les cieux, j'établirai mon trône au-dessus des astres, et je serai semblable au Très-Haut. Elle se rappelle le châtiment des insensés qui entreprirent de construire une tour dont le faîte s'élevât jusqu'au ciel. Elle pense à Pharaon, à Nabuchodonosor et à tant d'autres, dont Dieu confondit l'orgueil et renversa les desseins. Et, dans cette considération, elle loue le Seigneur qui est digne de louange dans toutes ses œuvres, prévenant ainsi son divin Fils qui devait dire un jour : Je vous rends grâces, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et que vous les avez révélées aux petits.

9) IL A RENVERSÉ LES PUISSANTS DE LEUR TRÔNE, ET IL A ÉLEVÉ LES HUMBLES. IL A REMPLI DE BIENS CEUX QUI ÉTAIENT AFFAMÉS, ET IL A RENVOYÉ LES MAINS VIDES CEUX QUI ÉTAIENT RICHES.

Marie exprime dans ces deux versets deux autres motifs qui l'excitent à glorifier le Seigneur : l'exercice de sa justice, l'exercice de sa miséricorde, qu'il ne sépare point l'un de l'autre. Il fait éclater sa justice en renversant de leur trône les potentats de la terre, en les privant de leurs États, de leurs dignités, de leurs grandeurs ; et il montre sa miséricorde en élevant à leur place des hommes d'une condition basse et méprisée. C'est ainsi qu'il bannit pour jamais du ciel les anges rebelles, et qu'il réserva à d'humbles mortels les couronnes qu'il destinait à ces esprits orgueilleux. C'est ainsi qu'il ôta au superbe Satan le royaume de ce monde, où il régnait en tyran, pour le donner à Jésus-Christ, le maître et le modèle de l'humilité ; petite pierre, nous dit le prophète Daniel, qui, d'elle-même et sans la main de l'homme, se détacha de la montagne, renversa la statue gigantesque qui figurait les quatre plus florissantes monarchies de l'univers, et devint ensuite une montagne immense qui remplit toute la terre. Telle a été dans tous les siècles la conduite de la divine Providence, ainsi qu'il est dit au livre de Job ; toujours elle a prouvé la vérité de cette parole sortie de la bouche du Verbe incarné : Quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé.

De la même manière, quand le Seigneur voit des pauvres qui sentent leur misère, des pauvres qui ont faim et soif de la justice, il les remplit de biens spirituels et satisfait tous leurs désirs ; tandis qu'il laisse dans leur indigence les riches présomptueux qui se croient dans l'abondance et pensent n'avoir besoin de personne. Les riches, dit à ce sujet le Psalmiste, ont été réduits à l'indigence et ont eu faim ; mais ceux qui cherchent le Seigneur ne manqueront d'aucun bien.

10) IL A PRIS EN SA PROTECTION ISRAËL SON SERVITEUR, SE SOUVENANT DE SA MISÉRICORDE, AINSI QU'IL L'AVAIT PROMIS À NOS PÈRES, À ABRAHAM, ET À SA POSTÉRITÉ POUR JAMAIS.

Dans ces deux versets, l'auguste Marie nous propose deux derniers motifs très puissants de louer Dieu et de nous réjouir en lui.

Le premier est le soin et la providence toute paternelle qu'il exerce à l'égard de ceux qu'il a pris sous sa conduite et à sa charge, comme ses serviteurs et ses enfants. Il veut les secourir en personne ; et quoiqu'il paraisse quelquefois les oublier pour un temps, au moment marqué, il se rappelle sa miséricorde et vient à leur secours, comme il se souvint d'Israël et de tous les peuples du monde, et leur apporta le remède dont ils avaient besoin, en se faisant homme.

Le second est la fidélité inviolable avec laquelle Dieu accomplit les promesses qu'il fit à nos anciens pères, en faveur de tous leurs descendants jusqu'à la consommation des siècles. Ne garda-t-il pas, en effet, la parole qu'il avait donnée à Abraham et à David de s'unir à notre nature pour les guérir de leurs maux et leur procurer le salut éternel, à eux et à leur postérité la plus reculée ? Ces deux considérations embrasaient l'âme de la très pure Vierge et la portaient à glorifier le Seigneur, et à se réjouir en Dieu son Sauveur. Elles exciteront dans la nôtre les mêmes sentiments, si nous considérons avec attention les effets de la providence de Dieu sur ses enfants ; si nous observons avec quelle fidélité il accomplit chaque jour les promesses qu'il a faites aux apôtres, qui sont les pères du peuple chrétien, n'oubliant point leurs descendants, c’est-à-dire les enfants de l'Église, dont il se souviendra jusqu'à la fin du monde.

Telles sont les dix raisons ou motifs que la Vierge allègue dans ce cantique, et que le Verbe éternel, incarné dans son sein, lui suggérait intérieurement pour glorifier le Seigneur. Servons-nous en pour la même fin, choisissant tantôt l'un, tantôt l'autre, afin d'avoir toujours en main comme un instrument à dix cordes pour louer Dieu sans cesse. Mais parce que, de nous-mêmes, nous sommes incapables de le faire comme nous le devons, supplions le Verbe incarné de nous enseigner cette science, comme il l'enseigna à sa Mère, et prions Marie de nous obtenir cette grâce, pour la gloire de son divin Fils.

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Méditation pour le 1er mystère joyeux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.


COMMENT L'ANGE ANNONÇA ET DÉCLARA À LA VIERGE

LE MYSTÈRE DE L'INCARNATION

I. - Gabriel expose à Marie le sujet de son ambassade

L'ange, ayant apaisé le saint trouble de la Vierge, lui exposa le sujet de son ambassade en ces termes : Voilà que vous concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un Fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus. Il sera grand, et il sera appelé le Fils du Très-Haut ; le Seigneur lui donnera le trône de David, son père, et il régnera dans la maison de Jacob éternellement, et son règne n'aura point de fin.

Premièrement. Découvrons dans ces paroles les grandeurs et les excellentes perfections du Fils que l'ange promet à la Vierge.

1) Il sera Jésus, c'est-à-dire Sauveur du monde ; et il portera ce nom à meilleur droit qu'aucun de ceux qui l'ont porté avant lui, comme nous le verrons dans la suite.

2) Il sera grand, et grand sans limite : grand selon sa divinité et selon son humanité ; grand en sagesse et en sainteté ; grand dans sa vie, dans sa doctrine, dans ses exemples et dans ses paroles ; grand enfin en puissance ; car tout pouvoir lui sera donné dans le ciel et sur la terre, marne le pouvoir de rendre qui il lui plaira grand devant Dieu, par la communication de sa grandeur.

3) Il sera à la fois le Fils de la Vierge et le Fils du Très-Haut.

4) Son Père éternel lui donnera un empire absolu sur tous les élus. C'est le sens de ces paroles de l'ange : Le Seigneur Dieu le placera sur le trône de David et le fera régner sur la maison de Jacob, dont il tirera son origine selon la chair.

5) Son règne n'aura point de fin.

Deuxièmement. Ici, attachons-nous seulement à bien comprendre que les grandeurs incompréhensibles du Fils unique du Dieu vivant ont eu pour principe sa très profonde humilité. L'ange nous l'indique par cette première parole : Voici que vous concevrez dans votre sein. Il semble dire : Ce Sauveur, tout grand qu'il est, ce Roi éternel veut s'humilier jusqu'à se réduire aux proportions d'un petit enfant renfermé dans le sein de sa mère. Mais cette petitesse même sera le principe de sa grandeur. Car il accomplit par là ce que le prophète Isaïe a écrit de lui : Un petit enfant nous est né ; un fils nous a été donné. Il portera sur son épaule le signe de sa domination ; et il sera appelé l'Admirable, le Conseiller, Dieu, le Fort, le Père du siècle futur, le Prince de la paix. Il étendra son empire dans tout l'univers, et la paix qu'il établira durera éternellement.

II. - Question posée à Gabriel par Marie.

La Vierge, ayant entendu les paroles de l'ange, lui dit : Comment se fera ceci ? car je ne connais point d'homme. Elle veut dire :

Je ne doute point de la toute-puissance du Seigneur, et je crois à votre promesse : cependant, je désire que vous me fassiez connaître comment je puis consentir à ce que vous me proposez, moi qui ai fait vœu de virginité.

Premièrement. Dans cette demande, la Vierge fait preuve d'une rare prudence et d'un extrême amour pour la virginité. Aussi l'Église l'invoque-t-elle sous le nom de Vierge très prudente. Elle n'est pas éblouie des magnifiques promesses de l'envoyé céleste ; elle veut savoir comment elles peuvent se concilier avec son vœu de chasteté, vertu qui lui est si chère, que si elle ne pouvait la conserver intacte, il lui serait très difficile de consentir à devenir mère, et même Mère de Dieu. Elle savait, à la vérité, par la prophétie d'Isaïe, que la Mère du Messie devait demeurer Vierge ; sa prudence néanmoins voulut peser toutes les paroles de l'ange, afin de s'assurer si elles s'accordaient avec la prédiction du prophète.
Le fruit que nous devons retirer de l'exemple de Marie est un cordial amour pour la chasteté, joint à une attention constante à fuir tout ce qui serait capable d'en ternir le lustré, même quand nous y verrions une apparence de piété et de religion. À l'imitation de la Vierge très prudente, examinons quel est l'esprit qui nous porte à nous engager dans des occasions où la pureté peut courir quelque danger ; craignant que ce ne soit l'esprit de Satan, qui se transforme, dit saint Paul, en ange de lumière, pour séduire des âmes très simples, ou trop confiantes en elles-mêmes, ou fort zélées pour le bien de leur prochain, et moins attentives à ce qui regarde leur perfection propre.

Deuxièmement. Considérerons dans ces paroles, les premières que l'Évangile rapporte de Marie, quatre circonstances qui constituent une admirable règle de conduite pour parler avec discrétion.

1) Elle s'énonce en fort peu de mots.

2) Elle ne dit rien que de nécessaire.

3) Le sujet qui la fait parler est de grande importance.

4) La manière dont elle parle est humble et modeste. On voit qu'elle avait présent à la mémoire cet avertissement du Sage : Jeune homme, parlez à peine, même dans votre cause. Si vous êtes interrogé deux fois, répondez en peu de paroles. Conduisez-vous en beaucoup de choses comme si vous les ignoriez ; écoutez en silence, et interrogez à propos.

La Vierge observa exactement ces avis dans les paroles qu'elle dit à l'ange. Car elle ne répondit qu'après qu'il lui eut parlé deux fois ; et, quoique la demande de Gabriel semblât lui fournir l'occasion de répondre avec un peu d'étendue, elle ne toucha que le point nécessaire, en peu de mots, déclarant son vœu de virginité, en termes humbles et chastes, mais assez clairs pour être compris : Je ne connais point d'homme.

III. - Réponse de Gabriel à l'objection de Marie.

À cette demande de la Vierge, l'ange répondit : Le Saint-Esprit viendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre : c'est pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu.

Premièrement. Ces paroles renferment trois admirables promesses que l'ange fait à la très sainte Vierge.

1) Il lui déclare que la conception de cet Enfant ne sera pas l'œuvre de l'homme, mais un effet de la vertu de l'Esprit-Saint. Lui-même viendra en elle et opérera ce miracle : et, parce que les œuvres de ce divin Esprit sont parfaites, il y viendra avec une nouvelle plénitude de grâces, pour la disposer à l'accomplissement de ce prodige inouï.

2) Il lui assure que la vertu du Très-Haut la couvrira de son ombre, et que, la préservant de toute apparence de souillure, il formera de son sang virginal, le corps de l'Homme-Dieu : comme l'oiseau, couvrant ses œufs de ses ailes, leur donne la vie par sa douce chaleur.

3) La troisième promesse est une conséquence des deux précédentes. Parce que, dit l'ange, l'Enfant qui naîtra de vous sera infiniment saint ; il s'appellera le Fils de Dieu. Et il le sera en effet, non par adoption, ainsi que les autres justes ; mais par l'union de son humanité avec la Personne du Verbe. Il sera saint, non par privilège, mais en vertu de sa conception toute sainte. Oh ! qui pourrait exprimer la joie que causèrent à la Vierge ces trois promesses de l'ambassadeur céleste.

Deuxièmement. Recueillons de tout ce discours une vérité morale. Pour que la Vierge conçût dans son sein le Fils de Dieu, il fallut que l'Esprit-Saint descendît en elle et que là vertu du Très-Haut la couvrit de son ombre, afin d'accomplir ce mystère. De même, pour que nous concevions dans notre âme l'esprit de salut et que nous devenions ainsi enfant de Dieu par adoption, il est nécessaire que l'Esprit-Saint nous en inspire le désir et que la vertu toute-puissante de Dieu, nous couvrant de son ombre, tempère en nous les ardeurs de la concupiscence et nous défende au milieu des tentations et des dangers.

IV. - L'ange confirme son ambassade.

Et voici, ajouta l'ange, qu'Élisabeth, votre parente, a conçu un fils en sa vieillesse ; et celle qui était appelée stérile est maintenant dans son sixième mois : car rien n'est impossible à Dieu.

Premièrement. Gabriel dit ces paroles à Marie pour trois raisons importantes.

1) Il veut lui apprendre une nouvelle qui doit remplir de consolation un cœur aussi charitable que le sien. Car, c'est le propre de la charité, dit l'apôtre saint Paul, de pleurer avec ceux qui pleurent, et de se réjouir avec ceux qui sont dans la joie. Comme donc Marie avait ressenti vivement la peine que sa cousine éprouvait d'être stérile, ainsi devait-elle prendre part à la joie que lui causait sa future maternité.

2) Il croit devoir confirmer par une preuve sensible la vérité de sa mission. En effet, il semble faire le raisonnement suivant : Puisqu'une femme stérile et avancée en âge a pu devenir mère, pourquoi ne croiriez-vous pas que vous pouvez concevoir en demeurant vierge ? Tout est possible à Dieu : ces deux miracles lui sont aussi faciles l'un que l'autre.
Ceci nous apprend que c'est la conduite ordinaire du bon esprit de punir les incrédules lorsque, par une affectation d'incrédulité, ils demandent qu'on leur fasse voir quelque prodige. C'est ainsi que Gabriel lui-même punit Zacharie, parce qu'il lui demanda un signe pour croire que, lui étant âgé et sa femme stérile, il leur naîtrait cependant un fils. Il n'en use pas de même à l'égard des âmes fidèles. Il leur donne de ces sortes de signes sans qu'elles les demandent, comme il en donne un bien frappant à la Vierge notre Dame, pour la réjouir et la consoler, et en même temps pour la confirmer dans sa foi. Concluons de là combien il est important de croire avec fermeté tout ce que la foi nous enseigne ; car Dieu a coutume de donner intérieurement aux âmes soumises des preuves claires de la vérité de nos mystères, tandis qu'il les refuse aux incrédules, selon cette parole du prophète Isaïe : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas.

3) Enfin, l'ange veut découvrir à Marie la raison fondamentale sur laquelle est appuyé tout ce qu'il lui a dit ; et il l'exprime par cette parole pleine de grandeur : Aucune chose n'est impossible à Dieu. C'est-à-dire : Il peut faire tout ce qu'il veut, et accomplir tout ce qu'il promet. Il peut, en particulier, opérer la double merveille dont je vous entretiens : donner la fécondité à celle qui est stérile, et à celle qui a résolu de demeurer vierge pour toujours.

Deuxièmement. De ce principe, tirons deux instructions spirituelles, bien consolantes.

Voici la première. Quoiqu'une âme ait été longtemps stérile en toutes sortes de bonnes œuvres, Dieu, par sa toute-puissance, peut changer sa stérilité, si invétérée qu'elle soit, en une fécondité très heureuse. Comme Élisabeth, naturellement stérile, conçut un fils qui devait recevoir le nom de Jean, c'est-à-dire, grâce, ainsi cette âme, enfin devenue féconde, pourra porter des fruits de grâce et de bénédiction très agréables au Seigneur.
L'espérance d'un si grand bien doit nous consoler et nous encourager à faire tous nos efforts pour l'obtenir, nous souvenant de ces paroles d' Isaïe et de saint Paul : Réjouissez-vous, stérile qui n'enfantez pas; chantez des cantiques de louanges, poussez des cris de joie, vous qui n'avez point de fils ; parce que l'épouse qui était stérile, comme Sara, aura plus d'enfants que celle qui était féconde, comme Agar, a dit le Seigneur.

Voici la seconde. La Vierge notre Dame, par la vertu de l'Esprit-Saint, a pu devenir Mère d'un Fils préférable, lui seul, à cent mille autres fils : de même, ceux qui s'obligent par vœu à garder la virginité, auront un grand nombre d'enfants spirituels, qui vaudront incomparablement mieux que des enfants selon la nature. C'est ainsi que Dieu accomplira la promesse qu'il leur a faite par son prophète : Que ceux qui ont renoncé au mariage pour l'amour de moi ne disent pas : Je ne suis qu'un bois aride ; car voici ce que dit le Seigneur : Je leur donnerai dans ma maison et dans l'enceinte de mes murs une place d'honneur, et un nom qui sera plus glorieux pour eux que des fils et des filles, nom éternel dont la mémoire ne périra jamais.

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Méditation pour le 5e mystère glorieux

Tirée de Vie divine de la Très Sainte Vierge
de Marie d'Agreda

Le couronnement de la Très Sainte Vierge au Ciel


À peine l'âme auguste, et qui n'a pas d'égale de la sainte Vierge, fut séparée du corps, Jésus-Christ la reçut à sa droite sur son trône royal, et l'immense procession des anges et des saints se dirigea vers le ciel. Le rédempteur, entra avec sa mère entourée de gloire, sans qu'il lui fût demandé compte dans un jugement particulier, des dons et des faveurs qui lui avaient été accordés, ni de rien autre chose, selon la promesse qui lui fut faite, lorsqu'elle fut exemptée du péché originel, comme élue pour reine, comme privilégiée, et n'ayant pas part à toutes les misères des enfants d'Adam. Dès le premier instant de sa conception, elle fut une aurore claire et resplendissante, environnée des rayons du soleil divin, elle surpassa la clarté des plus ardents séraphins, ensuite elle fut élevée jusqu'à toucher la divinité dans l'union du Verbe avec la sainte humanité, il fut dès lors convenable et nécessaire, que pendant toute l'éternité elle fût sa compagne, et qu'il y eût la plus grande ressemblance possible entre le fils et la mère. Le divin rédempteur la présenta sous ce titre auguste devant le trône divin, et il dit :

Mon Père éternel, ma chère mère, votre fille bienaimée, et l'épouse chérie de l'Esprit-Saint, vient recevoir la possession éternelle de la couronne, et de la gloire que nous lui avons préparée en récompense de ses mérites. C'est celle qui est née parmi les enfants d'Adam comme une rose entre les épines, sans tâche, pure et belle, digne d'être reçue dans nos mains ; c'est notre élue, notre unique et singulière, à qui nous avons donné la grâce et la participation de nos perfections, au-dessus des règles ordinaires des autres créatures, en elle nous avons déposé le trésor de notre divinité ; c'est celle qui a trouvé grâce à nos yeux et en qui nous avons pris nos complaisances. Il est donc juste, que ma mère reçoive la récompense comme mère, et si pendant tout le cours de sa vie, elle a été semblable à moi au degré possible à une pure créature, elle doit encore aussi me ressembler dans la gloire et être sur le trône de notre majesté, afin que là où est la sainteté par essence, soit aussi celle qui en a reçu la plus grande participation.

Le Père et le Saint-Esprit approuvèrent aussitôt ce décret du Verbe incarné, et l'âme très sainte de Marie, fut élevée à la droite de son fils sur le trône royal de l'auguste Trinité. C'est la plus sublime excellence de notre grande reine, d'être placée sur le trône nième des personnes divines, et d'y avoir le rang et le titre de souveraine Impératrice, lorsque tous les autres habitants du ciel, sont les ministres et les serviteurs du roi Tout Puissant. Il n'est pas possible d'exprimer l'intensité de la nouvelle joie que reçurent dans ce jour solennel tous les bienheureux, ils entonnèrent de nouveaux cantiques de louanges au Très Haut, pour la gloire incompréhensible de sa fille, mère et épouse, dans laquelle ils glorifiaient, l'œuvre de sa main toute puissante ; et quoique le Seigneur ne puisse pas recevoir une nouvelle gloire intérieure, puisqu'elle est infinie de toute éternité ; néanmoins les manifestations extérieures de ses complaisances, pour l'heureux accomplissement de ses décrets éternels furent plus grandes dans ce jour, car il sortit une voix du trône divin qui dit :

Tous nos désirs et notre divine volonté se sont accomplis dans la gloire de notre bienaimée, et tout s'est fait à l'entière satisfaction de notre complaisance.

Le troisième jour dans lequel l'âme très sainte de la divine mère Vierge jouissait de la gloire, le Seigneur manifesta à toute la cour céleste, que c'était sa volonté que cette grande âme revînt au monde, et reprit son corps, afin d'être de nouveau élevée en corps et en âme au trône divin, sans attendre la résurrection générale des morts. Tous applaudirent au décret divin, le rédempteur lui-même descendit du ciel avec l'âme glorieuse de sa mère à ses côtés, accompagné des saints et des esprits bienheureux ; après être arrivés au sépulcre à la vue du temple virginal du Très Haut, le Seigneur parla ainsi aux saints :

Ma mère a été conçue sans aucune tâche de péché, afin que de sa très pure substance virginale et immaculée, je me revêtisse de l'humanité avec laquelle je suis venu au monde, racheté déjà de l'esclavage auquel il était assujetti, ma chair est la chair de ma mère, elle a encore coopéré avec moi dans l'œuvre de la rédemption ; ainsi je dois la ressusciter comme je me suis ressuscité, et que ce soit au même moment où je ressuscitai moi-même, car je veux la rendre en tout semblable à moi.

 Tandis que tous les saints applaudissaient par des cantiques de louanges à ce nouveau bienfait, l'âme très pure de la reine entra aussitôt, par le commandement de son divin fils, dans son corps très pur, et le ressuscita en le prenant, elle lui communiqua les quatre qualités glorieuses, savoir ; la clarté, l'impassibilité, l'agilité et la subtilité, qui correspondent toutes à la gloire de l'âme dont elles tirent leur origine. La sainte Vierge sortit avec ces qualités du sépulcre en corps et en âme, sans remuer la pierre, et ses habits et le linceul restèrent dans le tombeau.

Il est impossible ici de décrire la clarté, la splendeur et l'admirable beauté de sa gloire ; il nous suffit de considérer que de même que la divine mère donna à son très saint fils la forme humaine dans son sein virginal, et la lui donna très pure et sans tache pour racheter le monde ; ainsi en retour de ce don, le Seigneur lui donna dans cette résurrection et nouvelle génération, une autre gloire et beauté semblable à la sienne ; et dans cette correspondance toute mystérieuse et divine chacun fit ce qui lui fut possible, car la Vierge mère engendra Jésus-Christ semblable à elle-même autant qu'il fut possible, et Jésus-Christ la ressuscita en lui communiquant sa gloire, autant qu'elle fut capable d'en recevoir dans sa sphère de pure créature. La magnifique procession partit du sépulcre avec une musique céleste, et s'avança à travers la région de l'air vers le ciel empyrée, au même moment ou le Christ ressuscita, le jour du dimanche qui suivit immédiatement la mort, après minuit ; c'est pourquoi tous les apôtres ne purent connaître le miracle, excepté ceux qui étaient présents et veillaient auprès du saint sépulcre. Les saints et les anges entrèrent dans le ciel dans le même ordre qu'ils étaient venus de la terre ; après eux venait le glorieux Rédempteur et à sa droite la reine mère avec une parure enrichie d'or et embellie de divers ornements. Elle était si admirablement belle que tous les bienheureux en étaient dans l'admiration et l'étonnement, ils se tournaient pour l'admirer et la bénir avec une nouvelle joie et de nouveaux cantiques de louanges. Alors on entendit ces éloges mystérieux que Salomon a écrits :

Sortez fils de Sion pour voir votre reine que louent les étoiles du matin et que bénissent les enfants du Très Haut. Qu'elle est celle-ci qui s'élève du désert comme une colonne de fumée, formée de tous les parfums ? Qu'elle est celle-ci qui parait comme l'aurore, plus belle que la lune, élue comme le soleil, et terrible comme une armée rangée en bataille ? Qu'elle est celle-ci qui vient du désert, appuyée sur son bienaimé, abondante en délices ? Qu'elle est celle-ci dans qui la Divinité même a trouvé plus de complaisances que dans tout le reste des créatures, et qu'il élève au-dessus de toutes, jusqu'au trône de sa lumière inaccessible et de sa Majesté. Ô merveille qu'on n'avait jamais vue dans les cieux ! Ô prodige de la toute-puissance, qui la glorifie et l'exalte ainsi.

La très sainte Vierge arriva dans cette gloire en corps et en âme au trône royal de la très sainte Trinité, et les trois personnes divines la reçurent avec un embrassement éternellement indissoluble, elle fut comme absorbée entre les personnes divines et comme submergée dans cette mer infinie de l'abîme de la Divinité, et tous les saints remplis d'admiration et d'une nouvelle joie extraordinaire, entendirent ces paroles du Père éternel :

Notre fille Marie a été élue et choisie par notre éternelle volonté, comme unique et singulière parmi toutes les créatures, et elle est aussi la première pour nos délices ; jamais elle n'a dégénéré de son titre de fille, qui lui a été donné dès l'éternité dans notre entendement divin ; c'est pourquoi elle a droit sur notre royaume éternel, dont elle doit être reconnue et couronnée la légitime Souveraine et Reine.

Le Verbe incarné dit aussi :

 À ma mère véritable et naturelle, appartiennent toutes les créatures que j'ai créées et rachetées, et tout ce dont je suis roi, elle doit en être aussi la souveraine reine légitime.

Et l'Esprit-Saint dit :

Par le titre de mon épouse unique et élue, auquel elle a correspondu avec une parfaite fidélité, la couronne de reine lui est due aussi pour toute l'éternité.

Après ces paroles, les trois personnes divines placèrent sur la tête auguste de la très sainte Vierge, une couronne de gloire, d'une splendeur si belle, qu'il ne s'en était jamais vue auparavant, et qu'il ne s'en verra donner à l'avenir à une pure créature. Dans le même instant, il sortit une voix du trône, qui dit :

Notre amie et élue entre toutes les créatures, notre royaume vous appartient, vous êtes souveraine, reine, maîtresse de tous les Séraphins et de tous les anges nos ministres, et de l'universalité de toutes nos créatures ; veillez donc, commandez et régnez heureusement sur elles ; dans notre suprême Consistoire nous vous donnons l'empire, la majesté et le domaine, parce que, quoique remplie de grâce au-dessus de toutes les créatures, vous vous êtes humiliée dans votre esprit, et vous vous êtes toujours mise au dernier rang ; recevez maintenant le rang sublime qui vous est dû, et participez au souverain domaine que notre divinité possède sur tout ce que notre toute-puissance a créé. De votre trône royal vous commanderez jusqu'au centre de la terre, et par le pouvoir que nous vous donnons, vous tiendrez l'enfer assujetti ; tous vous craindront et vous obéiront jusque dans les cavernes infernales ; vous règnerez sur la terre, et sur tous les éléments, nous mettons dans vos mains les vertus et les effets de toutes les causes naturelles, et leur conservation, afin que vous disposiez des influences du ciel et des fruits de la terre, de tout ce qui existe et existera ; distribuez-le selon votre bon plaisir, et notre volonté sera toujours prompte à accomplir la vôtre. Vous êtes impératrice et reine de l'Église militante, sa protectrice, son avocate, sa mère et sa maîtresse. Vous serez l'amie, la patronne, la protectrice de tous les justes nos amis, vous les consolerez, les fortifierez et les remplirez de biens, selon qu'ils s'en rendront dignes par leur dévotion. Vous êtes la Dépositaire de toutes nos richesses divines, la Trésorière de nos biens. Nous laissons dans vos mains les secours et les faveurs de noire grâce, afin que vous les dispensiez ; car nous ne voulons rien accorder au monde, qui ne passe par vos mains, et nous ne voulons rien refuser, de ce que vous accorderez. La grâce sera répandue sur vos livres, pour tout ce que vous, voudrez et ordonnerez dans le ciel et sur la terre ; les anges et les hommes vous obéiront en tout lieu, parce que tout ce qui est à nous vous appartient, de même que vous nous avez toujours appartenue, et vous règnerez avec nous pour l'éternité.

Pour l'exécution de ce décret éternel le Tout Puissant ordonna à tous les courtisans du ciel de lui prêter tous obéissance et hommage, en la reconnaissant pour leur reine, et tous promptement obéissants se reconnurent ses serviteurs et ses vassaux, et la vénérèrent de la même manière, avec le culte, la crainte filiale, et la respectueuse vénération avec laquelle ils adorent le Seigneur ; ainsi ils donnèrent relativement les mêmes devoirs à la divine mère ; et ce petit nombre de saints qui étaient au ciel en corps et en âme, se prosternèrent et vénérèrent leur Reine par des hommages corporels. L'Impératrice des cieux fut ainsi glorifiée et couronnée au milieu de ces magnifiques démonstrations, qui furent une grande gloire pour elle et une nouvelle joie pour les bienheureux et un sujet de complaisance pour la très sainte Trinité ; elle donna une nouvelle gloire à toute la céleste Jérusalem, principalement à saint Joseph, son chaste époux, à ses saints parents et tous ceux qui lui étaient unis ; mais pardessus tout à ses mille anges gardiens. Les saints virent dans son cœur très pur, comme un petit  globe d'une splendeur et d'une beauté singulière qui leur causa et leur causera sans cesse une admiration et une joie spéciale ; c'est la récompense et le témoignage de ce qu'elle avait gardé d'une manière digne dans son sein, le Verbe incarné sous les espèces sacramentelles et l'avait reçu dignement avec pureté et sainteté, sans aucune faute, ni une ombre même d'imperfection, mais avec une grande dévotion, amour et culte. Pour les autres récompenses correspondantes à ses héroïques et singulières vertus, il est impossible d'en dire quelque chose qui puisse les faire connaître d'une manière convenable. Nous dirons seulement que cette résurrection eut lieu le quinze août, son corps très pur, demeura pendant trente-six heures dans le sépulcre, comme celui de son très saint fils.

Les apôtres et les disciples sans pouvoir essuyer leurs larmes, assistaient jour et nuit au sépulcre, en particulier saint Pierre et saint Jean, et remarquant que la musique céleste avait cessée et qu'ils ne l'entendaient plus, ils comprirent que la divine mère était ressuscitée et était transportée au ciel en corps et en âme, comme son divin fils, alors ils se rassemblèrent tous avec les disciples et les autres fidèles, ils ouvrirent le sépulcre et le trouvèrent vide. Saint Pierre prit la tunique et le linceul et les vénéra, ce que firent aussi tous les autres, ils furent ainsi pleinement assurés de la résurrection et de l'assomption de la sainte Vierge au ciel ; ils célébrèrent cette merveille avec des larmes de joie et de douleur, en chantant des psaumes, et des hymnes de louanges et de gloire au Seigneur et sa divine mère, mais suspendus entre l'étonnement et la tendresse, ils regardaient le sépulcre s'en pouvoir s'en éloigner, lorsqu'un ange du Seigneur descendit du ciel, et leur apparut en leur disant :

Hommes de Galilée, de quoi êtes-vous étonnés ? Votre reine et la nôtre vit déjà en corps et en âme dans le ciel, où elle règne pour toujours avec le Christ ; elle m'envoie afin que je vous confirme cette vérité et que je vous dise de sa part, qu'elle vous recommande de nouveau l'Église, la conversion des âmes, et la propagation de l'évangile de Jésus-Christ au ministère duquel elle veut que vous reveniez aussitôt, comme il vous a été ordonné, et elle prendra soin de vous du haut du ciel.

Les apôtres furent ranimés par cet avis, et dans leurs courses apostoliques, ils reconnurent ensuite très souvent sa toute puissante protection, en particulier à l'heure de leur martyre, car elle leur apparut à tous, les assista comme une mère miséricordieuse, et ensuite elle présenta leurs âmes au Seigneur, comme elle le fera aussi fidèlement pour tous ceux qui la serviront avec une véritable ferveur dans la vie et l'invoqueront à la mort.

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Méditation pour le 4e mystère glorieux

Tirée de La vie de Notre Seigneur Jésus-Christ
de Ludolphe le Chartreux

L'Assomption

Aucun livre canonique ne nous raconte de quelle manière la bienheureuse Vierge fut enlevée au ciel ; et parmi les Latins, aucun ancien auteur ne donne d'histoire certaine sur ce sujet intéressant. Saint Jean lui-même, qui aurait pu nous en instruire mieux que tout autre, ne nous a laissé aucune relation écrite sur la précieuse mort de Celle qui lui avait été recommandée comme sa propre mère ; c'est sans doute parce que la divine Providence ne jugeait pas cette manifestation opportune. Saint Jérôme ajoute à ce propos :

« Dans la vallée de Josaphat, qui est située entre la montagne de Sion et celle des Oliviers, s'élève une admirable église consacrée à Marie ; on y montre encore un tombeau vide, où, suivant la tradition commune, cette bienheureuse Vierge avait été ensevelie. Je dis cela, parce que plusieurs Chrétiens de nos jours doutent si elle a été transportée dans le ciel avec son corps ou si ce corps est resté en terre ; car on ne sait ni quand ni comment il a disparu de ce lieu, s'il a été déposé ailleurs ou s'il a été réuni à son âme triomphante. Beaucoup d'autres soutiennent néanmoins que la Sainte-Vierge est déjà ressuscitée, et qu'elle est désormais revêtue d'une glorieuse immortalité dans la possession éternelle de son Fils bien-aimé. De ces deux sentiments, quel est le plus certain ? Nous n'osons le décider ; nous préférons cependant croire celui qui est le plus honorable à la toute-puissance divine, sans toutefois que nous prétendions définir par notre seule autorité ce qui nous paraît être plus probable. »

Ainsi parle saint Jérôme. Sur ce même sujet écoutons saint Augustin exprimer son sentiment en ces termes :

« Je fais remarquer d'abord que l'Évangile ne parle plus de la sainte Vierge depuis le moment où le Sauveur expirant sur la croix la confia à saint Jean ; et saint Luc se contente de dire dans les Actes des Apôtres (I, 14) : Tous ensemble persévéraient dans la prière avec Marie, mère de Jésus. Puisque l'Écriture ne fait mention ni de son trépas ni de son Assomption, nous devons chercher dans la raison ce qui, à cet égard, nous semblera plus conforme à la vérité ; car l'autorité n'a point de valeur sans la vérité. Quand donc je considère la condition humaine, je ne crains pas d'affirmer que la bienheureuse Vierge a subi la mort temporelle ; mais la parfaite sainteté qui convient à sa dignité sublime permet-elle de supposer que cette noble Mère du Très-Haut est tombée en pourriture, a été livrée aux vers et réduite en poudre comme la masse commune ? Il est vrai que le Seigneur a dit à notre premier père : "Tu viens de la poussière, et tu retourneras dans la poussière" (Gen. III, 19). Cependant la chair que Jésus-Christ avait prise de la sainte Vierge a échappé à cette sentence générale, de manière à ne point éprouver la dissolution ordinaire.

Il est également vrai que le Seigneur a dit à la première femme : "Je t'accablerai d'afflictions, et tu enfanteras dans la douleur" (Ibid. 16). La sainte Vierge a bien souffert d'immenses afflictions, lorsque son âme fut transpercée dans la Passion du Sauveur comme par un glaive acéré ; néanmoins, elle n'a point enfanté dans la douleur. C'est ainsi qu'elle a été dispensée de plusieurs lois universelles à cause de son incomparable dignité. Serait-ce donc une impiété de penser que, si la mort l'a frappée, elle ne l'a point pourtant retenue captive ? Si Jésus-Christ a voulu maintenir Marie toujours vierge sans tache ni souillure, pourquoi n'aurait-il pas voulu la préserver de toute infection et putréfaction ? Puisqu'il est venu dans le monde pour accomplir et non pour abolir la loi, ne devait-il pas comme un bon fils pourvoir à l'honneur de sa tendre Mère ? Et, puisqu'en naissant de son chaste sein, il l'a exaltée pardessus toutes les créatures durant sa vie, ne peut-on pas pieusement croire qu'il l'a favorisée d'un juste privilège, en la gardant d'une corruption humiliante ?

C'est un opprobre pour notre humanité d'être sujette à devenir un amas de pourriture et la proie des vers. Or comme notre Rédempteur en fut exempt, la Vierge dont il est né en fut pareillement affranchie ; car la chair de Jésus est la chair de Marie, de telle sorte qu'en élevant sa propre nature par-dessus les astres, le Sauveur a honoré celle de tout homme et principalement celle de son auguste Mère. Autant donc que je le conçois et que je le crois, Marie a reçu de son divin Fils une prérogative incomparable ; car non-seulement elle voit glorifié en Jésus-Christ le corps qu'elle a enfanté, mais de plus elle voit même glorifié en sa propre personne le corps où elle l'a conçu, telle est mon intime conviction jusqu'à ce qu'elle soit renversée par une autorité constante ; car un sanctuaire aussi vénérable, un trésor aussi précieux que le corps de Marie est plus convenablement placé et conservé au ciel que sur la terre ; et parce qu'il resta pur sans être jamais souillé, il mérita bien de demeurer incorruptible sans être jamais dissous. Voilà pourquoi je n'ose ni dire ni penser qu'un dépôt aussi sacré soit devenu la pâture des vers ; une pareille supposition semble inconciliable avec l'excellence de la divine maternité. D'après plusieurs raisons tirées des Écritures, je dois confesser que le Seigneur, après avoir rempli la sainte Vierge d'une grâce supérieure, l'a comblée d'une gloire suréminente, en l'associant aux joies de l'éternité plus parfaitement que tous les autres ; que par conséquent, après avoir donné le jour à son Sauveur et au Sauveur du monde, elle n'a point été abandonnée dans le tombeau à l'humiliation commune de la pourriture.

En effet, si, par sa volonté miséricordieuse, le Seigneur a garanti des flammes dévorantes non seulement les personnes, mais même les vêtements des trois jeunes Hébreux dans la fournaise de Babylone, s'il a délivré de tout mal le prophète Jonas dans le ventre de la baleine, s'il a protégé Daniel contre les dents meurtrières des lions affamés, est-ce que par une juste bienveillance, il n'aurait pas soustrait à la corruption, aux vers et à la poussière sa propre Mère ornée de tant de vertus, de mérites et de prérogatives ?

Puisque, pour arracher à différents périls ses simples serviteurs, il ne s'est point astreint à suivre l'ordre de la nature, nous ne doutons point que, pour conserver Marie dans toute son intégrité, il n'ait préféré suivre l'ordre de la grâce. Donc, Marie règne en corps et en âme avec son divin Fils ; elle, qui l'a jadis enfanté sans éprouver d'atteinte à sa virginité, le possède maintenant sans subir d'altération en sa chair ; et Celle qui a produit l'Auteur de la vie pour tous jouit de la vie complète en tout son être. Si dans ce discours j'ai parlé comme je devais, veuillez l'agréer, Seigneur, vous et les vôtres ; sinon daignez me le pardonner. »

Telles sont les paroles de saint Augustin. Nous devons croire par conséquent que, si la sainte Vierge a été soumise à la mort, du moins elle ne l'a point été à la corruption. Après son paisible trépas, son âme bienheureuse ne tarda point à se réunir à son corps glorifié ; elle fut alors portée en triomphe dans le ciel, comme l'a décrit saint Jérôme dans son sermon pour la solennité de l'Assomption :

« C'est en ce jour illustre, dit-il, que la Vierge immaculée fut ravie dans les hauteurs des cieux, où elle est assise sur un trône de gloire, à côté de son divin Fils. Aussi la sainte Église ne craint pas de proclamer qu'elle a été exaltée par-dessus tous les chœurs angéliques ; cet éloge lui convient d'une manière tellement exclusive qu'on n'en peut dire autant d'aucun autre saint ; car bien que les saints soient semblables aux anges, comme Jésus-Christ le déclare, ils ne leur sont cependant point supérieurs. Représentons-nous donc toute la cour céleste qui s'empresse d'aller à la rencontre de cette reine environnée d'une lumière étincelante ; au milieu des hymnes et des cantiques, elle est conduite jusqu'à la place sublime qui lui fut préparée avant la création du monde. Nul doute que toute la Jérusalem céleste n'ait alors tressailli d'une allégresse ineffable, retenti d'immenses acclamations et ressenti un accroissement de dilection et de félicité. Ce n'est pas sans raison : car le Seigneur des armées, escorté de ses phalanges victorieuses, s'avança lui-même au-devant de sa digne Mère pour lui faire honneur ; et après l'avoir introduite dans son royaume, en lui témoignant une tendre affection, il la fit siéger majestueusement à sa droite. Or, si les habitants des cieux se réjouissent en apprenant la conversion d'un pécheur sur la terre, quels ne durent pas être leurs transports en voyant l'exaltation de leur Souveraine dans l'empyrée. Son triomphe et sa glorification excitèrent leur jubilation et leurs applaudissements, parce que les honneurs rendus à Marie se rapportent à Jésus, le Sauveur de tous.

Cette intronisation solennelle dont nous célébrons la mémoire chaque année, ils en célèbrent la fête durant toute l'éternité avec des sentiments continuels d'allégresse et d'admiration, d'amour et de vénération ; car ils ne se lassent point de bénir et de féliciter la Vierge immaculée dont ils ne cessent point de servir et d'adorer le Fils comme leur Roi, devant lequel toutes les puissances s'abaissent et tous les genoux s'inclinent respectueusement. Aussi, n'y a-t-il point de perfection et de beauté, de splendeur et de gloire qui ne brillent avec un éclat incomparable en cette divine Mère. Toutefois, si vous aimez à contempler les prérogatives dont elle est décorée, n'oubliez pas de considérer les vertus qu'elle a pratiquées ; car sa vie est un modèle pour tous les Chrétiens, et sa conduite a servi de règle pour l'Église entière. Assurément, il n'est point au monde de créature plus excellente et plus puissante ; afin de mériter sa protection et d'obtenir son assistance, efforçons-nous de marcher sur ses traces et d'imiter ses exemples. »

Après avoir entendu saint Jérôme, écoutons saint Bernard (Serm. I de Assumpt.)

« Aujourd'hui notre terre envoie au ciel un présent très précieux pour établir entre Dieu et l'homme un commerce d'amitié par un heureux échange de dons réciproques. Voilà qu'en effet un fruit merveilleux de la terre s'élève jusqu'au ciel, d'où descendent les grâces excellentes. La Vierge Marie monte au-dessus des astres afin de répandre ses bienfaits sur les hommes. Et que ne donnera-t-elle pas ? Elle en a la faculté et la volonté, parce qu'elle est toute-puissante et très miséricordieuse, comme Reine de l'univers et Mère du Fils de Dieu. Ces titres sont les plus propres à relever la grandeur de son pouvoir et de sa bonté ; car pourrait-on supposer que le Fils de Dieu n'honore point sa Mère ? ou pourrait-on douter de l'affectueuse charité de Celle qui durant neuf mois a porté dans ses chastes entrailles la Charité incarnée ? Sans parler davantage des bienfaits que nous procure son exaltation, si nous aimons Marie, nous nous réjouirons certainement, parce qu'elle va retrouver son Fils ; et nous l'en féliciterons, à moins que nous ne soyons monstrueusement ingrats envers notre généreuse bienfaitrice. Aujourd'hui, dès son entrée dans la sainte Sion, elle est reçue par Celui qu'elle-même avait déjà reçu, quand il était entré dans ce monde inférieur. Avec quel honneur, quelle joie et quelle gloire il s'empresse de l'accueillir ? Sur la terre, il n'y eut jamais de temple plus auguste que le sein virginal où Marie admit le Fils de Dieu ; au ciel pareillement, il n'y a point de degré plus sublime que le trône royal où le Fils de Dieu place aujourd'hui Marie. Des deux côtés, on ne peut voir de plus dignes réceptions ; elles sont l'une et l'autre ineffables, parce qu'elles sont incompréhensibles. Pourquoi donc, en cette fête de l'Assomption, l'Église fait-elle lire l'Évangile qui raconte comment une femme privilégiée eut le bonheur de loger le Sauveur ?

À mon avis, c'est pour que cette réception nous fasse estimer de quelque manière celle dont nous célébrons aujourd'hui la mémoire ; ou plutôt c'est pour que la gloire inestimable de la première nous donne quelque idée de la seconde pareillement inestimable. En effet, lors même que quelqu'un parlerait le langage des hommes et des Anges, pourrait-il jamais expliquer comment par l'opération mystérieuse du Saint-Esprit s'est fait chair le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait ; et comment le Seigneur d'une majesté infinie, qui n'est point circonscrit dans les limites de l'univers, s'est néanmoins renfermé dans les entrailles d'une Vierge, en s'incarnant ? Qui pourrait aussi concevoir avec quelle splendeur la Reine du monde s'élève de la terre en ce jour ; avec quelle dévotion les légions célestes s'avancent en foule à sa rencontre ; avec quels cantiques harmonieux elle est introduite dans les tabernacles éternels ; avec quel gracieux visage, avec quel aimable sourire et quels joyeux embrassements JésusChrist l'aborde et la salue, l'exalte au-dessus de toute créature et la comble de toutes les faveurs, comme il convient à une telle Mère et à un tel Fils ? Assurément, elle fut heureuse autrefois de recueillir les baisers du divin Enfant, lorsqu'elle le pressait avec une pieuse tendresse sur son sein virginal, en le nourrissant d'un lait très-pur ; mais n'est-elle pas plus heureuse encore de recueillir les baisers de l'Homme-Dieu assis à la droite du Père éternel, aujourd'hui qu'elle monte triomphante vers le trône de gloire, en chantant les suaves paroles de l'épithalame sacré : "Qu'il me donne un baiser de sa bouche" (Cant. I, 1) ? Oh ! qui racontera la génération du Christ et l'Assomption de Marie ? Car autant cette divine Mère surpassait en grâce toutes les créatures, tandis qu'elle demeurait sur terre ; autant elle les surpasse en gloire, maintenant qu'elle réside au ciel. Si comme l'assure saint Paul (I Cor. II, 9) l'œil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, le cœur de l'homme n'a point ressenti ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment, qui peut dire, savoir ou comprendre ce qu'il a réservé pour sa propre Mère qui l'aime plus que tous les autres ? Heureuse donc Marie et mille fois heureuse, d'abord quand elle reçoit le Sauveur, puis quand le Sauveur la reçoit elle-même à son tour ! »

Avant que saint Bernard s'exprimât de la sorte, saint Anselme avait dit sur le même sujet (De Excellent. B. V. M. c. 8) :

« Quand Notre Seigneur eut résolu d'appeler sa propre Mère dans son royaume éternel pour lui manifester la magnificence de sa gloire, quel appareil d'honneur et de dignité ne déploya point toute la cour des Anges ? quels cantiques de louange et d'allégresse ne firent point retentir les anciens justes, associés depuis quelque temps aux purs esprits ? Tous les citoyens de l'heureuse patrie se disposèrent à recevoir leur Souveraine avec une pompe extraordinaire, en se livrant à une jubilation ineffable. Faut-il s'en étonner ? Jésus lui-même, leur divin Maître, Fils de cette très-chaste Vierge, voulut aller avec empressement à la rencontre de sa Mère bienaimée ; est-ce qu'alors quelqu'un de ses familiers aurait négligé de participer à la joie de cette grande fête ? N'est-il pas d'usage parmi les hommes que tous les fidèles serviteurs témoignent une vive satisfaction en voyant venir un ami particulièrement cher à leur puissant seigneur ? et que ne font-ils pas surtout pour accueillir convenablement ses plus proches parents ? S'il en est ainsi dans ce monde même, où ceux qui sont bons le sont beaucoup moins que dans la sainte Jérusalem, quels ne durent pas être les délicieux transports et les mélodieux concerts des célestes habitants, quand ils apprirent que la Mère de Dieu allait arriver en leur compagnie et que le Fils de Dieu allait l'admettre en son règne. Lui-même, en effet, accompagné de plusieurs myriades ou plutôt d'innombrables chœurs d'anges, s'élance au-devant de cette Vierge auguste qui s'élève de la terre ; il la fait monter au plus haut des cieux, et la fait asseoir sur un trône d'honneur, d'où elle doit dominer éternellement avec lui sur toutes les créatures. Depuis ce moment, fut-il jamais réception plus solennelle, exaltation plus sublime ?

Ce jour de triomphe et de bonheur suprême pour vous, notre douce Reine, est un sujet de réjouissance et d'admiration continuelle pour tous les siècles ; car aujourd'hui, non-seulement vous êtes comblée d'une gloire incomparable, mais encore le ciel même avec tout ce qu'il contient est orné d'une gloire nouvelle par votre présence, qui en accroît la splendeur au-delà de toute pensée et de toute expression. Lorsque vous avez pénétré dans ce bienheureux séjour, ô illustre Souveraine, vous l'avez ennobli par l'excellence de vos vertus et de vos mérites, en même temps que vous l'avez enrichi par la surabondance de vos grâces et de vos miséricordes. Alors, les purs esprits qui, depuis le commencement du monde, jouissaient de l'éternelle béatitude, tressaillirent d'une allégresse extraordinaire ; car en voyant que le fruit béni de votre féconde virginité avait réparé les nombreuses pertes de leur sainte cité, ils durent ressentir une joie plus grande à l'arrivée de Celle qui leur avait procuré des biens si considérables. »

« Femme bénie entre toutes les autres, continue le même saint docteur, au jour de votre Assomption, la terre aussi fut arrosée d'une grâce merveilleuse ; car en apprenant que vous-même, formée d'elle et sortie d'elle comme tous les enfants de la race humaine, vous étiez exaltée jusqu'au trône du Créateur, elle crut fermement que, à la faveur des bénédictions dont vous étiez remplie, elle était soustraite désormais à la peine de l'antique malédiction, justement encourue par la faute de nos premiers parents. Que puis-je ajouter ? car celui qui désire célébrer la grâce et la gloire dont vous avez été comblée sent défaillir son intelligence et sa langue devant ce sujet immense. Votre triomphe, en effet, a non seulement embelli d'une façon inappréciable tout ce qui est au ciel ; mais de plus il a relevé d'une manière ineffable tout ce qui est sur la terre. Tous les hommes ont acquis un très haut degré d'honneur quand, à cause de votre heureuse Virginité sans tache, ils sont devenus capables de connaître, d'aimer et de servir leur Dieu surnaturellement. En voyant que vous, leur sœur, après avoir vécu parmi eux ici-bas, vous étiez transportée par-dessus tous les cieux et placée près de votre divin Fils, ils ont reconnu qu'ils ne devaient rien aux vaines idoles, mais qu'ils devaient tout à leur Dieu, incarné dans votre sein très chaste pour rétablir son œuvre détériorée. Quelles louanges et quelles félicitations l'univers entier doit aussi conséquemment. à cette Vierge très sainte qui, par son incomparable pureté devenant mère de Dieu, a mérité de devenir la réparatrice du monde perdu. Aucun simple mortel ne peut suffisamment estimer combien de reconnaissance elle mérite pour avoir procuré un si grand bien à toute la création ; car tout ce que Dieu avait fait bon originairement était dégradé, lorsqu'il fut ramené à son ancien état au moyen de cette Vierge immaculée. Ainsi donc, comme Dieu est le père et le maître de tous ceux qu'il a créés par sa puissance et constitués par sa sagesse, Marie pareillement est la mère et la maîtresse de tous ceux qu'elle a réhabilités par ses mérites et reconstitués par la grâce dont elle s'est rendue digne.

Et comme Dieu a engendré de sa propre substance Celui qui a donné la première existence à toutes choses, Marie aussi a produit de sa propre chair Celui qui leur a rendu l'intégrité primitive. En outre, comme rien ne se maintient à moins que le Fils de Dieu ne le soutienne, de même nul ne se sauve à moins que le Fils de Marie ne le rachète. Quiconque voudra considérer l'influence prodigieuse que cette femme privilégiée a exercée pour la restauration du monde, sera frappé de stupeur et réduit au silence dans l'impuissance de concevoir l'éminence de sa dignité. C'est pourquoi, sans sonder des secrets pour nous  impénétrables, ne nous lassons point de la prier, afin de ressentir heureusement l'effet des mystères que nous ne pouvons comprendre. D'après les raisons que nous venons d'exposer, nous devons conclure qu'aucun homme ne peut être réprouvé de Dieu s'il implore et s'il obtient la protection de Marie ; car elle-même a conçu et enfanté Celui qui délivre les hommes de la mort et du péché, Celui-là seul qui peut les sauver ou les damner, Celui-là seul par conséquent qu'ils doivent craindre et en qui ils doivent espérer. Or si Marie est la Mère de Dieu, elle est en même temps la Mère des hommes ; si son Fils est leur Juge et leur Sauveur, il est également leur Frère. Comment-donc pourrions-nous n'avoir pas confiance, puisque notre salut ou notre damnation dépendent d'un Frère aussi bon et d'une Mère aussi tendre ? Ce bon Frère nous laissera-t-il punir après avoir expié nos fautes ? et cette tendre Mère nous laissera-t-elle perdre après nous avoir donné un Rédempteur ? Assurément cette douce Mère suppliera son doux Fils et Celui-ci l'exaucera certainement en faveur des enfants qu'elle a adoptés et des frères qu'il a affranchis. »

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Méditation pour le 3e mystère glorieux

Tirée de La vie de Notre Seigneur Jésus-Christ
de Ludolphe le Chartreux

La Pentecôte

Au jour de la Pentecôte, qui est le cinquantième après sa Résurrection et le dixième après son Ascension, le Seigneur Jésus rappelle à son Père céleste la promesse qu'il a faite à ses bien-aimés Apôtres de leur envoyer prochainement le Saint-Esprit. De concert alors, les deux premières personnes divines confient à la troisième la mission spéciale de descendre sur les disciples fidèles pour les consoler, les fortifier et les instruire, pour les remplir de grâces, les orner de vertus et les combler de joie. Selon la remarque du Vénérable Bède, cette troisième personne accomplit de plein gré cette grande fonction, parce qu'étant égale et consubstantielle aux deux autres, elle a la même volonté et la même puissance. Ainsi le Saint-Esprit fut envoyé conjointement par le Père et le Fils, dont il procède pareillement. Il vint donc en la fête de la Pentecôte. C'était, avec celle de Pâques et celle des Tabernacles, une des trois principales dont la solennité durait sept jours consécutifs chez les Juifs. À cette fête, qui se célébrait cinquante jours après Pâques, on avait donné le nom grec de Pentecôte, qui signifie cinquante ; car les Israélites, dispersés parmi les nations, parlaient communément la langue grecque, qui était alors la plus répandue et en quelque sorte universelle. Lorsque la solennité de la Pentecôte était commencée, les disciples étaient tous ensemble dans le même lieu, où leur divin Maître avait célébré sa dernière Cène, sur le mont Sion (Act. II, 1). C'est là que, réunies dans l'attente du divin Paraclet, cent vingt personnes environ de l'un et l'autre sexe continuaient de prier ; ainsi le nombre des disciples était déjà dix fois plus grand que celui des Apôtres (Ibid. I, 14 et 15). Vers l'heure de tierce, tout à coup on entendit venir du ciel comme le bruit d'un souffle violent c'est-à-dire d'un vent impétueux, ou plutôt de l'Esprit-Saint lui-même qui faisait sentir son action véhémente ; car il venait ainsi avec un bruit éclatant pour effrayer les cœurs rebelles, et avec un souffle puissant pour ranimer les pieux fidèles (Ibid. II, 2). Ce vent impétueux remplit toute la maison où les disciples étaient assis ; ou mieux encore, le Saint Esprit remplit tous ceux qui étaient assemblés dans le cénacle, selon la parole du Seigneur qui leur avait dit : Retirez-vous dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut (Luc. XXIV, 49). Apprenons ici que Dieu ne communique ses dons surnaturels qu'aux Chrétiens unis par la charité et disposés par le recueillement à recevoir sa visite bienfaisante. Les assistants virent alors apparaître comme des langues de feu, c'est-à-dire des rayons de feu sous forme de langues, qui se partagèrent et s'arrêtèrent sur la tête de chacun d'eux (Act. II, 3). Ce n'est pas sans motif, dit S. Grégoire (Hom. XXX in Evang.), que le Saint-Esprit se manifesta sous la figure de flammes ; car dans tous les cœurs qu'il remplit, il dissipe l'engourdissement du froid et excite le désir ardent de son éternité. Suivant Origène, notre Dieu est un feu qui consume, tant qu'il trouve des vices à détruire en nous ; puis quand il les a fait disparaître, il est un feu qui illumine. Selon S. Jérôme (in Ps. LXXVII), comme le feu a la double propriété d'éclairer et de brûler, de même Dieu éclaire les justes et brûle les pécheurs qu'il châtie dans l'enfer. De plus, les sept dons que confère le Saint-Esprit sont convenablement signifiés par les sept effets que produit le feu. Ainsi, comme le feu purifie les corps, liquéfie la cire, embellit les métaux, durcit la brique, soulève les vapeurs, éclaire les lampes et adoucit les aliments ; de même le Saint-Esprit purifie les cœurs par le don de crainte, les attendrit par le don de piété, les décore par le don de science, les affermit par le don de force, les élève par le don de conseil, les éclaire par le don d'intelligence et les adoucit par le don de sagesse. Tous aussitôt furent pleins du Saint-Esprit, et commencèrent à parler diverses langues, selon qu'il leur en mettait l'expression à la bouche (Act. II, 4), car l'Esprit qui souffle où il veut, comme Jésus-Christ le disait (Joan. III, 8), distribue ses dons ainsi qu'il lui plaît, ajoute saint Paul (I Cor. XII, 11). Aussi, par la lumière resplendissante de la science, il les instruisit de toute vérité ; par l'ardeur inextinguible de sa charité, il les embrasa de toute dilection ; par la force invincible de sa puissance, il les confirma en toute vertu ; et de plus il leur communiqua la connaissance infuse de toutes les langues, selon cette prédiction de la Sagesse (I, 7) : L'Esprit du Seigneur remplit le globe de la terre, et celui qui contient tout, c'est-à-dire l'homme, petit monde, abrégé de la création, possède la science de la parole. En d'autres termes : l'Esprit-Saint remplit le monde entier, en conférant aux disciples le don des langues afin qu'ils pussent parler le langage de tous. C'était un signe prophétique que l'Église chrétienne, d'abord contenue dans la Judée seule, devait s'étendre à toutes les nations dont elle parlait déjà les différents idiomes. Les premiers chrétiens qui s'exprimaient ainsi dans toutes les langues marquaient que dans toutes ces langues il y aurait de fidèles croyants. Comme la langue est l'instrument de la parole, et comme le feu est un principe de lumière, de chaleur et aussi de solidité pour la terre qu'il durcit, le Saint-Esprit, en descendant sur les Apôtres sous forme de langue de feu, montrait d'une manière sensible ce qu'il devait produire en eux ; car il venait leur mettre les paroles à la bouche, éclairer leur intelligence, échauffer leur cœur et fortifier leur volonté. Remarquons que le Saint-Esprit est descendu deux fois ostensiblement sur les Apôtres, ainsi que sur Jésus-Christ auparavant. Il descendit sur Jésus-Christ, à l'époque du Baptême, sous forme de colombe ; puis au moment de la Transfiguration, sous forme de nuée transparente ; la raison, en est que le Saint-Esprit devait communiquer la grâce du Rédempteur au moyen des sacrements, figurés par la colombe qui est un oiseau fécond, et au moyen de la doctrine, représentée par la nuée lumineuse d'où sortit cette voix céleste : Voici mon Fils bien-aimé, écoutez-le (Matth. XXII, 5). Il descendit aussi sur les Apôtres, en premier lieu sous forme de souffle, pour indiquer l'effusion de la grâce dont ils devaient être les ministres ; ce fut lorsque le Seigneur leur dit, en soufflant sur eux : Recevez le Saint- Esprit, les péchés que vous remettrez seront remis (Joan. XX, 22 et 23). Il descendit en second lieu sur tous les disciples, sous forme de langues de feu, pour marquer la diffusion de la grâce par la doctrine dont ils devaient être les prédicateurs ; ce fut lorsque, tous remplis du Saint-Esprit, ils commencèrent à parler en diverses langues. Ainsi, comme le fait observer saint Grégoire (Hom. 30 in Evang.), les Apôtres reçurent le Saint-Esprit deux fois manifestement après que le Sauveur fut ressuscité ; d'abord quand Jésus-Christ leur apparut encore sur la terre, puis quand il fut monté au ciel. Cette communication réitérée du Saint-Esprit signifiait le précepte de la charité répandue dans les cœurs par sa grâce ; car de même que la charité est une et comprend deux préceptes, de même aussi le Saint-Esprit est un et vint néanmoins deux fois. Jésus-Christ, étant sur la terre, le donna pour inspirer l'amour du prochain, ensuite il l'envoya du ciel pour exciter l'amour de Dieu ; mais s'il ne l'envoya du ciel qu'après l'avoir donné étant sur la terre, c'est parce que l'amour du prochain doit nous conduire à l'amour de Dieu, selon cette maxime de saint Jean (I Epist. IV, 20) : Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ? Avant la Passion du Sauveur, les Apôtres avaient déjà reçu deux fois le Saint-Esprit ; d'abord pour purifier leurs âmes, quand ils furent baptisés ; puis pour opérer des miracles, quand le Seigneur les envoya prêcher dans la Judée en leur disant : Guérissez les malades, ressuscitez les morts, chassez les démons (Matth. X, 8). Saint Jérôme dit à ce propos (Quæst. 9 ad Hedibiam) : « J'ose affirmer que, depuis le moment où ils ont cru en Jésus-Christ, les Apôtres ont toujours eu le Saint Esprit, et que, sans sa grâce, ils n'auraient pu accomplir aucun prodige ; mais ils ne l'avaient reçu que dans une faible mesure selon leurs dispositions imparfaites. Au jour de Pâques, le Seigneur ressuscité le leur conféra de nouveau, afin qu'ils pussent administrer les sacrements ; et au jour de la Pentecôte, il le leur envoya plus spécialement, pour qu'ils fussent capables d'évangéliser toutes les nations. » – « Il est certain, ajoute saint Léon (Serm. 2 de Pentec.), qu'en remplissant les Apôtres au jour de la Pentecôte, le Saint Esprit n'a point alors distribué ses premiers dons, mais plutôt qu'il a répandu ses nouvelles largesses. En effet, il avait déjà dirigé et sanctifié les Patriarches et les Prophètes, les prêtres de l'ancienne loi et tous les justes des premiers siècles ; il n'y eut jamais de sacrements institués, ni de mystères célébrés sans sa grâce, de telle manière que ses secours ont toujours été également nécessaires, bien que ses faveurs n'aient pas toujours été aussi largement accordées. » Remarquons encore que le Saint-Esprit se communique aux hommes de deux manières, visiblement ou invisiblement. Il s'est manifesté visiblement par cinq espèces de signes extérieurs : sous forme de colombe au Baptême du Seigneur, sous forme de nuée en la Transfiguration du Sauveur, sous forme de souffle le jour de Pâques, sous forme de feu et de langue le jour de la Pentecôte. Il se donne invisiblement, lorsqu'il descend dans les cœurs purs pour les sanctifier, selon cette parole de Jésus-Christ : L'Esprit souffle où il veut ; mais vous ignorez d'où il vient et où il va. On ne doit pas en être surpris ; car, comme le dit saint Bernard (Serm. 74 in Cant.), « il ne pénètre dans l'âme ni par les yeux puisqu'il n'a point de couleur, ni par les oreilles puisqu'il n'a point de son, ni par les narines puisqu'il n'est point aérien, ni par la bouche puisqu'il n'est point matériel ; il n'est susceptible ni d'être mangé ou bu, ni d'être touché ou palpé. Si ses voies sont étrangères aux sens extérieurs, comment puis-je savoir qu'il demeure en moi ? Par le mouvement du cœur je découvre sa présence véritable ; par la fuite des vices j'éprouve sa vertu puissante ; par l'examen et la désapprobation de mes secrètes pensées je comprends sa profonde sagesse ; par un certain amendement de mes mœurs je ressens sa bonté miséricordieuse ; par la forme et la rénovation de mes sentiments je perçois son admirable beauté ; par l'ensemble de toutes ces observations intimes je reconnais sa merveilleuse grandeur. » Ainsi parle saint Bernard.
(…)
Il y avait alors à Jérusalem des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel (Act. II, 5) ; car les Hébreux, que leurs différentes captivités avaient dispersés de toutes parts s'étaient réunis par une disposition providentielle pour célébrer la solennité de la Pentecôte. Au bruit de ce qui s'était passé, ils accoururent en grand nombre au lieu où les disciples étaient assemblés ; et ils furent fort surpris de ce que chacun d'eux les entendait parler en sa propre langue (Ibid. 6). D'autres cependant se moquaient des disciples, en affirmant qu'ils étaient pleins de vin nouveau, c'est-à-dire qu'ils étaient plongés dans une ivresse extrême ; car celle qui vient du vin nouveau est la plus violente. Quoique ces incrédules parlassent ainsi par ironie, ils disaient vrai de quelque façon ; car les disciples étaient pleins, non point de ce vin vieux qui jadis avait été servi aux noces de Cana, mais de ce vin nouveau dont le Sauveur disait : On ne met point le vin nouveau en de vieux vaisseaux (Luc. V, 37). Pierre, se levant à la tête des Apôtres, prouva qu'ils n'étaient point ivres, comme on le prétendait, puisque, selon l'usage, ils n'avaient ni bu ni mangé avant cette heure-là, qui était la troisième du jour ou neuvième du matin ; il montra qu'ils étaient plutôt remplis du Saint-Esprit, ainsi que l'avait annoncé le prophète Joël (II, 28). Jésus-Christ en effet, après être monté dans les cieux, venait de distribuer ses dons aux hommes, en leur envoyant le Saint-Esprit qui est la source de tous nos biens. Il avait ainsi accompli en ses disciples ce qu'il leur avait promis avant sa Passion, quand il leur disait (Joan. XVI, 7) : Si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra point à vous ; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai. En d'autres termes : Vous ne pouvez recevoir pleinement le Saint-Esprit, tant que je suis avec vous en la chair, parce que vous m'aimez d'une manière trop humaine. Aussi, après avoir reçu le Saint-Esprit, l'Apôtre disait (II Cor. V, 16) : Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte. À ce propos voici comment s'exprime saint Bernard (Serm. 3 de Ascens.) : « Si les Apôtres, encore attachés à l'humanité du Sauveur, quoiqu'elle fût très-sainte comme appartenant au Saint des saints, ne pouvaient être remplis de son divin Esprit avant d'être privés de sa présence visible, à plus forte raison, étant liés et collés à votre propre chair qui est souillée et infectée par des imaginations impures, vous ne pouvez recevoir l'Esprit sanctificateur à moins que vous ne tâchiez de renoncer à toute consolation sensuelle. Il est vrai que vous éprouverez d'abord de la peine, mais si vous persévérez en cette abnégation, votre tristesse se changera en joie ; car lorsque votre affection sera purifiée et votre volonté renouvelée, vous exécuterez avec beaucoup de facilité et de ferveur des choses qui vous paraissaient auparavant difficiles et impossibles même. » Si donc vous désirez goûter les délices spirituelles, vous devez rejeter les voluptés charnelles ; car selon saint Grégoire (Hom. 30), il faut refuser au corps les plaisirs qui le flattent pour procurer à l'âme les douceurs qui la charment. Mais aujourd'hui, hélas ! même parmi les personnes dévotes ou religieuses, combien peu savent préférer les jouissances divines aux délectations mondaines ! L'Apôtre distingue deux classes d'hommes bien opposés, quand il dit -. Ceux qui sont charnels aiment les choses de la chair, ceux au contraire qui sont spirituels aiment les choses de F esprit (Rom. VIII, 5). Dans la pratique, on reconnaît un homme vraiment spirituel d'après plusieurs signes particuliers, par exemple : s'il ne montre pas moins d'ardeur pour fuir les dangers ou pour rechercher les remèdes de l'âme que ceux du corps ; car autant celle-là l'emporte sur celui-ci, autant on doit soigneusement éviter ce qui pourrait la blesser et employer ce qui pourrait la guérir. En outre, de même que le corps trouve son plaisir et sa force dans la nourriture matérielle, l'âme en doit trouver pareillement dans la nourriture spirituelle que lui fournissent l'oraison, la prédication, l'Écriture Sainte, la lecture pieuse, l'adorable Eucharistie et l'office divin ; aussi quand l'âme est privée de sa réfection accoutumée, elle n'en doit pas éprouver moins de peine que le corps quand il est privé de la sienne propre. On reconnaît encore d'une manière générale les hommes spirituels, quand ils veillent à tous les besoins de l'esprit avec la même sollicitude que les hommes charnels à ceux de la chair. Or les hommes charnels s'empressent de pourvoir en temps convenables à leurs diverses nécessités pour le vivre ou le vêtement, pour le froid ou le chaud ; l'homme spirituel doit également songer aux vertus et aux grâces qui lui sont nécessaires dans l'adversité ou la prospérité, par rapport à ses amis et à ses ennemis ; il doit aussi examiner attentivement sa conduite envers Dieu dans les exercices religieux, et envers le prochain dans ses relations sociales. Mais où rencontrer celui-là pour lui décerner nos éloges ? (Eccli. XXXI, 9.) De nos jours on en voit encore plusieurs qui font le bien, mais ils ne le font qu'en partie ; car s'ils se montrent généreux, ils sont en même temps voluptueux ; si au contraire ils sont chastes, ils ne sont pas toujours désintéressés ; ceux-ci témoignent de la douceur, mais par faiblesse de caractère ils tombent souvent dans la pusillanimité ; ceux-là oublient les injures qu'ils pardonnent sans difficulté, mais, en ne veillant point assez sur leur cœur, ils provoquent des rixes par leur emportement ; les uns se glorifient des dons qu'ils ont obtenus de la miséricorde divine, comme s'ils les avaient acquis par leur propre industrie ; les autres se condamnent à des macérations, à des jeûnes et à des veilles, mais ils s'abandonnent à différents vices, à l'orgueil, à l'avarice ou à l'envie ; beaucoup même déchirent la réputation d'autrui par leurs détractions. Aussi on peut dire avec le Prophète (Mich. VII, 4) : Le meilleur d'entre eux est comme une ronce, et le plus juste comme l'épine d'une haie ; ils piquent et blessent tout ce qui les approche et les touche. Quiconque veut tendre à la perfection et plaire à Dieu dans la vie spirituelle doit suivre avant tout les règles suivantes :
1° Il doit avoir une connaissance claire et complète de ses défauts et de ses faiblesses ;
2° combattre avec courage et constance ses mauvaises inclinations ou passions ;
3° trembler en pensant aux graves et nombreux péchés qu'il a commis, parce qu'il n'est pas certain d'en avoir fait une pénitence suffisante ni même d'en avoir obtenu le pardon ;
4° il doit craindre beaucoup que sa propre fragilité ne l'entraîne en de nouveaux péchés, aussi grands ou même plus considérables que les précédents ;
5° garder avec soin et mortifier avec énergie ses sens corporels pour assujettir tous ses membres au service de Jésus-Christ ;
6° fuir avec empressement, comme on fuirait un démon de l'enfer, toute personne, toute créature qui porte au péché ou même à quelque imperfection de la vie spirituelle ;
7° il doit rendre au Seigneur de continuelles actions de grâces pour les bienfaits dont il l'a comblé jusqu'à présent et qu'il lui prodigue encore chaque jour ;
8° prier nuit et jour ;
9° enfin porter sans cesse la croix du Sauveur, en pratiquant les quatre prescriptions du Sauveur qui sont comme les quatre bras de cette croix, savoir : la mortification des vices pernicieux, l'éloignement des biens terrestres, le renoncement aux affections charnelles et le mépris de soi-même.

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Méditation pour le 2e mystère glorieux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

L’ENTRÉE TRIOMPHALE
DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST DANS LE CIEL
ET COMMENT IL EST ASSIS A LA DROITE DE SON PÈRE


I. — Jésus entre dans le ciel.

Considérons l'entrée de Notre-Seigneur dans le royaume de son Père. Remarquons principalement quels sont ceux qui l'accompagnent, quelle est l'allégresse, quels sont les cantiques des justes et des anges dans cette glorieuse journée.

1) Ceux qui l'accompagnent sont toutes les âmes qu'il a retirées des Limbes, dont quelques-unes sont réunies à leurs corps, s'il est vrai que ceux qui ressuscitèrent avec lui ne moururent point une seconde fois. On voit ici l'accomplissement de cette parole du Roi-prophète : En montant en haut, il a mené la captivité captive. C'est-à-dire : il a mené après lui les âmes qui étaient auparavant prisonnières dans les Limbes ; il les a réduites dans une heureuse captivité, en les attachant pour jamais à sa personne par les chaînes de l'amour ; il a fait de leur esclavage leur béatitude, puisqu’en vérité il n'est pas moins doux et moins glorieux d'être son captif, que dur et honteux d'être esclave du démon. Oh ! que ces illustres prisonniers avaient le cœur rempli d'allégresse ! qu'ils s'estimaient heureux de pouvoir suivre leur libérateur ! avec quelle ardeur ils désiraient de se voir assis sur les trônes qui leur étaient préparés, et où ils devaient jouir d'une liberté parfaite ! Ils comparaient l'étroite et obscure prison de laquelle ils étaient sortis, avec le palais resplendissant et immense dont on leur ouvrait les portes ; et, surpris de la beauté d'un si délicieux séjour, ils s'écriaient : Dieu des armées, que vos tabernacles sont aimables ! Mon âme est ravie et hors d'elle-même en contemplant la maison du Seigneur.

2) C'est alors qu'ils entendirent cette musique céleste dont parle le Prophète royal, lorsqu'il dit : Le Seigneur est monté au bruit des acclamations et des cantiques de joie, il s'est élevé au son des trompettes. Oh ! avec quels transports ces âmes fortunées bénirent leur Rédempteur ! quelles louanges elles chantèrent en son honneur ! et que leurs cœurs, unis par la reconnaissance, exécutèrent un concert autrement harmonieux que celui des clairons et des trompettes. Elles exaltaient à l'envi les miséricordes du Seigneur. Chantez, se disaient-elles les unes aux autres, chantez à la gloire de notre Dieu, chantez à la gloire de notre Roi qui règne sur toute la terre, et qui est assis sur son trône saint. Puis elles ajoutaient : Chantez au Seigneur qui est monté au plus haut des cieux vers l'orient, et qui habite une lumière inaccessible, d'où il éclaire des splendeurs de sa gloire tous ses élus.

3) Ce chœur d'âmes justes était soutenu par un autre d'esprits bienheureux qui accompagnaient aussi le Sauveur, et formaient le char magnifique sur lequel il était porté. Le char du Seigneur, dit le Psalmiste, est composé d'anges sans nombre ; des millions témoignent leur joie en exaltant sa puissance et en chantant ses grandeurs. Prêtons l'oreille à leurs célestes cantiques. Les uns disent : Princes du ciel, ouvrez vos portes ; portes éternelles, ouvrez-vous, et le Roi de gloire entrera. Les autres, remplis d'une vive admiration, répondent : Quel est ce Roi de gloire qui veut entrer par nos portes ? Les premiers reprennent : C'est le Seigneur, le Dieu des armées ; c'est lui qui est le Roi de gloire. D'autres encore demandent dans un transport d'allégresse : Quel est celui qui vient d'Édom et de Bosra avec des vêtements teints de sang ? Il est beau dans sa parure, et il s'avance avec une majesté sans égale. C'est-à-dire : Qui est celui qui s'élève de la terre, qui sort des combats, couvert de sang et de blessures, mais d'un éclat merveilleux, et avec de nobles marques de sa valeur et de sa puissance ? Et il réplique lui-même : C'est moi, dont la parole est la parole de la justice, et qui suis venu pour combattre et pour sauver. J'ai exercé la justice dans le monde ; j'ai payé les dettes des hommes ; j'ai combattu contre l'enfer pour leur salut. Maintenant, je me fais justice à moi-même et à ceux que j'ai sauvés, en montant au ciel et en les conduisant avec moi dans mon royaume. À ces mots, tous s'écrient d'une voix : L'Agneau qui a été immolé est digne de recevoir la puissance, la divinité, la sagesse, la force, l'honneur, la gloire, mille bénédictions et mille louanges dans les siècles des siècles.

Ô Sauveur du monde, je me réjouis de vous voir triompher avec tant de gloire et de justice. Montez, Seigneur, au lieu de votre repos, vous et l'arche de votre sanctifications. Reposez-vous après vos travaux. Montez au plus haut des cieux ; volez sur les ailes des vents, sur les ailes des chérubins. Que toutes les créatures soient sous vos pieds : aucune ne vous égale dans vos perfections. Permettez-moi de me joindre aux esprits bienheureux, d'unir mes chants à leurs chants, de vous louer et de vous bénir avec eux, en répétant leur éternel cantique : Saint, saint, saint est le Seigneur, le Dieu tout-puissant, qui était, qui est, et qui doit venir. Aujourd'hui les cieux, témoins de votre entrée triomphale, sont remplis de votre gloire.

4) Mais arrêtons-nous particulièrement à méditer la joie que ressent notre Sauveur en ce jour. Car il peut aussi se dire à lui-même qu'il est monté au ciel dans des transports d'allégresse. Son âme est ravie en voyant l'issue glorieuse de ses travaux. Ce bon Pasteur a retrouvé sa brebis perdue ; il la mène au ciel d'où il était descendu pour la chercher, et il invite tous les esprits célestes à l'en féliciter et à s'en réjouir avec lui.

Ô divin Pasteur, qui avez cherché avec tant de peine et qui avez enfin trouvé la brebis égarée qu'était le genre humain, je me réjouis de ce que vous la portez vous-même au-dessus des astres, au bruit des acclamations et des applaudissements des anges. Que le ciel et la terre vous félicitent de votre gloire ; faites que je contribue et que je participe moi-même à votre triomphe ; cherchez-moi dans le désert de ce monde, attirez-moi à vous, et après m'avoir ramené au bercail sur la terre, conduisez-moi avec vous dans les fertiles pâturages de la bienheureuse éternité.

II. — Jésus s'assied à la droite de son Père.

1) Le Sauveur ayant traversé les airs et pénétré, comme dit saint Paul, jusqu'au plus haut des cieux, présenta à son Père céleste cette glorieuse troupe de captifs qu'il avait retirés des Limbes. Il voulut, pour ainsi parler, lui rendre compte de ce qu'il avait fait dans le monde pour son service ; et il n'eut qu'à répéter à cet effet les paroles que nous lisons à la fin de son discours après la Cène. Mon Père, dit-il, j'ai manifesté votre nom aux hommes ; je vous ai glorifié sur la terre ; j'ai achevé l'œuvre que vous m'aviez donné à faire : et maintenant, glorifiez-moi en vous-même de cette gloire que j'ai possédée en vous avant que le monde fût tiré du néant. Oh ! que le Père éternel agréa volontiers des mains de son Fils une offrande d'un si grand prix ! Il le reçut lui-même avec une joie ineffable, et le fit aussitôt asseoir à sa droite, accomplissant cette prophétie de David : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite. Il le fait asseoir, pour signifier par cette attitude la stabilité de son règne et la dignité de sa personne ; il le fait asseoir à sa droite, pour marquer qu'il lui communique les plus riches trésors de sa gloire, qu'il l'élève au-dessus des anges et des archanges, au-dessus des puissances et des dominations, au-dessus des chérubins et des séraphins, comme leur chef et leur souverain. Car auquel des anges a-t-il jamais dit : Asseyez-vous à ma droite ? Au contraire, il les soumet tous à l'empire de cet Homme-Dieu, dont ils sont les serviteurs et les ministres.

2) Ici, reconnaissons avec quelle libéralité le Père éternel récompense les services que son Fils lui a rendus. Il élève au-dessus de tous celui qui s'est humilié plus que personne ; il change sa croix en un trône, sa couronne d'épines en une couronne de lumière, les opprobres de sa Passion et les blasphèmes des Juifs en des applaudissements et des louanges, la compagnie de deux larrons en celle de toutes les hiérarchies célestes ; et parce qu'il est descendu au plus profond de la terre, il monte au plus haut des cieux. En un mot, Dieu lui donne un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus est dans la gloire de son Père. - Apprends donc, ô mon âme, à t'humilier pour ton Sauveur, dans l'espérance d'être relevée un jour avec lui ; et ne doute pas que Dieu ne se montre aussi fidèle à récompenser ses enfants adoptifs qu'il l'a été à glorifier celui qui est par nature son Fils unique. Il le sera certainement, en considération de ce Fils qu'il aime comme lui-même, et dont la gloire est le principe de la nôtre. Car, lorsque nous étions morts par nos péchés, Dieu, dit saint Paul, qui est riche en miséricorde, poussé par l'amour extrême dont il nous a aimés, nous a vivifiés en Jésus-Christ, par la grâce duquel nous sommes sauvés ; il nous a ressuscités avec lui, et il nous fera asseoir dans le ciel avec Jésus-Christ.

3) Ces réflexions nous aideront à exciter en nous de vifs sentiments de confiance en Dieu, et d'espérance de monter au ciel avec notre Sauveur. En effet, que ne devons-nous pas espérer de la miséricorde du Père et des mérites du Fils ? Prenons surtout la ferme résolution de ne chercher que Jésus-Christ et de ne désirer que l'accomplissement de sa volonté. Ayons toujours présentes à la mémoire ces paroles de l'Apôtre : Recherchez uniquement les choses d'en haut, où Jésus-Christ est assis à la droite de son Père.

Ô très doux Jésus, si le cœur de l'homme est là où se trouve son trésor, mon cœur est nécessairement où vous êtes, car vous seul êtes mon trésor, et je n'estime rien que vous. Ô mon âme, pense que tu es étrangère en ce monde, et que ton Père et ton Sauveur règne dans le ciel. Hâte-toi d'aller où il est. Les portes du Paradis, fermées pendant tant de siècles, sont enfin ouvertes. Réjouis-toi d'une si heureuse nouvelle. Cours avec la rapidité du cerf, vole aussi haut que l'aigle, monte jusqu'au trône de ton Seigneur. Prosterne-toi à ses pieds, et crois fermement que si tu demeures en esprit auprès de lui, tu jouiras un jour de sa divine présence, réunie à ton corps sorti du tombeau, durant les siècles.

III. — Jésus glorifié exerce deux emplois.

1) Considérons que le Fils de Dieu, aussitôt qu'il eut pris possession de sa gloire, commença à exercer l'office de rémunérateur. C'est lui qui assigne des trônes aux âmes saintes qu'il a introduites dans le bienheureux séjour. Il place les unes parmi les anges, les autres parmi les archanges et les principautés, d'autres encore parmi les chérubins et les séraphins, conformément à leurs mérites. Ici, nous pouvons nous figurer quelle place il donne aux patriarches et aux prophètes, au glorieux saint Joseph, au grand saint Jean-Baptiste, et à ceux qui sont montés en corps et en âme avec lui dans le ciel. Oh ! quelle langue pourrait exprimer la joie que tous ressentent de se voir en si glorieuse compagnie, élevés sur des trônes si magnifiques ! Les anges se disent en bénissant le Seigneur : Les places que Lucifer et les partisans de sa révolte ont perdues par leur orgueil commencent à se remplir ; les hommes comblent les vides de la sainte cité. Oh ! avec quelle fidélité Dieu accomplit la promesse qu'il a faite à Isaïe son serviteur en parlant de son Fils : Parce qu'il est livré à la mort, et qu'il a été mis au nombre des scélérats, parce qu'il s'est chargé des péchés d'une multitude criminelle, et qu'il a prié pour les violateurs de la loi, je lui donnerai en partage un peuple nombreux, et il distribuera lui-même les dépouilles des forts !

Je me réjouis, ô mon Sauveur, de ce que vous distribuez vous-même les trésors de votre gloire à ceux qui ont fait un bon usage de vos grâces. Accordez-moi de vous servir avec tant de constance et de générosité, que je mérite d'avoir part à la distribution des dépouilles dont vous enrichissez vos élus.

2) Un autre emploi que le Sauveur s'empresse d'exercer dès qu'il est dans le ciel, est celui d'avocat des hommes qu'il a laissés sur la terre. Comment remplit-il ce second office ? En montrant à son Père les blessures qu'il a reçues pour obéir à ses ordres et pour nous sauver. Or, ce que Jésus a commencé aussitôt, après son entrée dans la gloire, il le continue, et il le continuera jusqu'à la fin des temps : vérité qui doit nous inspirer les plus légitimes sentiments de confiance et d'amour. Rappelons-nous ce motif d'encouragement proposé par l'Apôtre aux Hébreux : Ayant pour grand-prêtre Jésus, Fils de Dieu, demeurons termes dans la foi dont nous faisons profession. Ne rougissons pas de confesser ce que nous croyons ; efforçons-nous d'obtenir ce que nous espérons. S'il nous arrive par malheur de tomber en quelque faute, alors surtout nous nous souviendrons de ces paroles si consolantes du disciple bien-aimé : Mes petits enfants, je vous écris ces choses afin que vous ne péchiez point. Si néanmoins quelqu’un pèche, nous avons pour avocat auprès du Père Jésus-Christ le juste, qui s'est fait victime de propitiation pour nos péchés ; et non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux de tout le monde. Comme donc il est infiniment saint, et que la rédemption dont il est l'auteur a été abondante, nous avons l'assurance qu'il ne cessera point de plaider en notre faveur qu'il ne nous ait obtenu et appliqué le pardon qu'il nous a mérité par l'effusion de tout son sang. Il nous a ouvert les portes du ciel, il ne nous les fermera point ; mais il nous fera la grâce de participer à la perpétuité de son royaume pour la gloire de son Père, avec lequel il vit et règne dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

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Méditation pour le 1er mystère glorieux 

Tirée de L’année liturgique
de Dom Prosper Guéranger, osb


La Résurrection

La nuit du samedi au dimanche voit enfin s'épuiser ses longues heures ; et le lever du jour est proche. Marie, le cœur oppressé, attend avec une courageuse patience le moment fortuné qui doit lui rendre son Fils. Madeleine et ses compagnes ont veillé toute la nuit et ne tarderont pas à se mettre en marche vers le saint tombeau. Au fond des  limbes, l'âme du divin Rédempteur s'apprête à donner le signal du départ à ces myriades d'âmes justes si longtemps captives, qui l'entourent de leur respect et de leur amour. La mort plane en silence sur le sépulcre où elle retient sa victime. Depuis le jour où elle dévora Abel, elle a englouti d'innombrables générations ; mais jamais elle n'a tenu dans ses liens une si noble proie. Jamais la sentence terrible du jardin n'a reçu un si effrayant accomplissement ; mais aussi jamais la tombe n'aura vu ses espérances déjouées par un si cruel démenti. Plus d'une fois, la puissance divine lui a dérobé ses victimes : le fils de la veuve de Naïm, la fille du chef de la synagogue, le frère de Marthe et de Madeleine lui ont été ravis ; mais elle les attend à la seconde mort. Il en est un autre cependant, au sujet duquel il est écrit : « Ô mort, je serai ta mort ; tombeau, je serai ta ruine .» (Os. 13, 14) Encore quelques instants : les deux adversaires vont se livrer combat.

De même que l'honneur de la divine Majesté ne pouvait permettre que le corps uni à un Dieu attendît dans la poussière, comme celui des pécheurs, le moment où la trompette de l'Ange nous doit tous appeler au jugement suprême ; de même il convenait que les heures durant lesquelles la mort devait prévaloir fussent abrégées. « Cette génération perverse demande un prodige, avait dit le Rédempteur ; il ne lui en sera accordé qu'un seul : celui du prophète Jonas. » (Matth. 12, 39) Trois jours de sépulture : la fin de la journée du vendredi, la nuit suivante, le samedi tout entier avec sa nuit, et les premières heures du dimanche ; c'est assez : assez pour la justice divine désormais satisfaite ; assez pour certifier la mort de l'auguste victime, et pour assurer le plus éclatant des triomphes ; assez pour le cœur désolé de la plus aimante des mères.

« Personne ne m'ôte la vie ; c'est moi-même qui la dépose ; j'ai le pouvoir de la quitter ; et j'ai aussi celui de la reprendre. » (Jo. 10, 18). Ainsi parlait aux Juifs le Rédempteur avant sa Passion ; la mort sentira tout à l'heure la force de cette parole de maître. Le dimanche, jour de la Lumière, commence à poindre ; les premières lueurs de l'aurore combattent déjà les ténèbres. Aussitôt l'âme divine, du Rédempteur s'élance de la prison des limbes, suivie, de toute la foule des âmes saintes qui l'environnaient. Elle traverse en un clin d'œil l'espace et, pénétrant dans le sépulcre, elle rentre dans ce corps qu'elle avait quitté trois jours auparavant au milieu des angoisses de l'agonie. Le corps sacré se ranime, se relève et se dégage des linceuls, des aromates et des bandelettes dont il était entouré. Les meurtrissures ont disparu, le sang est revenu dans les veines ; et de ces membres lacérés par les fouets, de cette tête déchirée par les épines, de ces pieds et de ces mains percés par les clous, s'échappe une lumière éclatante qui remplit la caverne. Les saints Anges, qui adorèrent avec attendrissement l'enfant de Bethléhem, adorent avec un tremblement le vainqueur du tombeau. Ils plient avec respect et déposent sur la pierre où le corps immobile reposait tout à l'heure, les linceuls dont la piété des deux disciples et des saintes femmes l'avait enveloppé.

Mais le Roi des siècles ne doit pas s'arrêter davantage sous cette voûte funèbre ; plus prompt que la lumière qui pénètre le cristal, il franchit l'obstacle que lui opposait la pierre qui fermait l'entrée de la caverne, et que la puissance publique avait scellée et entourée de soldats armés qui faisaient la garde. Tout est resté intact ; il est libre, le triomphateur du trépas ; ainsi, nous disent unanimement les saints docteurs, parut-il aux yeux de Marie dans l'étable, sans avoir fait ressentir aucune violence au sein maternel. Ces deux mystères de notre foi s'unissent, et proclament le premier et le dernier terme de la mission du Fils de Dieu : au début, une Vierge-Mère ; au dénouement, un tombeau scellé rendant son captif.

Le silence le plus profond règne encore à ce moment où l'Homme-Dieu vient de briser le sceptre de la mort. Son affranchissement et le nôtre ne lui ont coûté aucun effort. Ô Mort ! que reste-t-il maintenant de ton empire ? Le péché nous avait livrés à toi ; tu te reposais sur ta conquête ; et voici que ta défaite est au comble. Jésus, que tu étais si fière de tenir sous ta cruelle loi, t'a échappé ; et nous tous, après que tu nous auras possédés, nous t'échapperons aussi. Le tombeau que tu nous creuses deviendra notre berceau pour une vie nouvelle : car ton vainqueur est le premier-né entre les morts (Apoc. 1, 5) ; et c'est aujourd'hui la Pâque, le Passage, la délivrance, pour Jésus et pour tous ses frères. La route qu'il a frayée, nous la suivrons tous ; et le jour viendra où toi qui détruis tout, toi l'ennemie, tu seras anéantie à ton tour par le règne de l'immortalité (Cor. 15, 26). Mais dès ce moment nous contemplons ta défaite, et nous répétons, pour ta honte, ce cri du grand Apôtre : « Ô Mort, qu'est devenue ta victoire ? Qu'as-tu, fait de ton glaive ? Un moment tu as triomphé, et te voilà engloutie dans ton triomphe. » (Ibid. 55)

Mais le sépulcre ne doit pas rester toujours scellé ; il faut qu'il s'ouvre, et qu'il témoigne au grand jour que celui dont le corps inanimé l'habita quelques heures, l'a quitté pour jamais. Soudain la terre tremble, comme au moment où Jésus expirait sur la croix ; mais ce tressaillement du globe n'indique plus l'horreur ; il exprime l'allégresse. L'Ange du Seigneur descend du ciel ; il arrache la pierre d'entrée, et s'assied dessus avec majesté ; une robe éblouissante de blancheur est son vêtement, et ses regards lancent des éclairs. À son aspect, les gardes tombent par terre épouvantés ; ils sont là comme morts, jusqu'à ce que la bonté divine apaisant leur terreur, ils se relèvent et, quittant ce lieu redoutable, se dirigent vers la ville pour rendre compte de ce qu'ils ont vu.

Cependant Jésus ressuscité, et dont nulle créature mortelle n'a encore contemplé la gloire, a franchi l'espace et en un moment il s'est réuni à sa très sainte Mère. Il est le Fils de Dieu, il est le vainqueur de la mort ; mais il est le fils de Marie. Marie a assisté près de lui jusqu'à la fin de son agonie ; elle a uni le sacrifice de son cœur de mère à celui qu'il offrait lui-même sur la croix ; il est donc juste que les premières joies de la résurrection soient pour elle. Le saint Évangile ne raconte pas l'apparition du Sauveur à sa Mère, tandis qu'il s'étend sur toutes les autres ; la raison en est aisée à saisir. Les autres apparitions avaient pour but de promulguer le fait de la résurrection ; celle-ci était réclamée par le cœur d'un fils, et d'un fils tel que Jésus. La nature et la grâce exigeaient à la fois cette entrevue première, dont le touchant mystère fait les délices des âmes chrétiennes. Elle n'avait pas besoin d'être consignée dans le livre sacré ; la tradition des Pères, à commencer par saint Ambroise, suffisait à nous la transmettre, quand bien même nos cœurs ne l'auraient pas pressentie ; et lorsque nous en venons à nous demander pour quelle raison le Sauveur, qui devait sortir du tombeau le jour du dimanche, voulut le faire dès les premières heures de ce jour, avant même que le soleil eût éclairé l'univers, nous adhérons sans peine au sentiment des pieux et savants auteurs qui ont attribué cette hâte du Fils de Dieu à l'empressement qu'éprouvait son cœur, de mettre un terme à la douloureuse attente de la plus tendre et de la plus affligée des mères.

Quelle langue humaine oserait essayer de traduire les épanchements du Fils et de la Mère à cette heure tant désirée ? Les yeux de Marie, épuisés de pleurs et d'insomnie, s'ouvrant tout à coup à la douce et vive lumière qui lui annonce l'approche de son bien-aimé ; la voix de Jésus retentissant à ses oreilles, non plus avec l'accent douloureux qui naguère descendait de la croix et transperçait comme d'un glaive son cœur maternel, mais joyeuse et tendre, comme il convient à un fils qui vient raconter ses triomphes à celle qui lui a donné le jour ; l'aspect de ce corps qu'elle recevait dans ses bras ; il y a trois jours, sanglant et inanimé, maintenant radieux et plein de vie, lançant comme les reflets de la divinité à laquelle il est uni ; les caresses d'un tel fils, ses paroles de tendresse, ses embrassements qui sont ceux d'un Dieu.

Notre Seigneur a bien voulu décrire lui-même cette ineffable scène dans une révélation qu'il fit à la séraphique vierge sainte Thérèse. Il daigna lui confier que l'accablement de la divine Mère était si profond, qu'elle n'eût pas tardé à succomber à son martyre, et que lorsqu'il se montra à elle au moment où il venait de sortir du tombeau, elle eut besoin de quelques moments pour revenir à elle-même avant d'être en état de goûter une telle joie ; et le Seigneur ajoute qu'il resta longtemps auprès d'elle, parce que cette présence prolongée lui était nécessaire.

Nous, chrétiens, qui aimons notre Mère, qui l'avons vue sacrifier pour, nous son propre fils sur le Calvaire, partageons d'un cœur filial la félicité dont Jésus se plait à la combler en ce moment, et apprenons en même temps à compatir aux douleurs de son cœur maternel. C'est ici la première manifestation de Jésus ressuscité : récompense de la foi qui veilla toujours au cœur de Marie, pendant même la sombre éclipse qui avait duré trois jours.

Mais il est temps que le Christ se montre à d'autres, et que la gloire de sa résurrection commence à briller sur le monde. Il s'est fait voir d'abord à celle de toutes les créatures qui lui était la plus chère, et qui seule était digne d'un tel bonheur ; maintenant, dans sa bonté, il va récompenser, par sa vue pleine de consolation, les âmes dévouées qui sont demeurées fidèles à son amour, dans un deuil trop humain peut-être, mais inspiré par une reconnaissance que ni la mort, ni le tombeau n'avaient découragée.

Hier, Madeleine et ses compagnes, lorsque le coucher du soleil vint annoncer que, selon l'usage des Juifs, le grand samedi faisait place au dimanche, sont allées par la ville acheter des parfums, pour embaumer de nouveau le corps de leur cher maître, aussitôt que la lumière du jour leur permettra d'aller lui rendre ce pieux devoir. La nuit s'est passée sans sommeil ; et les ombres ne sont pas encore totalement dissipées que Madeleine, avec Marie, mère de Jacques, et Salomé, est déjà sur le chemin qui conduit au Calvaire, près duquel est le sépulcre où repose Jésus. Dans leur préoccupation, elles ne s'étaient pas même demandé quels bras elles emploieraient pour déranger la pierre qui ferme l'entrée de la grotte ; moins encore ont-elles songé au sceau de la puissance publique qu'il faudrait auparavant briser, et aux gardes qu'elles vont rencontrer près du tombeau. Aux premiers rayons du jour, elles arrivent au terme de leur pieux voyage ; et la première chose qui frappe leurs regards, c'est la pierre qui fermait l'entrée, ôtée de sa place, et laissant pénétrer le regard dans les profondeurs de la chambre sépulcrale. L'Ange du Seigneur, qui avait eu mission de déranger cette pierre et qui s'était assis dessus comme sur un trône, ne les laisse pas longtemps dans la stupeur qui les a saisies : « Ne craignez pas, leur dit-il ; je sais que vous cherchez Jésus ; il n'est plus ici ; il est ressuscité, comme il l'avait dit ; pénétrez vous-mêmes dans le tombeau, et reconnaissez la place où il a reposé. »

C'était trop pour ces âmes que l'amour de leur maître transportait, mais qui ne le connaissaient pas encore par l'esprit. Elles demeurent « consternées », nous dit le saint Évangile. C'est un mort qu'elles cherchent, un mort chéri ; on leur dit qu'il est ressuscité ; et cette parole ne réveille chez elles aucun souvenir. Deux autres Anges se présentent à elles dans la grotte tout illuminée de l'éclat qu'ils répandent. Éblouies de cette lumière inattendue, Madeleine et ses compagnes, nous dit saint Luc, abaissent vers la terre leurs regards mornes et étonnés. « Pourquoi cherchez-vous chez les morts, leur disent les Anges, celui qui est vivant ? Rappelez-vous donc ce qu'il vous disait en Galilée : qu'il serait crucifié, et que, le troisième jour, il ressusciterait. » Ces paroles font quelques impressions sur les saintes femmes ; et au milieu de leur émotion, un léger souvenir du passé semble renaître dans leur mémoire. « Allez donc, continuent les Anges ; dites aux disciples et à Pierre qu'il est ressuscité, et qu'il les devancera en Galilée. »

Elles sortent en hâte du tombeau et se dirigent vers la ville, partagées entre la terreur et un sentiment de joie intérieure qui les pénètre comme malgré elles. Cependant elles n'ont vu que les Anges, et un sépulcre ouvert et vide. À leur récit, les Apôtres, loin de se laisser aller à la confiance, attribuent, nous dit encore saint Luc, à l'exaltation d'un sexe faible tout ce merveilleux qu'elles s'accordent à raconter. La résurrection prédite si clairement, et à plusieurs reprises, par leur maître ne leur revient pas non plus en mémoire. Madeleine s'adresse en particulier à Pierre et à Jean ; mais que sa foi à elle est faible encore ! Elle est partie pour embaumer le corps de son cher maître et elle ne l'a pas trouvé ; sa déception douloureuse s'épanche encore devant les deux Apôtres : « Ils ont enlevé, dit-elle, le Seigneur du tombeau ; et nous ne savons pas où ils l'ont mis. »

Pierre et Jean se déterminent à se rendre sur le lieu. Ils pénètrent dans la grotte ; ils voient les linceuls disposés en ordre sur la table de pierre qui a reçu le corps de leur maître ; mais les Esprits célestes qui font la garde ne se montrent point à eux. Jean cependant, et c'est lui-même qui nous en rend témoignage, reçoit en ce moment la foi : désormais il croit à la résurrection de Jésus.

Jusqu'à cette heure, Jésus n'a encore apparu qu'à sa Mère : les femmes n'ont vu que des Anges qui leur ont parlé. Ces bienheureux Esprits leur ont commandé d'aller annoncer la résurrection de leur maître aux disciples et à Pierre. Elles ne reçoivent pas cette commission pour Marie ; il est aisé d'en saisir la raison : le fils s'est déjà réuni à sa mère ; et la mystérieuse et touchante entrevue se poursuit encore durant ces préludes. Mais déjà le soleil brille de tous ses feux, et les heures de la matinée avancent ; c'est l'Homme-Dieu qui va proclamer lui-même le triomphe que le genre humain vient de remporter en lui sur la mort. Suivons avec un saint respect l'ordre de ces manifestations, et efforçons-nous respectueusement d'en découvrir les mystères.

Madeleine, après le retour des deux Apôtres, n'a pu résister au désir de visiter de nouveau la tombe de son maître. La pensée de ce corps qui a disparu, et qui, peut-être, devenu le jouet des ennemis de Jésus, gît sans honneurs et sans sépulture, tourmente son âme ardente et bouleversée. Elle est repartie, et bientôt elle arrive à la porte du sépulcre. Là, dans son inconsolable douleur, elle se livre à ses sanglots ; puis bientôt, se penchant vers l'intérieur de la grotte, elle aperçoit les deux Anges assis chacun à une des extrémités de la table de pierre sur laquelle le corps de Jésus fut étendu sous ses yeux. Elle ne les interroge pas ; ce sont eux qui lui parlent : « Femme, disent-ils, pourquoi pleures-tu ? — Ils ont enlevé mon maître, et je ne sais où ils l'ont mis. » Et après ces paroles, elle sort brusquement du sépulcre, sans attendre la réponse des Anges. Tout à coup, à l'entrée de la grotte, elle se voit en face d'un homme, et cet homme est Jésus. Madeleine ne le reconnaît pas ; elle est à la recherche du corps mort de son maître ; elle veut l'ensevelir de nouveau. L'amour la transporte, mais la foi n'éclaire pas cet amour ; elle ne sent pas que celui dont elle cherche la dépouille inanimée est là, vivant, près d'elle.

Jésus, dans son ineffable condescendance, daigne lui faire entendre sa voix : « Femme, lui dit-il, pourquoi pleures-tu ? que cherches-tu ? » Madeleine n'a pas reconnu cette voix ; son cœur est comme engourdi par une excessive et aveugle sensibilité ; elle ne connaît pas encore Jésus par l'esprit. Ses yeux se sont pourtant arrêtés sur lui ; mais son imagination qui l'entraîne lui fait voir dans cet homme le jardinier chargé de cultiver le jardin qui entoure le sépulcre. Peut-être, se dit-elle, est-ce lui qui a dérobé le trésor que je cherche ; et sans réfléchir plus longtemps, elle s'adresse à lui-même sous cette impression : « Seigneur, dit-elle humblement à l'inconnu, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis, et je vais l'emporter. » C'était trop pour le cœur du Rédempteur des hommes, pour celui qui daigna louer hautement chez le pharisien l'amour de la pauvre pécheresse ; Il ne peut plus tarder à récompenser cette naïve tendresse ; Il va l'éclairer. Alors, avec cet accent qui rappelle à Madeleine tant de souvenirs de divine familiarité, Il parle ; mais Il ne dit que ce seul mot : « Marie ! — Cher maître ! » répond avec effusion l'heureuse et humble femme, illuminée tout à coup des splendeurs du mystère.

Elle s'élance et voudrait coller ses lèvres à ces pieds sacrés dans l'embrassement desquels elle reçut autrefois son pardon. Jésus l'arrête ; le moment n'est pas venu de se livrer à de tels épanchements. Il faut que Madeleine, premier témoin de la résurrection de l'Homme-Dieu, soit élevée pour prix de son amour, au plus haut degré de l'honneur. Il ne convient pas que Marie révèle à d'autres les secrets sublimes de son cœur maternel ; c'est à Madeleine de témoigner de ce qu'elle a vu, de ce qu'elle a entendu dans le jardin. C'est elle qui sera, comme disent les saints docteurs, l'Apôtre des Apôtres eux-mêmes. Jésus lui dit : « Va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et le leur, vers mon Dieu et le leur. »

Telle est la seconde apparition de Jésus ressuscité, l'apparition à Marie-Madeleine, la première dans l'ordre du témoignage. Adorons l'infinie bonté du Seigneur, qui, avant de songer à établir la foi de sa résurrection dans ceux qui devaient la prêcher jusqu'aux extrémités du monde, daigne d'abord récompenser l'amour de cette femme qui l'a suivi jusqu'à la croix, jusqu'au-delà du tombeau, et qui, étant plus redevable que les autres, a su aussi aimer plus que les autres. En se montrant d'abord à Madeleine, Jésus a voulu satisfaire avant tout l'amour de son cœur divin pour la créature, et nous apprendre que le soin de sa gloire ne vient qu'après.

Madeleine, empressée de remplir l'ordre de son maître, se dirige vers la ville et ne tarde pas à se trouver en présence des disciples. « J'ai vu le Seigneur, leur dit-elle, et il m'a dit ceci. » Mais la foi n'est pas encore entrée dans leurs âmes ; le seul Jean a reçu ce don au sépulcre, bien que ses yeux n'aient vu que le tombeau désert. Souvenons-nous qu'après avoir fui comme les autres, il s'est retrouvé au Calvaire pour recevoir le dernier soupir de Jésus, et que là il est devenu le fils adoptif de Marie.

Cependant les compagnes de Madeleine, Marie mère de Jacques, et Salomé, qui l'ont suivie de loin sur la route du saint tombeau, reviennent seules à Jérusalem. Soudain Jésus se présente à leurs regards, et arrête leur marche lente et silencieuse. « Je vous salue », leur dit-il. À cette parole, leur cœur se fond de tendresse et d'admiration. Elles se précipitent avec ardeur à ses pieds sacrés, elles les embrassent, et lui prodiguent leurs adorations. C'est la troisième apparition du Sauveur ressuscité, moins intime mais plus familière que celle dont Madeleine fut favorisée. Jésus n'achèvera pas la journée sans se manifester à ceux qui sont appelés à devenir les hérauts de sa gloire ; mais il veut, avant tout, honorer aux yeux de tous les siècles à venir ces généreuses femmes qui, bravant le péril et triomphant de la faiblesse de leur sexe, l'ont consolé sur la croix par une fidélité qu'il ne rencontra pas dans ceux qu'il avait choisis et comblés de ses faveurs. Autour de la crèche où il se montrait pour la première fois aux hommes, il convoqua de pauvres bergers par la voix des Anges, avant d'appeler les rois par le ministère d'un astre matériel ; aujourd'hui qu'il est arrivé au comble de sa gloire, qu'il a mis par sa résurrection le sceau à toutes ses œuvres et rendu certaine sa divine origine, en rassurant notre foi par le plus irréfragable de tous les prodiges, il attend, avant d'instruire et d'éclairer ses Apôtres, que d'humbles femmes aient été par lui instruites, consolées, comblées enfin des marques de son amour. Quelle grandeur dans cette conduite si suave et si forte du Seigneur notre Dieu, et qu'il a raison de nous dire par le Prophète : « Mes pensées ne sont pas vos pensées ! » (Is. 55, 8).

S'il eût été à notre disposition d'ordonner les circonstances de sa venue en ce monde, quel bruit n'eussions-nous pas fait pour appeler le genre humain tout entier, rois et peuples, autour de son berceau ? Avec quel fracas eussions-nous promulgué devant toutes les nations le miracle des miracles, la Résurrection du crucifié, la mort vaincue et l'immortalité reconquise ? Le Fils de Dieu, qui est « la Force et la Sagesse de Père » (1 Cor. 1, 24), s'y est pris autrement. Au moment de sa naissance, Il n'a voulu pour premiers adorateurs que des hommes simples et rustiques, dont les récits ne devaient pas retentir au-delà des confins de Bethléhem ; et voilà qu'aujourd'hui la date de cette naissance est l'ère de tous les peuples civilisés. Pour premiers témoins de sa Résurrection, Il n'a voulu que de faibles femmes ; et voilà qu'en ce jour même, à l'heure où nous sommes, la terre entière célèbre l'anniversaire de cette Résurrection ; tout est remué, un élan inconnu le reste de l'année se fait sentir aux plus indifférents ; l'incrédule qui coudoie le croyant sait du moins que c'est aujourd'hui Pâques ; et, du sein même des nations infidèles, d'innombrables voix chrétiennes s'unissent aux nôtres, afin que s'élève de tous les points du globe vers notre divin ressuscité l'acclamation joyeuse qui nous réunit tous en un seul peuple, le divin Alléluia. « Ô Seigneur », devons-nous nous écrier avec Moïse, quand le peuple élu célébra la première Pâque et traversa à pied sec la mer Rouge, « ô Seigneur, qui d'entre les forts est semblable à vous ? » (Ex. 15, 11).

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